PROLACTINE : UN NEUROPEPTIDE IMMUNOMODULATEUR ?

Prolactine : un neuropeptide immunomodulateur ?

Les systèmes immun et neuro- endocrinien, deux complexes majeurs de régulation, paraissent intimement liés : ils interviennent en effet tous deux dans l'interaction de l'organisme avec l'environnement, la mémoire et l'orchestration de différents effets sur des cellules situées localement ou à distance, sans oublier que les cellules immunes expriment l'ARNm des hormones hypophysaires et qu'il existe des récepteurs de ces hormones sur leurs parois cellulaires. En particulier, la prolactine pourrait avoir un rôle important comme régulateur des fonctions immunes et notamment sur la capacité de promouvoir la croissance ou la différenciation cellulaire, et également comme immuno-stimulant.

Rappel de structure

La prolactine est connue depuis 1928. Responsable de la sécrétion lactée, elle intervient aussi dans l'osmorégulation, la croissance et le développement, la reproduction, le métabolisme glucidique et lipidique. Il s'agit d'un peptide formé de 198 acides aminés d'un poids moléculaire de 23 500 daltons et de forme globulaire. Sa synthèse est essentiellement hypophysaire mais a aussi été mise en évidence dans le chorion, l'endomètre, quelques cellules tumorales, les lymphocytes T et B. La sécrétion hypophysaire s'effectue selon un rythme circardien, sous le contrôle de l'hypothalamus ; sa libération est aussi sous la dépendance d'un facteur stimulant tel que la TRH, le VIP, l'ocytocine, la galanine ou la sérotonine. D'autres substances pourraient moduler la sécrétion de prolactine, soit en l'augmentant comme le PAF ou l'IL6, en la diminuant comme l'interféron gamma ou le TNF alpha,ou bien avoir une action ambivalente comme l'IL1 ou la substance P.

Le gène de la prolactine est localisé sur le bras court du chromosome 6, qui est également le siège du complexe majeur d'histocompatibilité.

Prolactine et arthrite à adjuvant

Le développement d'une arthrite induite par l'adjuvant de Freund chez le rat est supprimé si une hypophysectomie est réalisée : cette "immuno-déficience" est réversible après traitement par la prolactine ou l'hormone de croissance (ou encore par l'hormone lactogène placentaire).

De même, le traitement des rats par la bromocriptine inhibe les réactions immunes suivantes : réaction cutanée au dinitrochlorobenzène, encéphalite allergique expérimentale, formation des anticorps contre les globules rouges de mouton et le lipopolysaccharide bactérien, activité tumoricide des macrophages intrapéritonéaux après injection de listéria ou de mycobactéries. La production par les lymphocytes spléniques d'interféron gamma est également diminuée chez la souris traitée par bromocriptine et l'administration concomitante de prolactine inhibe cet effet.

Le blocage de la sécrétion de prolactine par d'autres substances a les même conséquences : la prolactine apparaît en effet jouer un rôle de médiateur dans la réaction immune agissant principalement sur les fonctions lymphocytaires et, de façon secondaire, sur la fonction macrophagique. A noter enfin que la prolactine intervient aussi dans la polyarthrite au collagène de la souris (suppression de l'exacerbation de la maladie dans la période de post-partum par la bromocriptine).

Prolactine et fonction lymphocytaire

L'action de la prolactine paraît porter sur les cellules T notamment sur la production d'interféron gamma par le lymphocyte T. Les effets in vitro de la prolactine sur la prolifération lymphocytaire ont été étudiés : si l'addition de prolactine ne semble pas entraîner de modification, en revanche l'adjonction d'anticorps anti-prolactine provoque une inhibition de la prolifération cellulaire, les anticorps aux autres hormones pituitaires n'ayant aucun effet. Cette inhibition paraît spécifique des cellules dépendantes des facteurs de croissance (blocage de la phase G1 à la phase S). On peut donc penser que les lymphocytes synthétisent une protéine immuno-réactive prolactine-like qui aurait un rôle important sur la prolifération normale des lymphocytes, en réponse aux mitogènes ou aux facteurs de croissance. La prolactine pourrait en effet avoir une activité mitogène sur les lymphocytes T : en particulier, elle paraît être co-mitogène avec la concanavaline A. Enfin, in vitro, elle induirait l'apparition de récepteurs à l'IL2 à la surface des lymphocytes (ce qui a été confirmé par cytométrie de flux).

