LMC : gérer au mieux les effets indésirables des ITK

Les inhibiteurs de tyrosine kinase (ITK) ont une cible thérapeutique commune, mais ils agissent également sur d’autres voies ou « effet off-target » qui diffèrent selon les molécules utilisées. Certains effets secondaires des médicaments de cette classe sont ainsi communs, en particulier la myélosuppression, et d’autres sont spécifiques à chaque molécule, par exemple le degré de myélosuppression et certains effets secondaires non hématologiques. D. Réa (Paris) a souligné en préambule que la toxicité à court terme de ces médicaments est désormais bien connue, mais qu’en revanche, les données concernant la toxicité à long terme manquent, sauf pour l’imatinib qui dispose d’études ayant un recul de 7 ans.

IM, nilo et dasa : les chiffres  de la myélosuppression

Les taux cumulés de cytopénie sous imatinib (IM) en première ligne sont de 45 à 61 % avec un suivi médian de 19 mois (IRIS). Il faut souligner que ces effets indésirables (EI) hématologiques diminuent nettement après deux ans de traitement et sont dans la très grande majorité des cas de grade 1 et 2. La proportion de patients avec EI de grade 3 et 4 est de 3 à 14 % pendant les deux premières années de traitement et de 1 à 3 % lors des deux années suivantes.

Concernant le nilotinib (400 mg x 2/j) prescrits chez des patients ayant une leucémie myéloïde chronique phase chronique (LMC-PC) résistants ou intolérants à l’IM (n=321), les cytopénies tous grades confondus sont de 53 à 58 % (dont 10 à 31 % de grade 3 /4) avec un suivi minimum de 19 mois.

Pour le dasatinib (100 mg/j) prescrits chez des patients LMC-PC résistants, suboptimaux ou intolérants à l’IM (n=166), les chiffres correspondants sont de 60 à 89 % (dont 10 à 33 % de grade3 /4) avec un suivi minimum de 6 mois.

Quelle conduite à tenir ?

Face à ces cytopénies d’origine centrale, il convient de préciser le grade, la cinétique, le retentissement clinique et de s’assurer du lien de causalité avec l’ITK (diagnostic différentiel).

Ces cytopénies étant le plus souvent transitoires, D. Réa recommande pour les grades 1 /2 de poursuivre l’ITK à la même posologie afin d’obtenir une réponse optimale dans le futur (en l’absence de risque hémorragique particulier pour les thrombocytopénies et selon la tolérance clinique pour l’anémie). En cas de neutropénie grade 1 à 3, le traitement par ITK peut être poursuivi à la même posologie sous réserve que la neutropénie ne s’aggrave pas et en l’absence d’infection

Pour les anémies de grade 3 /4 : une prescription d’Epo peut s’avérer nécessaire et beaucoup plus rarement des transfusions selon la tolérance clinique. Le traitement pourra être interrompu dans certains cas, avec diminution de la posologie de l’ITK au palier de dose inférieur si récidive.

En cas de thrombocytopénies de grade 3 /4 et de neutropénies de grade 4, le traitement est interrompu avec une reprise à la posologie initiale à récupération. D. Réa recommande en cas de récidive une interruption thérapeutique, puis une réduction de posologie au palier de dose inférieur. Pour les neutropénies de grade 4, le G-CSF est indiqué.

En pratique, le recours aux facteurs de croissance sous IM et nilotinib est peu fréquent. Enfin, il faut se méfier des cytopénies sévères d’apparition tardive car l’implication de l’ITK est alors peu probable.

Que faire en cas d’intolérance hématologique ?

Rappelons que l’intolérance hématologique est définie par la survenue de cytopénies sévères, récidivantes, malgré une réduction de la posologie, une interruption du traitement, et la prescription d’un traitement symptomatique (facteurs de croissance par exemple).

Les études sur l’intolérance hématologique croisée IM-nilotinib (1) et  IM-dasatinib (2) ont montré qu’il peut être bénéfique en cas d’intolérance à l’IM de le remplacer par un ITK de seconde génération : nilotinib ou dasatinib.

