L'ulcère gastro-duodénal doit-il être considéré dorénavant comme une maladie infectieuse ? Depuis plusieurs années déjà des données scientifiques concordantes ont mis en évidence le rôle d'Helicobacter pylori dans la genèse de l'ulcère.
L'essai que vient de publier le New England Journal of Medicine ne fait que confirmer l'intérêt d'éradiquer ce micro-organisme pour supprimer les récidives. Cent quatre patients ayant une poussée d'ulcère duodénal confirmée par une endoscopie, associée à la présence d'H. pylori dans des biopsies antrales, ont fourni la population d'étude. Selon les résultats d'un tirage au sort, la moitié a été traitée en double aveugle par l'amoxicilline (750 mg trois fois par jour) et le métronidazole (500 mg trois fois par jour) pendant douze jours, tandis que l'autre moitié a reçu deux placebos d'aspect identique. Tous ont pris également un anti-H2 en une prise vespérale pendant six à dix semaines, pour assurer la cicatrisation de l'ulcère dans les deux groupes.
Des biopsies répétées ont montré l'éradication d'H. pylori chez 46 des 52 patients sous antibiothérapie, contre un seul des sujets sous placebo. Après six semaines, la cicatrisation de l'ulcère était également, mais significativement, plus fréquente sous antibiothérapie (92% contre 75% ; p = 0,011). Mais c'est à distance de la poussée que l'avantage du traitement antibiotique apparaît évident. Après un an de suivi, l'ulcère avait récidivé chez quasiment tous les malades sous placebo (42 sur 49), mais chez quatre seulement des cinquante patients sous antibiothérapie (86% contre 8% ; p < 0,001). Il n'était réapparu que chez un des 46 sujets chez qui H. pylori avait pu être éradiqué.
Une guérison durable
Bien qu'Helicobacter pylori ne soit certainement pas seul en cause dans le développement de l'ulcère, ces résultats prouvent que l'éradication du germe par douze jours d'antibiothérapie permet, comparée au placebo, d'obtenir la guérison durable d'un ulcère rédicivant. Mais il apportent en réalité peu d'arguments nouveaux, si ce n'est par le nombre des patients traités, par rapport à une étude hollandaise parue en 1990 dans le Lancet. La seule différence notable réside dans le fait qu'aucun patient n'a reçu de bismuth, qui associe à son action antimicrobienne un effet protecteur direct sur la muqueuse. L'innovation doit plutôt être recherchée dans l'éditorial qui accompagne l'article, où D. Graham édicte des règles de diagnostic et de thérapeutique qui montrent à quel point le monde de la gastro-entérologie est unanime à reconnaître le rôle d'H. pylori, ce dont témoignent également les déclarations récentes d'un groupe d'experts français réunis au sein du GEFH (Groupe d'études français sur l'Helicobacter).
Si l'on excepte les ulcères du syndrome de Zollinger-Ellison et ceux associés à la prise d'anti-inflammatoires non stéroïdiens, l'infection par H. pylori serait la condition nécessaire pour le développement des ulcères gastro-duodénaux, l'hyperacidité gastrique semblant alors jouer le rôle de cofacteur. En plus des tests sérologiques disponibles, d'une fiabilité encore très relative, un examen non invasif devrait, selon D. Graham, bientôt permettre de diagnostiquer facilement cette infection et de contrôler l'efficacité du traitement. H. pylori contenant une uréase est capable de "casser" la molécule d'urée avant son absorption. L'examen en cours d'évaluation consiste à administrer par voie orale de l'urée marquée au carbone 13 ou 14, puis à analyser l'air expiré. La détection de C02 signe la présence d'H. pylori.
En attendant la validation de cette méthode, le diagnostic d'infection par H. pylori impose l'endoscopie et les biopsie antrales. Si celles-ci sont négatives, il convient alors d'orienter l'enquête étiologique vers la prise d'anti-inflammatoires ou un syndrome de Zollinger-Ellison.
En revanche, si l'infection est confirmée, l'antibiothérapie s'impose, même si, estime D. Graham, le patient prenait également des anti-inflammatoires. La trithérapie, associant bismuth (deux comprimés quatre fois par jour) et deux antibiotiques, comme le métronidazole ou l'amoxicilline, pendant quatorze jours est le schéma thérapeutique actuellement retenu. Cependant, des travaux s'orientent actuellement vers une bithérapie, composée d'amoxicilline et d'un inhibiteur de la pompe à protons, l'oméprazole, également actif contre H. pylori.
Une maladie désespérément chronique pourrait, si ces résultats sont confirmés, être en voie de disparition. L'établissement d'un protocole thérapeutique capable d'assurer une guérison en apparence définitive ne marque pas pour autant la fin des recherches, qui devront s'orienter maintenant sur la manière dont H. pylori agit sur la muqueuse gastro-duodénale pour entraîner l'apparition d'ulcères, mais aussi, dans d'autres circonstances, de cancers gastriques.
Chantal Guéniot