Avant l’arrivée de l’imatinib, chef de file des inhibiteurs de l’oncoprotéine tyrosine kinase bcr-abl dans la leucémie myéloïde chronique (LMC), l’interféron-alpha (IFN) était le seul traitement capable d’apporter un bénéfice de survie chez les patients non allogreffables. Malheureusement, seulement 10 à 15 % des patients répondaient favorablement à l’IFN et profitaient de ce bénéfice de survie, surtout ceux dont le score de Sokal était faible au diagnostic. L’imatinib a bouleversé la situation en offrant une survie globale, et sans progression, sans précédent chez la majorité des patients en phase chronique. Par ailleurs, les inhibiteurs de 2ème génération, le dasatinib et le nilotinib, « implémentent » cette avancée majeure pour les patients intolérants ou résistants à l’imatinib. Cependant, l’imatinib ne semble pas être capable de guérir la LMC et il semble que la situation sera similaire avec le dasatinib et le nilotinib (toute prudence gardée, le recul étant court, mais ces 2 médicaments ne ciblent pas la « cellule souche leucémique in vitro, même si l’on peut oser espérer des taux de RMC plus importants qu’avec l’imatinib). L’IFN et l’allogreffe ont perdu leur place en première ligne. L’IFN est-il pour autant à jeter aux oubliettes ?
Avant de répondre à cette question, rappelons des faits troublants et très intéressants :
chez les patients traités par IFN, certains
restent en réponse cytogénétique complète (RCC) avec une maladie
résiduelle détectable malgré l’arrêt de l’IFN. Cela n’est
absolument pas le cas sous imatinib puisque tout arrêt en maladie
résiduelle positive engendre la rechute ;
chez les patients en RCC sous IFN, le passage à
l’imatinib induit extrêmement rapidement des réponses moléculaires
complètes.
Enfin, la mise au point des formes pégylées de l’IFN a considérablement amélioré sa tolérance sans en altérer l’efficacité, et l’on ne peut que regretter qu’il n’y ait pas d’AMM pour ces formes pégylées dans la LMC. En effet, la combinaison de l’imatinib et de l’IFN pourrait avoir un intérêt, leur mode et cinétique d’action étant différents.
Quels effets ?
Les mécanismes d’action de l’IFN dans la LMC ne sont pas totalement élucidés et incluent des effets anti-prolifératifs et pro-apoptotiques, des effets immunostimulateurs, et des effets potentiels sur le micro-environnement médullaire (la fameuse niche hématopoïétique). L’interféron pourrait-il permettre des réponses moléculaires de meilleure qualité et plus durables lorsqu’il est associé à l’imatinib en comparaison à l’imatinib seul ? C’est ce que suggérait l’essai monobras italien publié dans Blood en 2004 dans lequel le taux de RMM à 1 an était impressionnant, de l’ordre de 68 %. Malheureusement, cet essai n’était pas randomisé et aucune mise à jour n’a été rendue publique depuis.
Des essais cliniques, tous à promotion académique, s’intéressent à l’effet combiné de l’imatinib et de l’IFN dans la LMC. Les groupes italiens, nordiques, allemands et français ont proposé des essais de première ligne, et l’on attend avec impatience les résultats de l’essai français SPIRIT, notamment des bras imatinib 400 et imatinib 400+ PEG-IFN. Les membres du groupe FILMC préparent des essais visant à évaluer l’efficacité de l’ajout de l’IFN chez les patients sous imatinib en maladie résiduelle positive. Plus osé, le groupe allemand a proposé un traitement initial par imatinib et IFN suivi d’un traitement d’entretien par IFN seul avec des résultats préliminaires présentés au congrès de l’ASH en 2007. Après un suivi médian de 1,2 ans (0,1-3,1), 15 patients sur 19 restent en réponse moléculaire majeure (dont 7 en réponse moléculaire complète) et 3 patients ont présenté une rechute moléculaire. Sept sur les 8 patients analysés en immunologie ont élaboré des réponses T contre la protéinase 3.
Alors, IFN : le retour ?
Dr Delphine Rea