Les IEC diminuent-ils le risque de rupture d’anévrysme de l’aorte abdominale ?

Un anévrysme de l’aorte abdominale (AAA) touche environ 3 % de la population de plus de 50 ans avec une nette prédominance masculine et une rupture d’anévrysme tue 2,1 % des hommes de plus de 65 ans.

Il n’existe pas aujourd’hui de traitement médical ralentissant la progression des AAA vers la rupture et la seule stratégie admise consiste à surveiller le diamètre des AAA et à intervenir lorsque celui-ci atteint une taille critique.

Sur le plan expérimental cependant, certaines études conduites chez l’animal ont montré que les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) étaient susceptibles de diminuer la vitesse de croissance des AAA. Cette action pourrait être liée à une diminution de l’inflammation de la paroi artérielle induite par l’angiotensine II et ne serait pas due à une baisse de la pression artérielle puisque, sur ces modèles animaux, les autres classes d’antihypertenseurs y compris les antagonistes de l’angiotensine II (AAII) n’ont pas d’effets protecteurs.

Sur ces bases expérimentales, une équipe canadienne a voulu tester l’hypothèse d’une action favorable chez l’homme. Leur travail est une étude cas-témoins qui a comparé 3 379 sujets de plus de 65 ans hospitalisés en Ontario entre 1992 et 2002 pour une rupture d’AAA à 11 947 témoins de la même tranche d’âge admis à la même période avec un AAA non rompu.

Parmi ces 15 326 sujets, 22 % recevaient des IEC avant l’admission (20 chez les cas et 23 chez les témoins). Il est apparu que le fait d’être sous IEC était donc associé à une diminution relative de la fréquence des ruptures d’AAA avec un odds ratio brut de 0,82 soit une réduction de 18 % de cet événement (intervalle de confiance à 95 % entre 10 et 26 %). Les résultats étaient similaires (odds ratio : 0,83) après ajustement par les caractéristiques démographiques, les facteurs de risque connus de rupture, les comorbidités ou le niveau de soins reçu. 

Cette étude cas-témoins ne fait bien sûr que soulever une hypothèse et ne permet pas de conclure formellement à un lien entre la prise d’IEC et une diminution de la fréquence des ruptures.

En faveur d’une relation causale, on doit signaler le fait qu’une telle association protectrice n’a été constatée dans ce travail avec aucune autre classe d’antihypertenseurs (y compris les AAII) ni avec d’autres médicaments fréquemment prescrits chez des sujets âgés (y compris les hypolipémiants). De plus, et ceci va dans le sens d’une relation causale, la protection éventuelle conférée par les IEC paraît se dissiper avec le temps puisque aucune différence n’a été constatée en faveur des sujets ayant interrompu un traitement par IEC dans les mois précédents. 

Malgré tout, un biais de sélection ne peut être écarté car il n’est pas exclu que la prescription d’IEC soit associée à un état cardiovasculaire moins dégradé que celle d’autres antihypertenseurs. En toute rigueur on ne peut exclure également une aggravation du tableau clinique sous IEC qui conduirait à plus de décès extra-hospitaliers et donc à une diminution apparente des ruptures sous IEC ! Enfin, on ne sait rien dans cette population sur un facteur de risque majeur de progression des AAA, le tabagisme. A ce titre en l’absence de données rien n’interdit d’imaginer que les fumeurs sont moins souvent sous IEC que les non fumeurs en raison de la survenue de toux fréquentes sous cette classe thérapeutique !

En pratique, contrairement à ce qu’estiment les auteurs et l’éditorialiste du Lancet, il semble prématuré de conclure à une indication des IEC chez les sujets ayant un AAA. En revanche, on dispose probablement d’éléments scientifiques suffisants pour entreprendre une étude randomisée pilote comparant chez des sujets porteurs d’un AAA, IEC et placebo.

Dr Céline Dupin

Référence
Hackam D et coll. : « Angiotensin-converting enzyme inhibitors and aortic rupture : a population-based case-control study. » Lancet 2006 ; 368 : 659-65.

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