Transplanter l’organe d’un donneur infecté par le HIV apparaît comme une aberration. Jusqu’à il y a quelques années, proposer une greffe à un sujet séropositif pour le HIV, était également une incongruité, en raison des dangers d’un traitement immunosuppresseur sur ce terrain. Et pourtant, ce sont ces deux tabous qu’a levés (avec succès), une équipe du célèbre Hôpital Groote Schuur du Cap en Afrique du Sud (c’est dans ce centre que fut pratiqué la première greffe cardiaque en 1967).
Des patients condamnés
Elmi Muller et coll. étaient confrontés à un problème apparemment insoluble. Parmi les sudafricains contaminés par le HIV (plus de 20 % de la population dans certaines régions), de nombreux patients développent une insuffisance rénale chronique terminale (IRT). Or pour traiter ces malades, les possibilités de dialyse sont très limitées (en raison de difficultés logistiques et économiques) et la transplantation est pratiquement impossible à envisager, même chez les sujets correctement traités par multithérapie anti-rétrovirale, du fait de la pénurie de greffon et de la contre-indication édictée par les autorités sanitaires.
Cette équipe a donc entrepris un programme de transplantation expérimental dans lequel des sujets infectés par le HIV en IRT recevraient des reins de donneurs séropositifs pour le HIV.
Quatre patients ayant sous traitement une charge virale inférieure à 50 copies/ml ont été inclus comme receveurs potentiels. Les donneurs étaient deux sujets décédés, infectés par le HIV, ne recevant pas de traitement anti-rétroviral et n’ayant pas d’antécédents d’infections opportunistes ou de cancer. Leurs biopsies rénales étaient normales et ils n’avaient pas de protéinurie.
Le traitement anti-rejet a associé globuline anti-thymocytes, prednisone, mycophénolate mofétil et tacrolimus.
Avec un an de recul, les 4 greffés se portent bien, n’ont pas présenté de rejet cliniquement significatif et ont une fonction rénale normale. De plus leur charge virale est toujours restée inférieure à 50 copies/ml et leur CD4+ à 100/mm3 malgré le traitement anti-rejet.
Dans les pays émergents, sous réserve d’une sélection rigoureuse des receveurs et des donneurs, ce type de transplantation provenant de donneurs séropositifs est donc susceptible de sauver des patients condamnés à mort faute de place dans des programmes d’hémodialyse. Selon l’expérience limitée de ce centre, le risque de surinfection par un virus transmis par le greffon peut être minimisé par la prescription d’une multithérapie boostée avec une antiprotéase chez le receveur.
De l’audace, toujours de l’audace…
Dr Nicolas Chabert