La prolactine : une nouvelle cytokine ?

Un faisceau d'arguments permet de suggérer que la prolactine est non seulement une hormone mais égalemnet une cytokine.

Ainsi, il existe des récepteurs à la prolactine sur les lymphocytes T, B, et les monocytes murins et spléniques humains (environ 360 par cellule). On sait aussi que la prolactine est mitogène vis-à-vis des cellules du lymphome Nb2T et que la ciclosporine bloque l'activité de synthèse de la prolactine des lymphocytes thymiques et spléniques du rat.

La liaison prolactine-lymphocytes peut être augmentée ou diminuée par la ciclosporine en fonction de la concentration de ce produit. Chez le rat, la cyclosporine A augmente le taux sérique de prolactine, cette élévation étant bloquée par la bromocriptine. Il est donc possible que la prolactine intervienne dans le mécanisme de l'immuno-suppression induite par la cyclosporine A.

L'immuno-modulation induite par la prolactine pourrait être une des actions principales de l'hormone. On sait, en effet, que la prolactine intervient dans la maintenance de la compétence des cellules T : la baisse du taux sérique de prolactine entraîne une diminution de la réponse des lymphocytes à la stimulation antigénique chez le rat. Cet effet dépend de la présence de prolactine à la surface de la membrane des lymphocytes.

La présence de l'hormone sur les lymphocytes entraînerait l'apparition d'un deuxième signal (prolactin related peptide, différent de la prolactine par son poids moléculaire de 46 kilo daltons) qui viendrait amplifier la réponse de la cellule produisant la cytokine (action autocrine) ou bien la réponse mitogène d'autres lymphocytes (action exocrine). A noter, en outre, que la prolactine est également synthétisée par des cellules humaines lymphoblastoïdes : cette sécrétion serait régulée par la dexaméthasone.

Au total, l'action proliférative de la prolactine sur les lymphocytes pourrait résulter après sécrétion de l'hormone par l'hypophyse, de la capacité des cellules activées B ou T à se diviser et à produire un facteur prolactine-like avec mécanisme autocrine et paracrine.

Prolactine et protéines kinases C

L'activation mitogène des lymphocytes T comprend la phosphorylation d'un grand nombre de protéines. Ce processus nécessite la présence de protéines kinases C qui doivent être stimulées. In vitro, la prolactine provoque une activation rapide et importante de la protéine kinase C de cellules murines de foie ou de rate. Cette activité dose-dépendante est bloquée par des anticorps monoclonaux anti-récepteurs de prolactine. Cette action serait liée à la présence de récepteurs à la prolactine libres dans le noyau cellulaire : il est possible que la réaction induise la synthèse de récepteurs à l'interleukine 2 des lymphocytes spléniques murins.

Prolactine et cellules NK

La destruction de la région tubéro-infundibulaire de l'hypothalamus conduit à une diminution de l'activité des cellules NK chez la souris. Cette dernière est aussi significativement abaissée chez les patients hyperprolactinémiques non traités par rapport aux sujets normaux, et l'administration de bromocriptine restaure la fonction de ces cellules.

Les cellules NK hautement purifiées expriment des récepteurs pour la prolactine dont la liaison est inhibée par la cyclosporine A.

Prolactine et pathologie auto-immune

La prévalence des anticorps anti-mitochondriaux et anti-thyroglobulines est significativement plus importante chez les patientes atteintes d'hyperprolactinémie par rapport aux sujets normaux ou acromégales. Parfois, de tels anticorps disparaissent après traitement par Parlodel. Ceci pourrait être lié à une stimulation non spécifique de la fonction lymphocytaire B par la prolactine.

