Il y a dix ans apparaissaient dans la littérature les premières publications signalant l'efficacité d'un inhibiteur spécifique de la réplication de l'Herpès virus: l'aciclovir. R.J. Withley et J.W. Gnann consacrent dans le New England Journal of Medicine un important article de revue générale à l'antiviral actuellement le plus prescrit.
L'action inhibitrice de cet analogue synthétique d'un nucléoside purinique s'exerce sur le virus herpès humain (HSV1 HSV2), le virus Varicelle Zona (VZV), le virus Epstein-Barr (EBV) et le cytomégalovirus (CMV). Seules, les cellules infectées par ces virus peuvent réaliser la phosphorylation, par l'intermédiaire d'une enzyme virale, de l'aciclovir en ACV triphosphate, forme active de la molécule. L'ACV triphosphate empêche la réplication virale en inhibant l'ADN polymérase virale sans interférer sur le métabolisme de la cellule elle-même.
Indication principale : les infections à Herpès Virus
Les primo-infections génitales à Herpès virus peuvent être traitées par aciclovir topique, oral ou intraveineux. La forme topique, bien qu'elle soit capable de réduire le temps d'élimination virale et le délai d'apparition des croûtes est évidemment moins efficace que les deux autres formes. L'administration orale à la posologie de 200 mg 5 fois par jour pendant 10 jours reste la mieux adaptée en pratique courante, la voie intraveineuse n'étant réservée qu'aux formes particulièrement sévères ou survenant sur des terrains immunodéprimés. Le traitement de la primo-infection n'a cependant aucun impact sur la survenue de récurrences.
En cas de récurrence, l'ACV n'apporte un bénéfice réel que s'il est institué précocement au cours de la phase prodromale ou érythémateuse (200 mg 5 fois par jour pendant 5 jours VO). Les administrations prolongées d'ACV ne sont opportunes que chez les patients atteints de récurrences fréquentes. La prise journalière d'ACV (400 mg 2 fois par jour ou 200 mg 4 fois par jour) réduit la fréquence des récurrences jusqu'à 80% et 25 à 30% des patients ne présentent aucune récurrence pendant la durée du traitement selon une étude comprenant un suivi de 3 ans.
La survenue d'une résistance à l'ACV est extrêmement rare chez les sujets normaux, elle est plus fréquente chez les sujets immunodéprimés.
Dans le traitement de l'herpès oro-labial, il semble qu'il faille encore opter pour la voie orale (200 mg 5 fois par jour pendant 5 jours), la voie topique paraissant moins efficace selon les auteurs. A cette posologie, on obtient une diminution du délai de chute des croûtes (7 jours au lieu de huit) mais l'effet sur les douleurs et la survenue d'une guérison complète est peu probant. Une dose plus importante (400 mg 5 fois par jour pendant 5 jours, administrée dès la phase prodromale est, par contre, susceptible de réduire la durée des douleurs de 36% et le délai de chute des croûtes de 27%. En ce qui concerne la prévention des récurrences, on ne dispose actuellement d'aucune donnée relative à l'intérêt d'une administration prolongée d'ACV. Par contre, il apparaît que la prise d'aciclovir (200 mg 5 fois par jour) de manière prophylactique diminue significativement la symptomatologie des herpès solaires récurrents. A proposer donc chez les sujets à risque envisageant une activité favorable au développement d'un herpès (ski, exposition solaire intense, etc).
Chez les sujets immunodéprimés, les infections herpétiques sont volontiers plus sévères ou plus chroniques. Le recours à la voie intraveineuse est ici très utile à la dose de 5 mg/kg en IV toutes les 8 heures pendant 7 à 10 jours. La voie orale est également très efficace, les posologies recommandées étant de 200 à 400 mg per os 5 fois par jour pendant 10 jours.
L'administration prophylactique orale ou intraveineuse d'aciclovir aux patients immunodéprimés, particulièrement ceux recevant une chimiothérapie préparatoire à une transplantation, réduit significativement l'incidence des infections symptomatiques à Herpès virus (de 70 à 20%)
L'encéphalite herpétique reste d'un pronostic relativement sombre en dépit de l'institution d'un traitement antiviral. Cependant, l'administration d'ACV à la dose de 10 mg/kg toutes les 8 heures pendant 10 à 14 jours réduit la mortalité à trois mois de 19% par rapport aux patients traités par vidarabine pour lesquels la mortalité est estimée à 50 %. Là encore, plus le traitement est institué rapidement c'est-à-dire avant la période comateuse ou semi-comateuse, meilleur est le pronostic avec des chances de retrouver des fonctions normales.
Parmi les infections néonatales, on distingue des infections localisées (yeux, peau, bouche) ou touchant le système nerveux central, ou disséminées.
Dans une étude comparative, il a pu être montré que l'ACV est aussi efficace que la vidarabine chez le nouveau-né. Aucun bébé n'ayant d'infections localisées n'est décédé, contrairement à 18% des nouveau-nés ayant une atteinte du SNC et 55% de ceux ayant une atteinte disséminée, ce qui souligne l'intérêt d'une administration précoce avant l'atteinte du SNC. L'innocuité de l'aciclovir et sa facilité d'administration en font un traitement de choix dans cette indication.
