EVOLUTION DES THROMBOSES ASSOCIEES AUX APL

Les anticorps dirigés contre les antiphospholipides anioniques (APL) sont statistiquement associés à un risque accru de thromboses veineuses, artérielles ou placentaires. Ils sont fréquemment retrouvés dans le lupus systémique (25 à 50 %), les avortements spontanés à répétition (10 à 40 %), les phlébites et les accidents vasculaires cérébraux (AVC) récidivants des sujets jeunes.

Le risque thrombotique n'est pas quantifiable de façon précise chez un sujet donné. Il est faible ou nul quand l'APL est une anomalie biologique isolée (1 à 2 % de la population générale) ou suscitée par la prise de chlorpromazine, par une infection ou un SIDA. Il semble au contraire d'autant plus grand que le patient est porteur d'autres auto-anticorps (fausse sérologie tréponémique, antinucléaire), d'une thrombopénie, ou plus encore un lupus patent ou un antécédent de thrombose. Pour les différentes formes du "syndrome des antiphospholipides", il n'existe pas de thérapeutique universellement admise. Une étude rétrospective envisage le devenir après une première thrombose de 70 patients suivis pendant 5 années en moyenne (361 années- patients).

Soixante-dix patients

Ces malades, vus entre 1986 et 1991, n'avaient pour 10 d'entre eux pas encore fait de thrombose à la première consultation, la recherche d'APL ayant été faite pour une autre raison.

Trente-cinq avaient fait un seul épisode thrombotique et 25 en avaient fait plusieurs. Soixante-neuf pour cent étaient des femmes. L'âge allait de 26 à 70 ans (45,5 en moyenne), les femmes étant en moyenne 10 ans plus jeunes que les hommes. Dans 73 % des cas, l'APL apparaissait primitif, tandis qu'il s'associait dans 20 % des cas à un lupus et dans 7 % à un purpura thrombopénique idiopathique (PTI).

Les anticorps anticardiolipines ont été mesurés en ELISA. Les résultats sont exprimés en déviations standards ou, pour les dosages récents, en unités PL. Le titre est considéré comme faible entre 3 et 4,9 DS (21 et 40 UPL), moyen entre 5 et 7,9 DS (41 et 80 UPL), élevé au-delà, la valeur prise en compte étant celle de l'isotype (IgA, IgG ou IgM) le plus positif. De même, le titre de l'anticoagulant lupique par le test de neutralisation utilisant des phospholipides de cervelle de lapin est classé en faible (0,17 à 0,29 U), moyen (0,30 à 0,69 U) ou élevé (plus de 0,70 U).

Etaient considérés comme ayant un APL les patients positifs pour le test ELISA ou pour la recherche d'anticoagulant lupique, ou ceux surveillés initialement pour une activité antiprothrombinase détectée par une autre technique ou une fausse sérologie tréponémique, mais chez qui le diagnostic a été confirmé ultérieurement par un de ces deux tests. Pour la plupart des patients, l'APL a été décelé dans l'année suivant le premier épisode d'occlusion vasculaire.

Quatre malades avaient d'emblée un lupus ou un PTI. Dans les 21 cas restants, l'APL a été découvert à distance de la première thrombose.

Onze patients recevaient des corticoïdes quand est survenue la première thrombose. Quarante-six pour cent avaient des facteurs de risque autres que l'APL : tabac (13), grossesse ou post-partum (8), traitement par estrogènes (6), suites d'intervention chirurgicale (3) ou insuffisance veineuse (2).

La thrombose était veineuse dans 39 cas, concernant presque toujours les veines profondes des membres inférieurs, avec ou sans embolie pulmonaire. Quelques cas se localisaient au membre supérieur (1), aux veines sus-hépatiques (2), aux veines rénales (1) ou intracraniennes (1).

Les 31 autres patients ont fait une première occlusion artérielle, le plus souvent dans le territoire carotidien (AVC : 17, rétine : 2, amaurose transitoire (1) ou à l'extrémité d'un membre (8). Un patient a fait un infarctus du myocarde, deux autres un infarctus mésentérique.

