La présentation débute par une question majeure : qu’est-ce que la guérison ? Deux définitions sont proposées. La guérison peut être considérée comme « la disparition du potentiel transformant de la maladie avec retour à une espérance de vie normale, même si le traitement doit être poursuivi indéfiniment » ou comme « l’absence de rechute à long terme après arrêt du traitement ».
Une seconde question est ensuite posée : est-il nécessaire d’éradiquer toutes les cellules résiduelles leucémiques (ce qui n’est pas le cas actuellement chez la majorité des patients traités par imatinib) ? En tous cas, le minimum requis pour un pronostic optimal et une espérance de vie la plus proche possible de celle de la population générale est l’élimination des cellules qui possèdent le potentiel de faire évoluer la leucémie myéloïde chronique (LMC) vers les phases accélérées ou blastiques. Pour ce faire, il faut réduire de façon importante le nombre de cellules leucémiques résiduelles. Si l’on vise l’absence de rechute après arrêt des traitements, la réponse moléculaire complète (RMC : transcrits BCR-ABL indétectables en RTQ-PCR soit entre 0 et 1 à 10 millions de cellules leucémiques résiduelles) est une condition nécessaire (mais insuffisante).
L’imatinib est-il un traitement à vie pour tous ou peut-il être arrêté ? L’arrêt de traitement en maladie résiduelle détectable conduit à la rechute, de même que l’arrêt de traitement chez les patients en maladie résiduelle indétectable depuis peu. Le temps de traitement est vraisemblablement un facteur important : chez les bons répondeurs à l’imatinib, les taux de réponse moléculaire majeure (RMM) et la profondeur des réponses moléculaires augmentent au fil du temps. Le message serait-il « de ne pas se presser ? » Ces données, ainsi que des études ayant modélisé la cinétique des transcrits BCR-ABL dans le temps, suggèrent que sous imatinib, il pourrait y avoir un épuisement des cellules souches leucémiques à long terme, alors même que paradoxalement, certaines études in vitro suggèrent que les cellules souches quiescentes sont résistantes aux ITK. Mais peut-être retrouvent-elles leur sensibilité lorsqu’elles entrent en cycle pour s’auto renouveler ?
Que signifie la détectabilité d’une maladie résiduelle faiblement positive chez la plupart des patients sous imatinib ? Simple persistance ou résistance ? La réponse n’est pas si claire. L’expérience ancienne de l’interféron nous rappelle que certains patients peuvent demeurer en maladie résiduelle détectable longtemps après l’arrêt de l’interféron, sans pour autant perdre leur réponse cytogénétique complète (RCyC) et progresser. Un tel profil existe t-il également chez certains patients sous imatinib ? L’essai académique STIM a pour objectif d’évaluer le taux de persistance de RMC après arrêt de l’imatinib chez des patients sous imatinib depuis au moins 3 ans et en RMC stable depuis au moins 2 ans. Actuellement, la probabilité de demeurer en RMC est de 43 % à 12 mois après arrêt de traitement. Les facteurs prédictifs de la persistance de la RMC après arrêt de traitement sont en cours d’analyse et déjà un score de Sokal faible a été identifié. Le temps de traitement par ITK semblerait aussi jouer.
Quoiqu’il en soit, chez les patients en rechute moléculaire (c’est à dire dont la maladie résiduelle redevient détectable en RQ-PCR), trois profils de rechute moléculaire ont été observés : la rechute rapide logarithmique qui nécessite la reprise de l’imatinib ; la rechute intermittente : détectabilité intermittente des transcrits BCR-ABL sans dépasser le seuil de RMM ; et la rechute cyclique où la maladie résiduelle redevient détectable mais avec des fluctuations en termes de quantification, avec éventuellement au bout d’un certain temps la perte de RMM nécessitant la reprise d’un traitement. Heureusement dans cet essai, aucun patient en rechute moléculaire n’a à ce jour progressé vers une phase accélérée ou blastique et n’a résisté à la reprise de l’imatinib.
En conclusion, il est possible d’arrêter l’imatinib chez certains patients, mais sous des conditions strictes de surveillance dans le cadre d’essais clinique. La rechute moléculaire lorsqu’elle survient s’observe majoritairement pendant les 6 premiers mois. L’utilisation d’ITK-2G permettra t-elle de diminuer le taux de rechute moléculaires lorsque la RMC est atteinte et le traitement arrêté ? Les cellules souches leucémiques sont-elles réellement résistantes aux ITK in vivo et faut-il vraiment toutes les éradiquer pour guérir ? Du travail en perspective.
Dr Delphine Rea