
Paris, le mardi 15 avril 2008 – Les lois de bioéthique de 2004 ont réintroduit en France la possibilité de procéder à des prélèvements d’organe chez des donneurs à « cœur arrêté ». Cette disposition ne fut cependant pas appliquée avant la publication d’un décret complémentaire le 2 août 2005 et l’élaboration d’un protocole par l’Agence de biomédecine qui obtint un accord définitif de l’Académie de médecine le 6 mars 2007. En vertu de ce feu vert, un dispositif expérimental fut mis en place qui ne concerne que dix équipes chirurgicales et est restreint aux seules greffes de rein. Le protocole de l’Agence de biomédecine précise que les donneurs à cœur arrêté sont des sujets chez lesquels « ont échoué des manœuvres de ressuscitation (…) et la constatation dans ces conditions de réanimation d’une période d’au moins 30 minutes sans aucune efficacité cardiaque électrique et à fortiori hémodynamique spontanée ». Afin de déclarer la victime donneur potentiel il faut également pouvoir constater « pendant cinq minutes après l’arrêt des manœuvres (…) un tracé électrocardiographique d’asystolie irréversible ou d’un tracé de rythme agonique ». En France, à la différence du Japon, du Royaume Uni, des Pays Bas et des Etats-Unis, le prélèvement n’est pas autorisé « lorsque l’arrêt cardiaque provient d’un arrêt concerté des soins médicaux ». Les prélèvements chez les donneurs à cœur arrêté ont permis dans les hôpitaux étrangers où ils sont autorisés une progression du nombre de greffons disponibles de 10 à 40 %. L’Espagne est en pointe dans ce domaine : « 63 % des prélèvements à Madrid et 20 % à Barcelone » concernent des donneurs décédés après arrêt cardiaque. En 2007, 43 greffes rénales ont pu être réalisées en France dans le cadre de l’expérience pilote et dans son dernier bilan, l’Agence de biomédecine se félicitait des « résultats très satisfaisants » obtenus. Parmi les différences observées entre le profil des donneurs en état de mort encéphalique et ceux en arrêt cardiaque, l’Agence avait notamment pu mettre en évidence un taux de refus plus bas dans cette seconde situation.
Une ECMO à visée non thérapeutique qui le devient…
Les premiers pas prometteurs de cette expérience pilote pourraient cependant être freinés à l’heure où est médiatisée par le Parisien une situation aussi rare qu’édifiante. Le 18 février dernier, à l’occasion d’une réunion d’un groupe de travail composé de plusieurs professionnels impliqués sur le terrain « notamment SAMU/SMUR/Pompiers, Réanimation/Réveil, Coordinations hospitalières de prélèvements d’organes et de tissus, Agence de la biomédecine » dans le cadre de l’Espace Ethique de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris, le cas d’un patient de 45 ans « coronarien connu ne suivant pas son traitement » victime d’un arrêt cardiaque a été évoqué. Le patient a bénéficié de « l’intervention très rapide du SAMU (…) assortie d’une réanimation bien conduite » qui n’a permis « la reprise d’aucun rythme (…). La proximité d’un établissement où une intervention de coro-dilatation pouvait être effectuée motive la décision de poursuivre les manoeuvres de réanimation à visée thérapeutique (…). A l’arrivée, il n’existe toujours aucune reprise d’activité cardiaque. La décision de pratiquer une coro-dilatation fait [alors] l’objet d’une nouvelle évaluation » qui conduit à considérer le patient « comme un donneur potentiel à coeur arrêté (…).Les chirurgiens (non immédiatement disponibles à l’arrivée du patient) arrivent et procèdent à l’abord des vaisseaux, ce qui permet de mettre en place une ECMO ( extracorporeal membrane oxygenation) après plus de 1h30 de non-reprise d’activité cardiaque. La CEC installée est totale (…). En retirant les champs opératoires, le patient présente des signes de respiration spontanée, une réactivité pupillaire, et un début de réaction à la stimulation douloureuse. Autrement dit, il existe des « signes de vie » (…). Après plusieurs semaines émaillées de complications graves, le patient marche et parle ». L’affaire a évidemment suscité un vif émoi chez les spécialistes qui remarquent que cette situation fortement « dépendante du contexte » « constitue une illustration frappante des questions qui persistent (…). Elle renvoie notamment aux interrogations sur les indications de l’ECMO qui font l’objet de recherche actuellement ».
Des critères à clarifier
A l’occasion d’une précédente réunion, les spécialistes avaient notamment remarqué combien la possibilité de « pratiquer l’ECMO thérapeutique » dans certains centres pouvaient remettre en question certains critères destinés à définir la situation de donneur à cœur arrêté. Gilles Grollier, du CHU de Caen, remarque ainsi cité par le Parisien aujourd’hui : « On en revient au problème de l’inégalité d’accès aux soins. La méthode du prélèvement sur cœur arrêté est une bonne technique si l’on dispose de tous les outils pour réanimer la personne, ce qui est le cas en Ile-de-France mais pas partout ». Lors de la réunion du 8 janvier, les participants avaient en tout état de cause évoqué l’impérieuse nécessité de « clarifier les critères d’inclusion ».
Qu’est-ce que la mort ?
Au-delà de ces réflexions centrées sur l’ECMO thérapeutique, les
membres du groupe de réflexion ont pu mettre en exergue, au cours
de leurs premières réunions, un grand nombre de questions que la
pratique du prélèvement sur donneur à cœur arrêté soulève.
Toujours, la difficulté de s’appuyer sur des critères rigides
apparaît. Lors de la première réunion (le 27 novembre), les
réanimateurs avaient notamment remarqué que dans certaines
situations (sujet jeune, sportif…) « l’application stricte des
critères » peut « sembler minimaliste, pour des raisons
qui ne tiennent pas nécessairement à des considérations purement
techniques, sans toutefois se situer en dehors du champ
médical ». Les praticiens ont également à plusieurs reprises
cherché à déterminer à quel moment doit-on estimer que l’on se
situe dans le cadre d’un arrêt de soins. Les réflexions de ce
groupe de travail concernent enfin les modalités d’accompagnement
des proches quand « le temps imparti à cette démarche est
considérablement restreint par la nécessité de mettre en place des
moyens de conservation des organes ». Ainsi, l’élargissement
des prélèvements d’organe aux donneurs à cœur arrêté place une
nouvelle fois l’homme face à une question qui demeure au coeur de
sa condition : quand devient-on un donneur potentiel n’étant
finalement qu’une version moderne de l’interrogation existentielle
: qu’est-ce que la mort ?
A.H.