Paris, le jeudi 3 mai 2007 – Moins de vingt-quatre heures après que les voix de Ségolène Royal et de Nicolas Sarkozy se soient tues, il demeure difficile de s’astreindre à l’exercice froid et consciencieux de l’analyse. La vivacité même des échanges entre les deux candidats contraint en effet la réflexion à un certain effort afin de pouvoir se pencher sur la teneur profonde de leurs discours. Ce premier mouvement de recul nous permet d’abord de constater que la santé n’aura guère été un thème majeur du débat de ce mercredi 2 mai, tandis que les problèmes éthiques en étaient pour leur part totalement absents.
La question du paysage hospitalier n’aura ainsi été l’occasion que d’une phrase ambiguë de Ségolène Royal sur « les petits hôpitaux », tandis que les thèmes de l’organisation des soins, de la maîtrise des dépenses, de la démographie médicale ou encore de la coordination entre les professionnels n’ont jamais été abordés. Face à ce silence particulièrement frappant (notamment en ce qui concerne le déficit de la Sécurité sociale mentionné une unique fois par la candidate socialiste), il est cependant remarquable de constater que parmi les sujets qui ont suscité les plus vifs affrontements au cours du débat figurent des questions chères aux professionnels de santé : les 35 heures à l’hôpital et l’intégration scolaire des handicapés.
Travailler plus pour gagner plus, une fausse bonne idée selon Ségolène Royal
Le premier sujet aura principalement été l’occasion pour Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy de mesurer leurs différences face au principe des trente-cinq heures. Le candidat UMP aura insisté sur le caractère catastrophique de la mise en place de cette mesure au sein de l’hôpital, tandis que sa concurrente remarquait que la proposition faite aux infirmières de « travailler plus pour gagner plus » n’avait guère rencontré d’enthousiasme chez ces professionnelles. Si leurs échanges autour des trente-cinq heures à l’hôpital ne leurs auront permis ni à l’un ni à l’autre de dégager de véritables solutions, le temps des propositions semblait être venu à l’heure où Nicolas Sarkozy choisit d’évoquer sa volonté (maintes fois exprimée) de mettre en place un « droit opposable » destiné à contraindre les établissements scolaires à accueillir les enfants handicapés comme les y obligent la loi. L’idée ne laissa pas de susciter une (saine ?) colère chez la candidate socialiste qui préféra fustiger le bilan des gouvernements précédents. Ségolène Royal a notamment affirmé que ces dernières années avaient « détruit » les efforts réalisés sous le gouvernement Jospin et notamment le programme « Handiscol » dont elle avait été l’initiatrice.
69 % des enfants handicapés scolarisés en milieu ordinaire… en 2007 !
Il apparaît que l’action des gouvernements
Raffarin et de Villepin en matière de scolarisation des handicapés
a connu deux périodes : les trois années ayant précédé
l’entrée en vigueur de la loi sur le handicap en février 2005 ont
en effet suscité de vives inquiétudes au sein des associations de
parents d’enfants malades et handicapés. La fin des « emplois
jeunes » a notamment coïncidé avec la suppression de nombreux
postes d’assistantes d’éducation. De multiples témoignages ont
évoqué (et ce jusqu’à récemment) la nécessité pour certains parents
de s’acquitter eux-mêmes des charges liées à l’emploi d’une
assistante de vie scolaire. L’impulsion du chef de l’état en faveur
de l’amélioration de l’intégration des handicapés dans notre
société sembla cependant porter ses fruits. En mars 2007, une étude
de la Direction de la recherche des études et de l’évaluation
des statistiques (DREES) révèle ainsi qu’en 2005-2006, « les structures de l’éducation
nationale ont accueilli 151 500 enfants et adolescents en
situation de handicap ». Les auteurs ajoutent :
« Parmi ces derniers,
69 % étaient scolarisés dans des classes ordinaires ou dans des
classes adaptées à des élèves présentant des difficultés scolaires
ou sociales (…). Cette proportion est en hausse (52 % en
1999-2000) ». L’effort du gouvernement n’a pas seulement
concerné l’intégration des enfants en « milieu ordinaire »
mais a également porté sur l’augmentation du nombre d’auxiliaires
de vie scolaire (AVS) qui selon les chiffres du réseau
« Intégration scolaire et Partenariat » sont passés de
3 400 en 2001 à 5 800 en 2006. Enfin, sans renoncer au
programme « Handiscol », dont la disparition ne parait
pas actée, le gouvernement a mis en place pour les enfants atteints
de maladie chronique et de certains handicaps des « projets d’accueil
individualisé », qui satisfont par exemple 80 % des
familles concernées par la mucoviscidose (selon une enquête
réalisée en 2006 par Vaincre la Mucoviscidose).
Des failles bien réelles
Si le bilan dressé par Ségolène Royal semblait donc ignoré les
efforts réalisés ces dernières années, il s’appuyait cependant sur
la persistance de situations difficiles. La mise en place des
nouvelles auxiliaires de vie scolaire ne s’est ainsi pas déroulée
sans heurts. Les associations et les syndicats n’ont ainsi de cesse
de mettre en avant de nombreuses failles, concernant notamment la
nature des contrats de ces professionnels. Ils remarquaient
également dès 2005 le fait que « le ratio auxiliaire de vie
scolaire/élèves par département varie de 1,15 à 4,13 ».
Leurs craintes concernaient en outre « la suppression des postes de
soutien à l’intégration dans plusieurs départements »,
tandis qu’ils dénonçaient le retard dans la mise en place de
nombreux comités départementaux de pilotage. La candidate
socialiste aura en outre remarqué avec justesse comment
l’intégration des enfants handicapés dès la maternelle n’a pas été
au centre des préoccupations d’un gouvernement, qui ne s’est
que rarement intéressé à cette situation.
La cause des handicapés n’en sort pas grandie
Au-delà du caractère abrupt de ces différents chiffres, qui ne peuvent décrire les situations individuelles de chaque famille, il apparaît que cette question de la scolarisation des handicapés a été confisquée par les deux candidats dans un souci de démontrer pour l’un son « humanité » et pour l’autre sa « pugnacité ». Les véritables enjeux que sont l’accessibilité des lieux publics, la prise en charge des handicapés adultes, l’intégration encore très faible à l’université ont été escamotées par un combat aveugle. Le 20 mars dernier une enquête réalisée par l’Association des paralysés de France (APF) révélait que 73 % des Français et 82 % des personnes handicapées estimaient que le thème du handicap était resté totalement absent de la campagne. Il n’est pas certain que la passe d’armes de ce mercredi 2 mai puisse réellement modifier leur sentiment d’abandon.
A.H.