Zoom sur les effets secondaires non hématologiques

Les EI non hématologiques des ITK présentent de nombreux points communs sans qu’il y ait forcément d’intolérance croisée. Ces EI non hématologiques communs sont les suivants : asthénie chronique, troubles digestifs (plus fréquent avec IM qu’avec nilo et dasa), douleurs ostéoarticulaires et musculaires, éruptions cutanées (plus fréquent avec nilo qu’avec IM et dasa), risque cardiaque (QTc nilo, dasa), hépatotoxicité et interactions médicamenteuses, hypomagnésémie, hypocalcémie, hypophosphorémie.

Certains effets indésirables sont particuliers à chaque ITK. Les crampes musculaires, les oedémes péri-orbitaires et périphériques, la photosensibilité et la dépigmentation pour l’IM ; l’hyperglycémie, l’hyperbirubinémie libre, l’hyperlipasémie et les éruptions cutanées pour le nilotinib ; et les épanchements pleuro-péricardiques, la dysimmunité et la dysfonction plaquettaire/hémorragies pour le dasatinib.

A souligner que les EI non hématologiques liés à l’IM diminuent significativement en incidence et en intensité à la poursuite du traitement comme l’attestent l’étude IRIS bras IM avec un recul médian de 60 mois.

Quelle prise en charge ?

La tolérance clinique et l’efficacité thérapeutique guident la conduite à tenir et non les dosages plasmatiques. Un tel dosage peut néanmoins être utile en cas d’EI sévère ou de suspicion d’interaction médicamenteuse. En règle générale, les EI de grade 3 ou 4 nécessitent l’interruption thérapeutique, voire l’arrêt. Et les EI de grade 1 ou 2, la prescription d’un traitement symptomatique avant d’envisager la réduction de dose.
Comme pour les effets secondaires hématologiques, il peut être intéressant en cas d’intolérance à l’IM pour EI non hématologiques de le remplacer par le nilotinib ou le dasatinib (1,2). 

D. Réa a insisté sur la prise  en charge particulière que requièrent les éruptions cutanées sous nilotinib et les atteintes pulmonaires et le risque hémorragique sous dasatinib.

Les EI dermatologiques sous nilotinib se caractérisent par des éruptions cutanées papuleuses prurigineuses prédominant sur le cuir chevelu, le tronc, les membres avec une peau d’aspect granuleux. Il est recommandé de prescrire des antihistaminiques, des topiques hydratants, et si besoin, des corticostéroïdes locaux ou par voie générale en cure courte. Prurit et érythème sont souvent temporaires. Selon la réponse au traitement symptomatique et la gravité initiale, le nilotinib est interrompu, voire arrêté.

Les atteintes pulmonaires sous dasatinib comprennent des épanchements pleuraux isolés, des opacités en verre dépoli, des épaississement septaux et des épanchements pleuraux associés à une atteinte alvélolaire. Les facteurs de risque de survenue de ces complications sont l’âge, l’auto-immunité, la présence d’une cardiopathie, d’une HTA, et les doses et prise biquotidienne du dasatinib. La prise en charge n’est pas toujours simple. Elle diffère s’il s’agit d’une pleurésie isolée ou d’une pleurésie associée à une atteinte parenchymateuse. (Voir tableau 1).

 

 

Le risque hémorragique est accru sous dasatinib et pas seulement lié à la thombocytopénie. Il existe en effet aussi des troubles de l’hémostase primaire avec dysfonction de l’agrégation plaquettaire et allongement du temps de saignement. Il faut être particulièrement prudent chez les patients sous antiagrégants plaquettaires.

La vigilance reste de mise

Au total, en cas de prescription d’ITK, il est fondamental d’informer les patients sur les effets secondaires et d’anticiper par une prise en charge symptomatique optimale. Les données à long terme sont rassurantes avec l’IM, mais elles sont encore inexistantes avec les ITK de seconde génération. La vigilance reste ainsi de mise d’autant plus que les études post-AMM ne prévoient pas de suivi à long terme des patients.

Dr Laurence Houdouin

Références
Rea D : La gestion des effets indésirables des ITK. Congrès de la Société Française d’Hématologie (Paris) : 19-21 mars 2009.
(1)Jabbour et coll. : Blood 2008 ASH abstract 3215.
(2)Khoury et coll. JCO. ASCO 2008 abstract 7015.

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