La dose recommandée est de 10 mg/kg toutes les 8 heures.
D'autres infections herpétiques sont également sensibles à l'aciclovir : infections pulmonaires, œsophagite, proctite, eczéma herpeticum, érythème polymorphe, panaris herpétique. Dans l'atteinte oculaire superficielle, l'ACV topique est efficace mais probablement non supérieur à la trifluridine.
Varicelle et zona
Chez l'enfant immunocompétent présentant une varicelle, l'administration d'aciclovir, même si elle est capable de réduire le nombre de lésions, l'importance des signes constitutionnels et la durée de la phase d'apparition de nouvelles lésions (d'un jour) paraît n'avoir que peu d'intérêt. Par contre, elle pourrait être plus indiquée chez l'adulte, souvent plus sévèrement atteint.
Dans une étude récente (2) contrôlée, comparant l'ACV à un placebo, il a pu être montré une diminution du nombre des lésions et du temps de formation des croûtes, de la fièvre et des autres symptômes chez les seuls patients adultes atteints de varicelle ayant reçu 800 mg d'aciclovir per os 5 fois par jour pendant 7 jours, dans les 24 heures suivant le début de l'éruption. Débutée après ce délai, l'administration d'ACV n'a pas d'intérêt chez les adultes présentant une varicelle non compliquée. Par contre, l'aciclovir intraveineux réduit significativement la morbidité et la mortalité liées à la varicelle des patients immunodéprimés.
En ce qui concerne le zona, l'ACV par voie intraveineuse accélère la guérison et réduit la sévérité des névrites aiguës du zona. Selon les auteurs, il reste sans effet sur les névralgies post-herpétiques.
Cependant, R.J. Crooks et coll. ont analysé les données de quatre études (plus de 600 patients au total) comparant au cours du zona l'administration d'aciclovir par voie orale à la dose "standard" de 800 mg 5 fois par jour, à celle d'un placebo et montre que toutes ces études sauf une reflètent un effet positif de la prise d'aciclovir sur les névralgies post-herpétiques dont l'incidence se trouve être réduite de 42% (3).
Si le traitement peut être institué dans les 48 premières heures suivant le début de l'éruption et si le zona est très localisé, le traitement par voie orale peut être proposé à la dose de 800 mg 5 fois par jour pendant 7 à 10 jours, amenant une réduction de la phase de formation de nouvelles vésicules et prévenant certaines complications (kératite et uvéite du zona ophtalmique par exemple). Chez le sujet immunodéprimé, l'aciclovir par voie intraveineuse réduit le risque de dissémination cutanée et de complications viscérales. La posologie est de 10 mg/kg toutes les 8 heures pendant 7 à 10 jours.
Autres indications
L'ACV n'est pas efficace dans le traitement des infections à CMV, néanmoins son administration en prévention réduit la fréquence des infections à CMV après transplantation (de 38 à 22% dans une étude). De même, l'ACV diminue l'élimination virale des infections oropharyngées à Epstein-Barr virus sans avoir d'effet sur l'évolution clinique. Par contre, les infections plus sévères à EBV (pneumonies, leucoplasie orale chevelue) semblent répondre à l'aciclovir.
L'ACV peut également être utile dans les infections exceptionnelles à Herpès virus simien. Il a pu également être proposé en association à l'interféron dans le traitement des hépatites B et à la zidovudine dans le traitement du SIDA sans qu'on dispose, à l'heure actuelle, d'indications sur le bénéfice réel de ces associations thérapeutiques.
Résistances, mais absence de toxicité
On a vu apparaître ces dernières années des résistances à l'aciclovir liées à des mutations au niveau du gène viral, entraînant l'absence ou la déficience de la thymidine kinase.
Ce phénomène, qui reste rare, concerne exclusivement les sujets infectés par l'HIV et les sujets immunodéprimés. Les souches d'Herpès virus résistantes à l'aciclovir restent sensibles au foscarnet et à la vidarabine. La résistance des VZV apparaît encore plus exceptionnelle.
L'aciclovir reste un traitement exceptionnellement bien toléré qui n'a donné lieu qu'à très peu d'effets secondaires. Des perturbations rénales toujours réversibles ont été rapportées chez des sujets recevant de fortes doses en perfusion rapide et les risques diminuent lorsque la perfusion est faite lentement en assurant une hydratation suffisante.
L'administration d'aciclovir au cours de la grossesse ne semble pas présenter de risque particulier pour la mère et l'enfant si l'on en juge d'après les cas rapportés. Ceux-ci sont toutefois trop peu nombreux pour tirer des conclusions définitives.
En d'autres termes, si aucun effet tératogène documenté n'est noté à ce jour, la parfaite innocuité de l'aciclovir administré au cours de la grossesse reste à démontrer.
1) Whitley R.J.et coll. : "Acyclovir a decade later". New.Engl.J.Med., 1992 ; 327, 11 : 782-790.
2) Wallace M.R. : "Treatment of adult varicella with oral acyclovir". Annals of int. med., 1992 ; 117, 5 : 358
3) Crooks R.J. et coll. : "Zoster associated chronic pain : an overview of clinical trials with acyclovir". The Scandinavian Journal of infectious diseases. 1991. Suppl. 78: 62-68.
Nicole Auffret