De très nombreuses études épidémiologiques ont démontré de longue date que l’élévation du LDL-cholestérol (LDL-C) était un facteur de risque vasculaire majeur tandis qu’au contraire les taux de HDL-cholestérol (HDL-C) étaient inversement corrélés à la morbi-mortalité cardiovasculaire. Au cours des années 90, de grands essais multicentriques internationaux ont prouvé que la baisse du LDL obtenue grâce à la prescription de statines diminuait significativement et linéairement le risque vasculaire. Ces essais ont conduit progressivement les Sociétés savantes de cardiologie nord-américaines et européennes à adopter des recommandations de prise en charge de l’hypercholestérolémie de plus en plus ambitieuses, l’objectif étant schématiquement aujourd’hui à 0,70 g/l de LDL-C en prévention secondaire aux Etats-Unis.
Cependant, il est apparu que malgré les succès enregistrés avec les statines, le risque d’événements coronariens n’était diminué que de 30 % même avec les traitements les plus efficaces sur le LDL-C. L’augmentation du HDL-C est donc devenue tout naturellement une nouvelle voie de recherche dans la lutte contre la maladie vasculaire.
Dans ce domaine, les inhibiteurs de la cholesteryl ester transfer protein (CETP) semblaient très prometteurs puisque dans les premiers essais cliniques ils permettaient d’obtenir des élévations de plus de 50 % du HDL. La communauté cardiologique était donc en attente des résultats des premières grandes études d’intervention conduites avec le chef de fil de ces inhibiteurs de la CETP, le torcétrapib.
ILLUMINATE marque la fin du torcétrapib
Or de façon totalement inattendue, en décembre dernier, l’étude randomisée ILLUMINATE qui évaluait chez 15 000 patients à haut risque coronarien l’intérêt d’une association atorvastatine-torcétrapib était interrompue après un peu plus d’un an en raison d’une surmortalité significative dans le groupe torcétrapib. Cette surmortalité qui s’accompagnait d’une élévation de la fréquence des infarctus du myocarde, mais aussi des cas d’angine de poitrine, des procédures de revascularisation et des insuffisances cardiaques a conduit le laboratoire Pfizer à interrompre tout programme de recherche sur ce nouveau médicament.
Malgré cet abandon du torcétrapib, les présentations des résultats d’autres essais cliniques de grande envergure conduits avec cette molécule étaient particulièrement attendus lors de la dernière réunion annuelle de l’American College of Cardiology. Il est en effet très important pour l’avenir de la prise en charge de la maladie vasculaire de tenter de comprendre comment un médicament ayant des effets théoriquement très positifs sur le profil lipidique peut, au final, accroître la mortalité vasculaire.
ILLUSTRATE (pour Investigation of Lipid Level Management Using Coronary Ultrasound to Assess Reduction of Atherosclerosis by CETP Inhibition and HDL Elevation) a inclus 1 188 coronariens dont le LDL-C avait été ramené en dessous de 1g/l sous atorvastatine. Ces malades ont été randomisés entre une monothérapie par cette statine ou un traitement associant à l’atorvastatine du torcétrapib à la dose de 60 mg/jour.
La progression de la maladie coronaire était évaluée à 2 ans par échographie endocoronaire.
Sur le plan biologique, les effets du torcétrapib ont été remarquables avec, par rapport au groupe atorvastatine seule, une élévation du HDL-C de 61 % et une baisse du LDL-C de 20 %. Ainsi, en fin de traitement, dans le groupe torcétrapib le HDL-C était à 0,72 g/l et le LDL-C à 0,70 g/l en moyenne. Malgré ces résultats en apparence très favorables sur le profil lipidique, le pourcentage de volume d’athérome coronarien n’était pas significativement différent en fin de traitement entre les deux groupes avec une augmentation de 0,19 % sous atorvastatine seule contre un accroissement de 0,12 % sous l’association des 2 médicaments (p=0,72).
Comment expliquer cet échec ?
Plusieurs explications sont envisagées pour rendre compte de cette discordance entre action biologique et effets sur l’athérome coronarien. D’une part le torcétrapib a accru la pression artérielle de façon significative (+ 4,6 mm/Hg) ce qui pourrait en partie expliquer l’absence d’amélioration de l’échographie endo-coronaire. D’autre part certains évoquent la possibilité que le HDL-C « produit » sous torcétrapib n’ait pas les mêmes propriétés que le HDL-C « naturel ». Enfin un effet secondaire non élucidé, spécifique à cette classe thérapeutique ou au produit lui-même ne peut être écarté.
L’élévation du HDL-C est-elle encore une voie thérapeutique
prometteuse ?
Un second essai conduit avec le torcétrapib conforte les conclusions d’ILLUSTRATE. Il s’agit de l’étude RADIANCE 1 au cours de laquelle 850 malades ayant une hypercholestérolémie familiale hétérozygote ont été randomisés entre une monothérapie par atorvastatine et une association atorvastatine-60 mg de torcétrapib (2). Là encore les sujets sous torcétrapib ont présenté une évolution en apparence très favorable de leur profil lipidique avec un HDL-C parvenu à 0,81 g/l et un LDL-C descendu à 1,15 g/l après deux ans de traitement. Mais là encore, aucune différence significative n’a été constatée sur la progression de l’athérome évaluée par l’épaisseur intima-média à l’échographie carotidienne (+ 0,0053 mm sous atorvastatine seule contre + 0,0047 mm sous l’association ; p=0,87). Bien plus l’évolution de l’épaisseur intima-média au niveau de la carotide commune a été significativement plus défavorable dans le groupe torcétrapib.
Ces résultats très décevants remettent en cause non seulement la piste du torcétrapib mais peut-être aussi celle des autres inhibiteurs de la CETP. Il sont à rapprocher de ceux tout aussi négatifs de l’étude ERASE qui testait un HDL recombinant injecté tous les 7 jours qui n’a pas permis de faire régresser les plaques d’athérome coronarien évaluées à l’échographie endo-coronaire.
Il est donc possible que, pour l’instant, la voie du HDL-C doive être considérée comme sans issue.
Dr Anastasia Roublev