Cinquante-trois pour cent
de récidives à 5 ans

Même s'il s'agit d'un recrutement très spécialisé, la fréquence des récidives thrombotiques est impressionante.

Trente-sept des 70 patients ont récidivé une ou plusieurs fois, totalisant à eux tous 53 épisodes. Huit d'entre eux étaient pourtant sous corticoïdes, un neuvième sous corticoïdes et azathioprine. Chez ces récidivistes, le poids des facteurs de risque autre que l'APL tombe de moitié, beaucoup ayant abandonné le tabac ou la pilule après le premier accident.

Les récidives étaient dans 26 cas veineuses (membres inférieurs avec ou sans embolie pulmonaire : 19, phlébites superficielles : 5, membre supérieur : 1, veine mésentérique : 1). Elles touchaient une artère dans 27 cas, dans le territoire carotidien (AVC : 10, accident ischémique transitoire : 8, rétine : 1), une artère distale, un tronc coronarien (2 sujets), dans l'artère mésentérique (2) ou d'une artère spinale (1).

L'existence d'une thrombopénie dans 2 cas (22 000 et 40 000 plaquettes), d'une hypoprothrombinémie dans un autre (facteur II entre 6 et 24 %), montre que ces circonstances biologiques d'hypocoagulabilité ne mettent pas à l'abri d'une thrombose.

Trois patients sont morts. Le premier dans un tableau de ramollissement cérébral massif avec phlébite du membre inférieur paralysé et anurie. L'autopsie a montré une endocardite non-infectieuse ainsi que des infarctus rénaux et des embolies pulmonaires multiples. Le second a succombé aux complications générales d'infarctus cérébraux multiples. Le dernier décès est dû à des complications non-thrombo-emboliques de lupus.

Persévérence dans le type de vaisseau atteint

Quand le premier épisode était veineux (23 patients), la récidive a été beaucoup plus souvent veineuse (26 récurrences sur 31) qu'artérielles (5/31). De même, quand le premier accident était artériel (14 patients), la récidive a toujours été artérielle (23 épisodes) dans cette série. Au total, 91 % des récidives concernent le même type de vaisseau que l'accident initial. Les occlusions dans le territoire carotidien sont particulièrement sujettes à se répéter. Neuf sujets ayant eu un premier épisode dans ce territoire totalisent 15 récidives, dont 14 dans le territoire carotidien.

Deux explications possibles s'opposent. Ou bien il s'agit de deux sous-groupes distincts d'anomalies de l'hémostase, ou bien au contraire, il existe une anomalie anatomique vasculaire déclenchante qui persiste d'un épisode occlusif à l'autre.

Pour les phlébites, l'hypothèse de défauts valvulaires et pariétaux préalables est assez plausible.

Pour les thromboses artérielles carotidiennes, l'écho-doppler ne montrait une anomalie pariétale que chez un patient sur 9, porteur de séquelles d'endocardite. Cependant l'échographie cardiaque est insuffisante pour éliminer chez ces patients la possibilité d'une endocardite non-infectieuse, dont on sait qu'elle est souvent associée à l'APL. Il pourrait donc y avoir là une cause occulte aux récidives thrombo-emboliques artérielles.

Seul traitement efficace : les coumariniques à bonne dose

Trente-trois patients n'ont reçu ni aspirine, ni anticoagulants coumariniques (AVK), ni héparine. Leur taux de récurrence est de 0,19 par patient-année.

Cinquante-cinq patients ont reçu de la warfarine (AVK), associée dans une petit nombre de cas à l'aspirine. Sept ont récidivé (9 épisodes en tout), soit 0,05 par patient-année. Sur ces 9 thromboses, 6 se sont produites sous AVK à doses faibles (international normalized ratio inférieur à 2), 3 avec des doses intermédiaires (INR entre 2 et 3), et aucune avec de fortes doses (INR supérieur à 3). Cinq complications hémorragiques non fatales (0,031 par année-patient) se sont produites sous AVK. Les plus sérieuses étaient 2 hématomes sous-duraux et une hémorragie pulmonaire.

Le traitement AVK à bonne dose est le seul pour lequel apparaisse une différence nettement significative avec l'abstention, quant à la survenue de récidives thrombo-emboliques. Le taux de complications hémorragiques ne semble pas majoré par la présence de l'APL.

