Quel est le médicament le plus efficace contre la mortalité infantile ? L’instruction des mères !

Malgré des inégalités toujours criantes entre pays riches et pauvres, la mortalité infantile a très sensiblement reculé dans le monde au cours des 4 dernières décennies. C’est ainsi que les organismes internationaux estiment qu’entre 1970 à 2009, le nombre d’enfants mourrant chaque année avant l’âge de 5 ans a diminué de 8,2 millions sur notre planète. Mais, aussi étrange que cela puisse paraître, les causes de cette baisse de la mortalité infantile dans le monde sont mal précisées. Le phénomène est en effet multifactoriel et il est difficile de distinguer ce qui revient directement à l’accroissement du revenu par habitant, à l’élévation du niveau d’instruction, à l’amélioration des structures sanitaires ou aux progrès de la médecine. Or, il serait important d’évaluer la part de chacun d’eux dans les progrès observés, ne serait-ce que pour déterminer les secteurs où les efforts seront le plus rapidement et le plus sûrement couronnés de succès.

C’est à ce travail, et plus particulièrement à la mesure des effets de l’éducation des mères sur la mortalité infantile, que s’est attelée une équipe d’épidémiologistes de Seattle (Etats-Unis) financée par la fondation Bill et Melinda Gates.

0,4 ans d’études pour une fille en Afghanistan contre 13,6 en Norvège 

Emmanuela Gakidou et coll. ont constitué sur le sujet une impressionnante base de données compilant les résultats de 915 études et recensements provenant de 219 pays entre 1953 et 2008. Il leur a été ainsi possible d’approcher, pour 175 pays, l’évolution de trois paramètres essentiels, le niveau d’instruction des hommes et des femmes de plus de 25 ans, le revenu par habitant et la mortalité infantile. De ce travail difficile à concevoir sans le concours d’équipes de documentalistes, de statisticiens et d’épidémiologistes de qualité et donc sans un soutien financier important, il est ressorti un article de 15 pages dans le Lancet (sans les annexes !). Nous y trouvons notamment un tableau de 5 pages permettant d’appréhender pays par pays l’évolution du nombre d’années d’étude des hommes et des femmes depuis 1970.

Sa lecture est édifiante. Elle nous apprend que, par exemple, le nombre moyen standardisé d’années d’instruction des sujets de plus de 25 ans est actuellement de 2,6 ans chez les hommes afghans et de 0,4 chez les femmes, tandis qu’il est de 13,6 ans pour les hommes et les femmes en Norvège ! Au-delà de cet écart très important en terme de niveau d’instruction moyen entre les pays, ce travail met en lumière un différentiel entre hommes et femmes persistant dans certains états et qui semble indépendant du revenu par habitant. C’est ainsi par exemple que dans des pays pauvres comme ceux d’Amérique latine le niveau d’instruction atteint par les hommes et les femmes était globalement identique en 2009 tandis que dans certains états d’Afrique ou d’Asie ayant un revenu par habitant pourtant équivalent les disparités entre hommes et femmes sont encore très marquées. Pour ne citer qu’un exemple en Algérie les hommes de plus de 25 ans aujourd’hui, ont suivi en moyenne 4,7 ans années d’école contre 1,9 pour les femmes. Tout se passe donc comme si des phénomènes culturels et non seulement économiques ont une influence majeure sur les inégalités hommes-femmes dans ce domaine.

