
Paris, le mercredi 9 juin 2010 – En 2008, le Conseil de l’Europe lançait une invitation aux Etats membres : il leur suggérait sans plus attendre d’adopter une loi interdisant tous les châtiments corporels infligés aux enfants, y compris la fameuse fessée. Face à cette incitation européenne, le secrétaire d’Etat à la famille, Nadine Morano observa une attitude paradoxale. Signant l’appel de l’Europe, sans que cet acte soit relayé par la presse, elle indiqua ensuite qu’elle ne considérait pas nécessaire de légiférer sur la question. Il faut dire qu’une interdiction de la fessée est une perspective qui déplaît à une majorité de Français. Ainsi un sondage réalisé à la fin 2009 par l’institut TNS Sofres pour le quotidien Ouest France avait révélé l’opposition de 82 % de nos concitoyens à une loi qui réprouverait officiellement cette correction. Il apparaissait par ailleurs que seule une courte majorité (52 %) de personnes interrogées estimaient que la fessée est « un geste qu’il faut éviter ».
70 % des Suédois défavorables à l’interdiction de la fessée en 1979… contre 10 % aujourd’hui
L’absence de volonté politique en la matière et la levée de bouclier générale contre une prohibition de la fessée n’a pas empêché le très médiatisé docteur Edwige Antier de déposer une proposition de loi contre cette pratique. Rappelant que dix-huit pays ont depuis 1980 imité la Suède qui a été la pionnière en la matière, Edwige Antier suggère que cette interdiction soit inscrite dans le code civil et soit lue aux futurs mariés au même titre que les obligations entre époux, oubliant peut-être que plus de 50 % des enfants sont aujourd’hui le fruit d’une union libre. Ses méconnaissances sociologiques mises à part, Edwige Antier se veut une militante acharnée de la lutte contre la fessée. « En quoi est-ce grave une fessée ? La seule chose que l'on fait passer à l'enfant, c'est qu'un conflit peut se résoudre par la violence. Que le fort a le droit de frapper le faible. (…) Toutes les études le disent, plus on lève la main sur un enfant, plus il devient sournois, menteur et agressif », affirmait-elle interrogée par le Parisien il y a quelques mois. Et face à ceux qui lui rappelaient l’opposition générale à une telle disposition, elle renvoyait à l’exemple suédois. « Quand la Suède l'a interdite, en 1979, 70 % des parents étaient opposés à l'interdiction. Aujourd'hui, ils ne sont plus que 10 % ».
Des enfants fessés plus agressifs que les autres
Depuis le dépôt de sa proposition de loi, totalement ignorée par le gouvernement et les autres parlementaires, différents éléments ont semblé abonder dans le sens de la pédiatre. Ainsi, une étude publiée dans la revue Pediatrics et menée par Taylor et coll. dont nous nous sommes faits l’écho a tenté de démontrer l’impact négatif de la fessée. Les résultats de ces travaux faisaient en effet apparaître que les enfants plus souvent soumis à ce type de correction se révélaient plus agressifs que ceux qui en avaient été épargnés. Parallèlement à la publication de ces conclusions, l’Europe témoignait une nouvelle fois de son attachement à ce sujet en organisant à l’occasion des trente ans de la législation suédoise un colloque consacré à cette question.
Les professionnels de santé disent non à une interdiction de la fessée
Cependant, en dépit de ces différentes initiatives européennes et parlementaires et de ces résultats médicaux déroutants, la fessée reste en odeur de sainteté. Les réactions qu’avait suscité l’évocation des travaux de Taylor et coll. sur notre site en ont témoigné. La très grande majorité des professionnels de santé ayant commenté notre article ont souhaité manifester leur méfiance quant aux conclusions de l’étude, l’ironie que provoquait chez eux l’idée d’une interdiction de la fessée et l’utilité que pouvait avoir dans certains cas ce châtiment, contribuant à apprendre le respect de l’autorité selon 45 % des Français. Aussi, sans surprise, lorsqu’on les interroge sur l’opportunité d’adopter une loi interdisant la fessée, 88 % des professionnels de santé s’y déclarent opposés et seulement 12 % s’y révèlent favorables (sondage réalisé sur JIM du 31 mai au 8 juin auprè de 460 participants). Il semble donc que bien qu’avertis des noirceurs de l’âme humaine, les professionnels de santé ne demeurent pas convaincus de l’effet d’entraînement que peut provoquer la « banalisation » de la fessée. Il apparaît par ailleurs qu’ils restent attachés à certains principes d’éducation où sans être un rouage essentiel la « correction » physique n’est pas nécessairement à écarter inconditionnellement. Sans doute enfin, les professionnels de santé ont souhaité dire leur opposition à une législation qui s’immiscerait de façon trop importante dans les choix "d’éducation" des familles.
Aurélie Haroche