Le taux sérique de prolactine serait supérieur chez les hommes atteints de lupus (7/8 étudiés par Lavalle en 1987 avaient un taux supérieur à la normale) ; les patientes lupiques enceintes ont une prolactinémie plus élevée que des femmes enceintes non lupiques, le taux sérique pouvant être corrélé à l'activité du lupus. La prolactine pourrait de ce fait participer à l'immuno-pathogenèse lupique : certaines complications neuro-psychiatriques réfractaires du lupus ont d'ailleurs été traitées avec succès par la bromocriptine et les immunoglobulines intraveineuses. A noter aussi que la bromocriptine diminue la mortalité des souris femelles NZB/B.

La prolactine suit un rythme diurne avec un maximum de sécrétion à 3 heures et un minimum à 15 heures , comparable en cela au rythme du cortisol. Les patients ayant une polyarthrite rhumatoïde ont, à deux heures, un taux sérique de prolactine significativement supérieur à celui de témoins alors que leur rythme cortisolique reste identique à celui des contrôles. Un aspect similaire a été observé au cours du lupus actif.

La bromocriptine a pu entraîner la régression d'une iridocyclite associée dans certains cas à une spondylarthrite. Cet antagoniste de la prolactine pourrait potentialiser l'action de la cyclosporine A sur les uvéites auto-immunes expérimentales et le titre des anticorps anti-S. En revanche, l'addition de bromocriptine chez six des douze patients atteints de polyarthrite rhumatoïde traitée par ciclosporine n'a pas apporté d'amélioration supplémentaire (Dougados).

Le taux sérique de prolactine au cours du rhumatisme psoriasique n'a jamais été étudié mais chez 35 patients atteints de polyarthrite psoriasique traités par bromocriptine (2,5 à 30 mg/jour), une rémission significative a pu être observée dans 77 % des cas ( et voir encadré p. 6).

La prolactine pourrait aussi être un marqueur prédictif du rejet des greffons cardiaques, sa concentration augmentant 2 et 8 jours avant le rejet. A cet égard, la ciclosporine pourrait exercer un effet immuno-suppresseur par liaison aux récepteurs de la prolactine sur les cellules T, de façon compétitive : les augmentations épisodiques de la prolactine circulante déplaceraient par compétition la liaison de la ciclosporine aux récepteurs lymphocytaires.

Enfin, la prolactine pourrait réguler la périodicité circadienne des cellules T CD4 et CD8 par des effets sur la migration de ces cellules.

Conclusions et perspectives

- Chez la souris, l'hyposécrétion de prolactine est associée à une suppression de la réponse cellulaire T dépendante. A l'inverse, l'hypersécrétion abolit la suppression immune induite par le stress, l'hypercortisolémie ou la ciclosporine.

- In vivo et in vitro, prolactine et corticostéroïdes exercent des effets opposés.

- Un peptide prolactine-like serait induit par les cellules T stimulées et pourrait agir comme facteur de croissance autocrine ou de façon paracrine. Les différents facteurs physiologiques ou pharmacologiques contrôlant, d'une part l'expression de ce peptide , et d'autre part ses propriétés fonctionnelles propres sont en grande partie obscurs.

Au total, le rôle immuno-régulateur de la prolactine reste donc encore mal connu, mais paraît avoir une importance clinique notable. Il peut d'ores et déjà constituer le support d'essais contrôlés des inhibiteurs de la sécrétion de prolactine sur les rhumatismes inflammatoires.

Didier Alcaix

Jara L. J. et coll. : "Prolactin immuno-regulation and auto-immune diseases". Seminars Arthritis Rheum., 1991 ; 20 : 273-285.

Chikanza I. C. et Panayi G. S. :"Hypotalamic, pituitary mediated regulation of immune function : prolactine as a neuro-immune peptide". Br. J. Rheum. , 1991 ; 30 : 203-207.

ALCAIX DIDIER

Copyright © http://www.jim.fr

Réagir

Vos réactions

Soyez le premier à réagir !

Les réactions aux articles sont réservées aux professionnels de santé inscrits
Elles ne seront publiées sur le site qu’après modération par la rédaction (avec un délai de quelques heures à 48 heures). Sauf exception, les réactions sont publiées avec la signature de leur auteur.

Réagir à cet article