L’allongement de la scolarité féminine expliquerait la moitié de la baisse de la mortalité infantile

Une fois ce premier travail de compilation relativement simple effectué, E Gakidou et coll. se sont attaqués à une tache plus ardue puisqu’il s’agissait, en bref, de rechercher des corrélations entre l’amélioration du niveau d’éducation des femmes (et donc des mères) ces 40 dernières années et la baisse de la mortalité infantile. L’étude de ces deux paramètres pays par pays et la confrontation des résultats à l’évolution du revenu par habitant au cours de ces 4 décennies a permis (grâce à des calculs très sophistiqués) de « mesurer » l’impact de l’élévation du niveau d’instruction des filles sur la mortalité infantile. Pour les auteurs la moitié de la baisse de la mortalité infantile constatée depuis 1970 (soit 4,2 millions de décès évités) s’expliquerait par l’augmentation du niveau d’instruction des filles et ce indépendamment des progrès enregistrés en matière de revenu par habitant, de l’amélioration des structures sanitaires et des progrès de la médecine. On saluera ici la précision quasi surréaliste de ces résultats qui évaluent très exactement à 51,2 % (!) la part qui reviendrait au progrès de l’instruction des jeunes filles ! 

 Augmentation du nombre moyen d’années d’instruction chez les femmes de 25 à 34 ans entre 1970 et 2009

L’exemple de la Chine

On peut bien sûr émettre des réserves sur la possibilité d’éliminer tous les facteurs de confusion et de séparer de façon aussi tranchée et précise le rôle de deux variables non indépendantes comme le niveau d’instruction et le revenu par habitant. Cependant l’importance de l’éducation des jeunes filles indépendamment du niveau économique dans la baisse de la mortalité infantile est attestée par quelques exemples. Ainsi, dans des pays comme la Chine, le Sri Lanka ou le Costa Rica où le revenu par tête est très faible et le niveau d’instruction des filles relativement élevé, la mortalité infantile est en baisse très nette.

Un autre phénomène mis en évidence par ce travail est qu’aucun seuil ni aucun plafond n’ont été mis en évidence dans cette relation entre niveau d’éducation des filles et mortalité infantile. En d’autres termes une petite amélioration du niveau d’instruction a des conséquences positives même dans les pays où la durée de la scolarité est à l’origine très limitée et à l’inverse un allongement de la durée des études dans des pays développés a toujours un effet favorable sur la mortalité infantile.

Pourquoi les enfants de mères instruites meurent-ils moins ?

Quant aux mécanismes par lesquels le niveau d’instruction des mères influerait sur la survie des enfants, ils passeraient par des effets directs (meilleure hygiène domestique, meilleure alimentation et meilleure utilisation des services de santé, capacité accrue de décision des mères…) et indirects (possibilité d’accroître son revenu, accès à un travail indépendant et au contrôle des naissances…).

On le voit investir dans l’éducation, et tout particulièrement dans celle des filles, est l’un des moyens les plus rentables dont nous disposons pour réduire la mortalité infantile.

Et il est à notre portée. 

Dr Nicolas Chabert

Référence
Gakidou E et coll. : Increased educational attainment an dits effects on child mortality in 175 countries between 1970 and 2009: a systematic analysis. Lancet 2010; 376: 959-74.

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Vos réactions (2)

  • Bel article...

    Le 21 septembre 2010

    et beau travail de ces auteurs, qui outre son importance pour la mortalité infantile pointe des inégalités criantes autant qu'injustes et absurdes, puisque non dictées par des conditions économiques défavorables, entre hommes et femmes pour ce qui est de l'accès à l'éducation dans certains pays...
    A noter que les Etats Unis n'ont pas vu l'éducation de leur population féminine augmenter de plus de 2 ans en près de trente ans, si j'ai bien compris la figure d'illustration !
    Au passage, bel article également de Nicolas Chabert...
    Une dernière remarque, pour le webmaster : pourquoi ne pas permettre un partage automatique des articles sur facebook, comme c'est le cas sur nombre d'autres sites ? J'aurais volontiers partagé celui-ci...

    Judith Tanné-Gariépy

  • L'éducation des filles prioritaire sur celle des garçons

    Le 21 septembre 2010

    Travail remarquable à partager avec tous ceux qui doûtent de la necessité de placer l'éducation des petites filles, qui seront les futures mères, comme prioritaire sur celle des garçons.

    Farhan Yyazdani

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