Selon les séries, 3 à 21 % des patients atteints d'arthrite goutteuse ont des tophus, dont la prévalence est corrélée à l'importance de l'hyperuricémie et à l'ancienneté de la maladie (50 % quand la goutte évolue depuis plus de 10 ans). La goutte tophacée est volontiers polyarticulaire et émaillée d'attaques rapprochées.
Une situation a priori paradoxale
Il est cependant possible de rencontrer des tophus avant toute manifestation articulaire, bien que cela demeure exceptionnel. Six cas ont été observés en 5 ans par les rhumatologues de Portland, alors qu'environ 200 gouttes étaient diagnostiquées dans la même période. Les patients n'avaient jamais eu de crise douloureuse articulaire et étaient adressés pour une tuméfaction ou une déformation para-articulaires. Deux avaient une certaine raideur des articulations des mains. Dans un cas, il s'agissait de l'inflammation récente d'une tuméfaction ancienne de la phalange proximale du gros orteil, sans atteinte articulaire, ayant fait craindre une ostéomyélite. Les radiographies osseuses montraient dans cette observation une destruction de la phalange, mais pour les autres patients, des articulations intactes ou arthrosiques. Chaque fois, le diagnostic a été affirmé par l'examen en lumière polarisée du matériel éliminé spontanément ou retiré par le chirurgien.
En ajoutant ces 6 cas à 26 observations de la littérature, on remarque que les 3/4 des patients sont des femmes, âgées de plus de 65 ans et qui ont une atteinte des doigts des mains. On trouve seulement quelques atteintes des orteils. Les autres localisations concernent des cas isolés : coude, genou, oreille, panniculite tophacée de la face antérieure des chevilles, pseudo-tumeur du sein. L'hyperuricémie est quasi constante ainsi qu'une insuffisance rénale modérée. Six cas étaient satellites d'une hémopathie maligne. De nombreux patients avaient reçu des AINS et des diurétiques.
Bien que le recul dépasse 20 ans dans une des observations, une seule patiente a développé par la suite une atteinte articulaire.
Rôle de l'insuffisance rénale et des médicaments
Le grand âge, le sexe féminin, le taux de créatinine qui monte, la prise des diurétiques et d'anti-inflammatoires ne sont pas bien sûr des facteurs indépendants. La goutte est plus rare et plus tardive chez les femmes, dont elle atteint volontiers les mains. L'insuffisance rénale et les diurétiques favorisent l'hyperuricémie. La goutte du sujet âgé est caractérisée par une évolution plus subaiguë, dont les symptômes peuvent peut-être avoir été masqués par des prises intermittentes d'AINS pour une autre indication. Enfin, on sait que la présence de cristaux d'urate dans une articulation n'est pas une condition suffisante à la survenue d'une arthropathie goutteuse et que d'autres facteurs doivent intervenir.
La vérité dans l'alcool
L'absence de goutte articulaire ne doit donc pas faire récuser la possibilité de tophus en présence de lésions sous-cutanées qui peuvent en imposer cliniquement pour une infection ou une tumeur. Il peut être alors utile de fixer les prélèvements cutanés dans l'alcool absolu, le formol ou le Bouin pouvant dissoudre les cristaux d'urate.
François Blanc
Wernick R. et coll. : "Tophi as the initial manifestation of gout". Arch. Intern. Med., 1992 ; 152 : 873-876.
BLANC FRANCOIS