ADRENALINE : UN PEU, BEAUCOUP, PASSIONNEMENT...

Depuis sa codification en 1960 par Kouwenhoven, la réanimation cardio-respiratoire n'a pas subi de grandes modifications dans ses principes fondamentaux. Même si des polémiques se sont développées par intermittence (par exemple, dès 1974, celle de l'énergie électrique minimale nécessaire pour une défibrillation efficace), les concepts classiques n'ont pas été remis en cause. Ainsi en témoignent les propositions publiées dans le JAMA par l'Association Américaine de Cardiologie, celles de 1980 comme celles d'octobre 1992.

Des "guidelines" immuables...

L'injection d'adrénaline est utilisée depuis une bonne dizaine d'années pour son effet alpha-agoniste augmentant les résistances artérielles systémiques, et donc l'efficacité du massage cardiaque externe (MCE). Elle est particulièrement utilisée chez les patients en asystolie, en cas de dissociation électromécanique ou de fibrillation ventriculaire résistant au choc électrique.

...ou presque

L'emploi de l'adrénaline a fait l'objet de discussions portant sur la voie d'administration et, plus récemment, sur les doses à employer. Ainsi, la posologie de 1 mg, usuellement recommandée chez l'adulte, se fondait sur des expérimentations réalisées chez le chien et sur les thérapeutiques mises en œuvre par les chirurgiens, l'injection étant réalisée par voie intra-cardiaque De récentes études, toujours réalisées chez l'animal, préconisaient l'administration de 0,07 à 0,2 mg/kg alors que les doses recommandées par l'American Heart Association sont dix fois plus faibles. Chez l'homme, les investigateurs ont montré que des doses de 5 à 14 mg permettaient d'obtenir de meilleurs résultats hémodynamiques mais seuls de petits essais, sans valeur statistique, ont jusqu'alors été réalisés.

Une étude randomisée

Pour que les choses changent enfin, une étude randomisée, longtemps attendue, vient d'être réalisée entre décembre 1989 et janvier 1992 chez 650 patients en arrêt cardiaque. Ceux-ci ont reçu soit une dose standard de 1 mg d'adrénaline (n=333), soit une dose élevée, de 7 mg, (n=317). L'administration pouvait être répétée 5 fois à intervalles de 5 minutes. Aucune différence significative n'a été notée entre les deux groupes en faveur de la posologie élevée quant à la survie à 1 heure : celle-ci était de 18 % contre 23% pour la posologie dite standard (p=0,12). De même, le nombre des malades survivants à leur sortie de l'hôpital s'est révélé superposable dans les deux groupes (respectivement 3 et 5 %, p=0,38). L'état neurologique après réanimation a été tout à fait satisfaisant et équivalent quelle que soit la dose administrée (90 vs 94%, p=0,24), et les scores moyens au "Mini Mental State" sont restés très proches (36 points contre 37).

Quant aux sujets initialement réanimés avec succès mais décédés à l'hôpital, leurs pressions systolo-diastoliques et leur fréquence cardiaque ne différaient pas à une heure. De même, le nombre de chocs électriques externes nécessaires en cas de tachycardie ou de fibrillation ventriculaire n'a pas été plus fréquent lorsque des doses élevées avaient été administrées. Les posologies élevées d'adrénaline semblent donc n'apporter aucun bénéfice supplémentaire, que les sujets aient fait leur arrêt au sein de l'hôpital ou à l'extérieur.

Chez certains patients, l'administration de doses élevées semble même avoir eu un effet délétère, la réanimation aboutissant plus souvent à un échec lorsque l'adrénaline a été donnée plus de 10 minutes après l'arrêt cardio-circulatoire.

Dose recommandée : 1 mg

Ainsi, contrairement à d'autres essais, cette analyse n'a pas pu faire la démonstration d'un meilleur pronostic après administration de hautes doses d'adrénaline. Que l'arrêt ait eu lieu à l'intérieur ou à l'extérieur de l'hôpital et quel que soit le sous-groupe de patients, aucun bénéfice n'a pu être mis en évidence. Il reste à craindre que la drogue "miracle" soit encore pour longtemps une utopie.

 

Stiell I. et coll. : "High-dose epinephrine in adults cardiac arrest." N. Engl. J. Med, 1992 ; 327 : 1045-1050.

Joëlle Chahbenderian

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