
La prescription systématique d’antibiotique dans les otites moyennes aiguës (OMA) de l’enfant est une question récurrente dans la littérature pédiatrique.
Alors qu’en pratique courante, une antibiothérapie est très largement prescrite, les recommandations des Sociétés savantes sur ce thème ne sont pas toujours concordantes. Si pour les plus de 2 ans, la plupart des conférences de consensus recommandent une politique d’attente, les antibiotiques étant réservés en fonction de l’évolution de l’état clinique de l’enfant (douleurs et fièvre), pour les moins de 2 ans les avis sont partagés, certaines autorités conseillant l’antibiothérapie systématique, d’autres recommandant l’abstention armée.
Ce flou relatif et cette inadéquation entre recommandations et pratique courante s’expliquent sans doute pour partie par l’insuffisance des études randomisées conduites sur ce thème qui pour la plupart n’incluaient qu’un nombre limité d’enfants ce qui ne permettait pas de déterminer à quels sous groupes de patients une antibiothérapie d’emblée pourrait être profitable.
Pour y parvenir une équipe internationale a soumis la question à l’épreuve de la méta-analyse.
Six études randomisées comparant les deux attitudes et regroupant 1 643 enfants ont été retenues pour cette méta-analyse basée sur les données individuelles des patients. L’âge moyen des malades était de 3,4 ans, la moitié souffraient d’otites récidivantes et un tiers des cas étaient bilatéraux.
L’efficacité du traitement antibiotique a été jugée cliniquement sur la persistance de douleurs et/ou de fièvre (> 38°C) entre le 3ème et le 7ème jour.
Contrairement à une idée reçue et aux résultats de certains essais, le traitement systématique s’est révélé supérieur à une stratégie de traitement différé en cas de persistance ou d’aggravation des signes et ce pour l’ensemble du groupe, tout âge et toute forme clinique confondue. Le risque de souffrir de douleurs ou de fièvre entre le 3ème et le 7ème jour a été diminué de 17 % sous antibiotique avec un intervalle de confiance à 95 % [IC95] entre – 11 et – 22 %. En d’autres termes il suffit de traiter 8 enfants pour éviter une évolution traînante.
Lorsque les enfants ont été répartis en sous groupe en fonction de l’âge et du tableau clinique, ce qui était le but de la méta-analyse, il a été possible d’identifier les enfants tirant a priori le plus de bénéfice de l’antibiothérapie systématique.
L’âge en lui-même ne semble pas influer de façon importante sur le bénéfice tiré des antibiotiques (diminution du risque relatif de persistance des signes de 23 % avant 2 ans sous antibiotique systématique et de 14 % après 2 ans, différence entre les deux groupes non significative).
Les sous-groupes suivants tirent en revanche un bénéfice
important d’une antibiothérapie systématique :
- otite bilatérale chez des enfants de moins de 2 ans : diminution
du pourcentage d’échec entre 3 et 7 jours de 36 % avec un succès
supplémentaire pour 4 enfants traités ;
- otorrhée (quel que soit l’âge) : diminution du pourcentage
d’échec entre 3 et 7 jours de 48 % avec un succès supplémentaire
pour 3 enfants traités.
Ce bénéfice plus marqué de l’antibiothérapie dans ces 2 sous groupes d’OMA tient sans doute au fait que les otites virales donnent moins souvent ce type de tableau clinique.
La seule complication grave observée dans cette cohorte a été une méningite survenue chez un enfant du groupe contrôle mais qui avait reçu des antibiotiques dès le deuxième jour en raison d’une aggravation du tableau clinique et aucune conclusion ne peut être tirée sur ce point.
Les divers traitements antibiotiques prescrits ont été bien tolérés dans l’ensemble avec un peu plus d’effets secondaires sans gravité dans les groupes traitements actifs.
La conclusion de M Rovers et coll. va à l’encontre de nombre de recommandations récentes puisqu’ils recommandent une antibiothérapie systématique chez les enfants de moins de 2 ans ayant une otite bilatérale et en cas d’otorrhée quel que soit l’âge. Pour les autres cas (otites unilatérales sans otorrhée chez des enfants de moins de 2 ans ou otites uni ou bilatérales sans otorrhée chez des enfants de plus de 2 ans) l’abstention armée est selon eux justifiée (en exceptant les situations particulières comme les trisomies 21 ou les enfants souffrant d’une fente palatine qui n’étaient pas inclus dans ces études).
Compte tenu de l’importance du sujet en terme de santé publique (l’otite est l’une des premières causes de consultation), une très vaste étude randomisée incluant plusieurs milliers d’enfants serait souhaitable pour que les médecins puissent prescrire ou s’abstenir en toute connaissance de cause et en toute quiétude, sans risquer d’être accuser de perturber l’écologie bactérienne ou l’équilibre des comptes de la Sécurité sociale et sans crainte de voir la pathologie traîner inutilement.
Dr Céline Dupin