Les récents développements concernant la génétique moléculaire de la maladie de Von Recklinghausen paraissent pouvoir mener à des applications extrêmement importantes, en particulier dans la compréhension des mécanismes de la cancérogenèse. Par ailleurs, cette affection qui ne pose guère de problèmes diagnostiques en pratique courante, pose celui, crucial, du diagnostic prénatal et du conseil génétique.
Rappelons qu'il existe deux types de neurofibromatoses, désormais appelées NF1 (maladie de von Recklinghausen) et NF2 (NF "central"). La prévalence de la NF1 dans la population générale est de 1 pour 4 000. Sa transmission est autosomique et la pénétrance est complète. Le gène de la NF1 a été localisé et partiellement cloné : il est situé dans la région péricentromérique du chromosome 17 (17q 11.2). Il s'agit d'un gène géant de plus de 2 mégabases, classé dans le groupe des gènes suppresseurs de tumeurs.
Des ennemis en nous
Les oncoprotéines et leurs gènes (oncogènes) font partie d'un réseau de contrôle de la division cellulaire. Leur activation intempestive par des facteurs exogènes, (virus, agents mutagènes) ou endogènes (mutations somatiques ou constitutionnelles) confère à la cellule le phénotype cancéreux. C'est pourquoi ces gènes cellulaires normaux ont fait dire à Bishop : "les ennemis sont parmi nous".
Les oncoprotéines sont classées en différentes familles : facteurs de croissance, récepteurs des facteurs de croissance, protéines membranaires liant le GTP, les TYR-protéines kinases membranaires, protéines kinases cytosoliques, protéines à activités nucléaires (fos, jun, myc).
Les gènes de la famille ras codent pour des protéines très voisines, possédant 189 résidus et un poids moléculaire de 21 000, appelées p21. Ce sont des protéines intramembranaires liant spécifiquement le GTP qu'elles hydrolysent. Elles font partie du système de transduction des signaux mitogènes extra-cellulaires (facteurs de croissance) vers le noyau via une cascade d'événements complexes, (dont la libération de calcium cellulaire) et qui aboutit à la division de la cellule. Sous sa forme active, la p21 se lie au GTP, elle passe alors à une forme inactive, en hydrolysant le GTP en GDP. Les mutations dans les gènes ras maintiennent le transducteur p21 sous une forme activée en permanence, c'est-à-dire le système sur la position "marche". Ainsi s'explique l'apparent paradoxe d'une perte de fonction dominante. La protéine codée par NF1 interagit avec la p21 en bloquant les signaux mitogéniques induits par p21, ce qui veut dire que cette protéine NF1 a un effet antiprolifératif. On imagine alors sans difficulté qu'une cellule neuroectodermique en l'absence de la protéine NF1 est privée de ce mécanisme qui amortit les signaux mitogéniques de p21 et qu'un processus cancéreux puisse en découler.
Diagnostic sur ADN
Le diagnostic des formes encore asymptomatiques du jeune enfant, le conseil génétique et le diagnostic prénatal ne sont rendus possibles par l'analyse de l'ADN que dans les formes familiales. Lorsque le gène sera connu en totalité et les lésions géniques répertoriées, le diagnostic direct, qui ne réclame aucune étude familiale préalable, donc particulièrement utile dans les formes sporadiques, ou lorsque l'analyse généalogique n'est pas fertile (manque d'informativité) pourra mettre en évidence la lésion directement par exemple par disparition d'un fragment de restriction ou mi-appariement avec une oligosonde allèle spécifique comme pour les hémoglobinopathies ou la mucoviscidose.
Aujourd'hui le diagnostic repose sur une stratégie indirecte et ne peut être obtenu que par l'exploration des polymorphismes de restriction (RFLP) à l'aide de sondes spécifiques. Le principe général est la reconnaissance du chromosome porteur du gène anormal par le couplage entre des allèles de RFLP et le locus morbide. Ceci implique l'étude d'au moins 2 cas dans la famille et la reconstitution sans ambiguïté de la phase (nécessité de l'informativité familiale). Plus d'une demi-douzaine de sondes détectant des RFLP à moins de 3 centimorgans du locus morbide sont disponibles, et le diagnostic de certitude est voisin de 99 %.
Jean-Louis Stéphan