Douze patients seulement (7,5 années-patients) ont reçu de l'héparine, ce qui ne permet pas de conclure formellement.

Quelques échecs retentissants donnent tout de même des inquiétudes sur l'efficacité de ce traitement. Quatre thromboses se sont produites, 2 lorsque l'héparine était administrée à doses prophylactiques et 2 à doses anticoagulantes. Sous héparine à forte doses, une patiente enceinte a fait au troisième trimestre des embolies pulmonaires multiples.

Une autre a fait en fin de grossesse une thrombose veineuse iliaque qui a continué à progresser sous traitement en post-partum.

Ces accidents ne sont pas liés à des thrombopénies à l'héparine. Aucune complication hémorragique ne s'est produite sous héparinothérapie.

Vingt-trois patients ont reçu de l'aspirine (37,8 années-patients) le plus souvent (20) pour des accidents thrombo-emboliques artériels. Dix patients totalisent 12 récidives (0,32/p-a) dont 2 mortelles.

Aucune complication hémorragique ne s'est produite. L'efficacité est donc moins bonne que dans le groupe non traité ! Cela s'explique en partie par la composition particulière du groupe aspirine, mais ne laisse pas une impression enthousiasmante.

APL associé à un lupus
ou à un PTI

Chez les patients ayant un lupus systémique ou un PTI, la présentation clinique des thromboses ne se distingue pas de celle des APL primitifs. Là encore la thrombopénie ne met pas à l'abri des thromboses, puisqu'elle existait au moment de la récidive chez 5 des 14 LE et 3 des 5 PTI. L'occlusion vasculaire peut se produire en dehors de toute poussée évolutive de la maladie et n'est pas régulièrement prévenue par les traitements immunosuppresseurs.

Les lupiques ont fait 24 thromboses, dont 17 sous corticothérapie, et un PTI sous corticoïdes et azathioprine a fait 2 thromboses. Un seul patient lupique avait un aspect angiographique mixte suggérant l'association d'une vascularite à la thrombose carotidienne. Ce sous-groupe est trop petit pour une évaluation statistique des traitements. Cependant, 3 récidives sont survenues sous AVK à doses moyennes ou faibles, une sous aspirine et une sous héparine à faible dose.

En cas de traitement AVK, le traitement immuno-suppresseur a été ajusté pour maintenir les plaquettes au-dessus de 50 000.

Dans ces conditions, il n'y a pas, semble-t-il, de risque hémorragique supplémentaire.

Conseils thérapeutiques

Que retenir en pratique ? Si on doit traiter, il faut utiliser un anticoagulant coumarinique à dose suffisante pour obtenir un INR autour de 3, et en tout cas supérieur à 2,6, et ne diminuer la dose qu'en cas de saignement.

Un traitement visant à obtenir un INR supérieur à 3 n'est licite que si une récidive s'est produite sous AVK. En cas de thrombopénie auto-immune, le risque hémorragique des anticoagulants ne semble pas majoré si on maintient les plaquettes au-dessus de 50 000 par mm3. Peut-être peut-on se contenter d'une anticoagulation moins forte quand les thromboses sont veineuses.

Aucune récidive veineuse ne s'est produite pour un INR supérieur à 2. Mais il reste un petit risque de récidive artérielle après une première occlusion veineuse.

Quelle doit être la durée du traitement ? Sûrement indéfinie chez les patients fiables ayant fait plusieurs thromboses.

Après une thrombose unique, le traitement à vie est sans doute indiqué quand l'APL persiste à un titre élevé, qu'il existe des végétations valvulaires, ou qu'il s'agisse du territoire carotidien et que l'imagerie cérébrale suggère des embolies multiples.

Pour les autres patients, il est difficile de systématiser.

Enfin, l'effet protecteur éventuel des traitements immuno-suppresseurs reste à documenter.

 

Rosove M.H., Brewer M.C.:"Antiphospholipid thrombosis : Clinical course after the first thrombotic event in 70 patients.", Ann. Inter. Med. 1992, 117 : 303-308.

François Blanc

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