
Gap, le vendredi 6 novembre 2009 – L’artiste Andy Warhol a assuré qu’au vingt et unième siècle chacun aurait droit à son quart d’heure de célébrité. Face au projet du père d’Anne, une jeune femme de 32 ans, très lourdement handicapée, qui ne peut ni marcher, ni parler, ni manger seule, on serait tenté d’ajouter à la célèbre formule « qu’il puisse le vouloir ou non ». Jamais le consentement d’Anne à l’installation d’une webcam dans sa chambre, la filmant continuellement (à l’exception de sa toilette et de ses soins) ne pourra en effet être recueilli. Didier Lamic, le père de la jeune femme, qui a été directeur adjoint d’un centre de convalescence avant de prendre sa retraite, il y a deux ans, le reconnaît : « Elle ne peut pas donner son avis », mais ajoute aussitôt : « Nous sommes [cependant] intimement persuadés qu’elle n’y est pas opposée ». Il balaie de la même façon les accusations de voyeurisme : « Ce ne sera pas « Loft Story » ou le « Reality Show ». On ne veut pas exposer notre fille. La webcam sera uniquement accessible par son site. On n’oblige personne à y aller », souligne-t-il en effet.
« Valoriser » notre fille
S’il ne s’agit pas de voyeurisme, comme semble en témoigner la douceur du site internet entièrement consacré à Anne par son père, l’objectif de ce que Didier Lamic reconnaît pouvoir être ressenti comme une « provocation » est cependant bien de « faire voir ». Si les parents de cette handicapée choisissent de braquer leur caméra sur leur fille, c’est en effet pour sortir de l’ombre ces enfants continuellement cachés. « Ces enfants (…) ont le droit d'être vus comme tous les autres », martèle ainsi Didier Lamic, qui espère pouvoir changer le regard porté sur ce type de handicap. « Notre fille n'est pas un légume: elle a un langage à elle, des expressions » explique ainsi le père, qui espère que la webcam pourra rendre compte de cette humanité, « valoriser » sa fille et « lui rendre sa dignité ». Le second but de cette opération est d’apporter un soutien aux autres parents concernés par ces situations. « On veut leur permettre de déculpabiliser, leur montrer qu’ils ne sont pas seuls », souligne Didier Lamic, cité par le quotidien Le Parisien.
Quelle horreur, heureusement que j’ai échappé à ça
Pourtant, ce que les parents d’Anne ne veulent pas voir, ce sont les regards qui seront portés sur leur fille. S’ils assurent qu’en cas de « dérives », ils retireront la webcam, le silence d’Internet ne leur dira peut-être rien des yeux jetés sur leur enfant. L’auteur de « Où on va papa », Jean-Louis Fournier qui pour son récit sur le handicap de ses deux fils a reçu l’année dernière le prix Femina, n’a pas grand peine à imaginer le ressenti de certains internautes : « Personne ne pourra trier les regards qui vont l’épier. Les parents vont offrir leur fille en pâture à des gens qui ne méritent pas de la voir et vont sans doute le faire pour de mauvaises raisons. Pour regarder par le trou de la serrure et frissonner en se disant : Quelle horreur, heureusement que j’ai échappé à ça », analyse-t-il. Il est également probable que le dévouement des parents d’Anne pendant 32 ans, leur chemin de souffrance et leur amour pour elle ne pourront être retranscrits par la petite caméra. Ils n’ont pas retenu le message du Petit prince qui seul sait que « l’essentiel est invisible pour les yeux ».
A.H.