Deuil et dépression

Déconcerté par l’emploi de ce mot, l’étudiant en médecine découvre deux significations particulières du terme « travail », qui sont relatives, curieusement, aux deux extrémités de la vie : un contexte obstétrical, ou de deuil. À ce propos, l’éditorialiste de l’American Journal of Psychiatry rappelle que « les psychiatres éprouvent souvent des difficultés à déterminer si, quand et comment traiter les personnes en deuil ». D’où, estime-t-il, un « besoin critique de recherches pour aider à répondre à ces questions ». Où situer ainsi la frontière entre le travail de deuil normal (qui diffère d’une dépression, au sens du DSM) et un virage pathologique ? Question d’autant plus complexe que les effets psychologiques d’un deuil peuvent se faire ressentir à long terme, notamment pour la perte d’un parent dans l’enfance. Situation paradoxale, relevée en la matière par l’auteur : si l’entourage montre volontiers de l’empathie pour les adultes éplorés, on laisse souvent les enfants « gérer eux-mêmes » leur souffrance psychique !

Mais l’optimisme semble de rigueur devant ce constat : « même lors de la phase initiale de douleur aiguë, les personnes endeuillées conservent la capacité d’éprouver des émotions positives ». Et l’expérience clinique montre que la majorité des personnes frappées par un deuil (les enfants comme les adultes) connaissent, certes une phase de tristesse aiguë, puis expriment des capacités de résilience pour retrouver des possibilités de joie et de satisfaction dans la suite de leur existence. Mais une minorité (environ 10 % des personnes endeuillées) conserve cependant des séquelles psychiatriques après cette épreuve, les plus courantes étant une dépression sévère (où la psychothérapie pourra se révéler très utile), un syndrome post-traumatique (PTSD), ou une addiction à l’alcool ou /et à une autre substance, produits employés alors comme étayage fallacieux d’une tristesse pathologique (complicated grief). Pour prévenir une telle évolution fâcheuse, les praticiens doivent s’efforcer de dépister « le plus tôt possible », et de traiter de façon appropriée, les troubles dénotant des complications psychopathologiques du deuil et suscitant parfois l’appellation de « syndrome de deuil compliqué ».

Dr Alain Cohen

Référence
Shear MK : Grief and depression : treatment decisions for bereaved children and adults. Am J Psychiatry 2009 ; 166 (7) : 746–748.

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Vos réactions (1)

  • La réaction dépressive du deuil est variable dans la journée

    Le 11 août 2009

    C'est un sujet difficile = En tant qu'addictologue, on découvre très souvent des deuils associés aux consommations, mais sans que le patient lui même en soit conscient. La relation de causalité est donc probablement complexe.
    Un élément de différenciation du deuil et de la dépression, qui n'est pas "classique", mais qui est largement accepté par les spécialistes est que la réaction dépressive du deuil est variable dans la journée et d'un jour à l'autre (comme vous le dites entrecoupée de "bons moments") alors que la vraie dépression consécutive à un deuil conduit à un abattement durable et constant d'un jour à l'autre.
    Pour le traitement du deuil, les méthodes issues de la notion d'identité narrative, introduite par Paul Ricoeur, sont je crois à considérer. Brièvement, le travail de deuil conduirait (selon cette théorie) à reconstruire une identité amputée par le deuil, en se reconstruisant par un dialogue interne (narration interne), éventuellement validée par autrui. Cette théorie explique l'effet positif des groupes de parole;, mais aussi de l'écoute bienveillante qui permet de "valider" ce travail de reconstruction.(mais ce travail de narration peut être "vicié" et une psychothérapie est alors utile pour le réorienter).
    Il faut pour cela que le deuil soit "racontable" (notamment certains deuils traumatiques sont difficiles à porter parce que l'accident est en quelque sorte "inracontable". Le deuil est souvent surmonté quand une version "racontable" (pas forcement exacte d'ailleurs) est possible.
    L'intérêt de cette notion d'identité narrative est qu'elle éclaire l'intervention possible (écoute empathique) de proches ou de professionnels sans que cela requiert une vraie psychothérapie. Cela rejoint Freud qui disait : le deuil n'est pas une maladie et il ne viendrait à l'idée de personne de chercher à le traiter (cf « deuil et mélancolie »).
    Pascal Millet

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