Exclusif : comme les Français, les professionnels de santé majoritairement défavorables à la dépénalisation contrôlée du cannabis

Paris, le mercredi 20 juillet 2011 – Le débat récurrent concernant l’opportunité de dépénaliser la consommation de cannabis a été récemment relancé par les déclarations de plusieurs élus, majoritairement socialistes. L’ancien ministre de l’Intérieur, Daniel Vaillant, député maire du XVIIIème arrondissement de Paris a même présenté il y a un mois un rapport à ses collègues socialistes vantant les mérites de la dépénalisation de ce produit. Le postulat de Daniel Vaillant est commun à une grande partie des partisans d’une telle évolution : la lutte contre les trafiquants de cannabis est un échec, tandis que l’objectif de diminution de la consommation est loin d’être atteint. Ainsi, semble-t-il que les limites de la voie répressive soient clairement démontrées.

La qualité à tout prix

Dès lors, Daniel Vaillant propose une optique très différente mais poursuivant le même but. « Nous ne donnons pas accès à un droit nouveau, nous souhaitons simplement lutter efficacement contre le cannabis » a-t-il déclaré devant ses amis politiques. Pour parvenir à ses fins, l’ancien ministre de l’Intérieur propose un système relativement inédit, même dans les pays ayant dépénalisé la consommation de cannabis : mettre en place une filière de production nationale. Sur la mise en place de ce réseau national, Daniel Vaillant se montre assez précis. Il s’agirait probablement d’un cannabis cultivé en France, bien qu’aujourd’hui la résine fumée provient majoritairement du Maroc. En tout état de cause, le député socialiste juge que le contrôle du cannabis impose de s’assurer de sa qualité. Il souhaite donc que le produit soit cultivé « à l’air libre et pas dans des cultures intensives en hangar avec des lampes à sodium ». Il préconise par ailleurs que la teneur en THC n’excède pas 7/8 %. Des questions demeurent cependant en suspens telle la question du prix. Christian Ben Lakhdar, professeur à l’Université catholique de Lille, interrogé par Slate.fr note : « S’il est vendu trop cher, beaucoup de consommateurs préféreront prendre le risque d’acheter « illégal », à moindre coût, et le marché noir perdurera. S’il est vendu à un prix trop bas, on peut s’attendre à une augmentation du nombre de consommateurs ».

Inimaginable

Pour les opposants au projet de Daniel Vaillant, ces interrogations sont vaines, un tel système étant en effet voué à l’échec. Président de la Mission interministérielle de la lutte contre les drogues et les toxicomanies (MILDT), Etienne Apaire interviewé par Valeurs Actuelles remarque ainsi au sujet de l’organisation d’une filière nationale : « Imaginons qu’une régie du cannabis soit créée en France – ce qui serait contraire aux conventions internationales, mais imaginons… Cette régie distribuerait par exemple du cannabis à 6 % de THC. Mais rien n’empêcherait des organisations criminelles de vendre du cannabis à 12 % ou des drogues de synthèse. Les trafics ne disparaîtraient pas, ils se redéploieraient », affirme-t-il. L’ancien magistrat n’est guère plus convaincu par l’argument avancé par Daniel Vaillant qui assure qu’une légalisation contrôlée permettrait de mettre en place une « politique de réduction des risques ». Pour lui, cette idée sous tend que le cannabis n’est dangereux qu’en raison de ses adjuvants.

  Sondage réalisé du 29 juin au 19 juillet
auprès de 660 professionnels de santé lecteurs du JIM

Or, souligne-t-il : « Le produit est nocif en soi. Les études scientifiques prouvent que, chez les adolescents prédisposés, la consommation de cannabis est un facteur déclenchant et aggravant de maladies psychiatriques ».

La force de l’interdit ?

Ainsi, un clivage droite/gauche presque parfait (même si des voix discordantes se font entendre des deux côtés, tel Manuel Valls à gauche ou Alain Madelin à droite) semble s’exprimer face à ce débat. Il semble de fait qu’au-delà du regard porté sur l’efficacité ou non d’un réseau « légal » de cannabis, c’est la notion d’interdit qui est en débat. Pour certains, elle ne représente nullement un frein à la consommation. Pour d’autres, elle est un rempart fiable, bien qu’insuffisant. Ainsi, le secrétaire d’Etat à la Santé, Nora Berra, rappelait sur son blog cette statistique : « On relève par exemple que la moitié des jeunes de 17 ans qui ne consomment pas de cannabis disent ne pas le faire parce que c’est interdit (Enquête ESCAPD 2009) ». Nora Berra remarquait par ailleurs que la consommation de cannabis semble se stabiliser en France à la différence d’autres pays, plus permissifs. De fait, l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) indiquait récemment que le nombre de Français se déclarant comme fumeurs réguliers de cannabis en 2010 (1,2 millions) n’a pas évolué depuis 2005.

Des médecins très favorables en 2001, clairement opposés en 2011

Face à ces différents arguments, quelle est la position des professionnels de santé ? Depuis le début du siècle, leur sentiment semble avoir varié sur ces questions pour désormais connaître une certaine permanence. Ainsi, un sondage réalisé en février 2001 sur notre site révélait que 74 % des praticiens se montraient favorables à une dépénalisation du cannabis. Pourtant, deux ans plus tard à peine, ils étaient plus nombreux (89 %) à se déclarer en accord avec le maintien de la loi de 1970 réprimant l’usage du cannabis. Aujourd’hui, les praticiens demeurent sur cette ligne de l’interdiction, puisque interrogés sur notre site du 29 juin au 19 juillet, ils ont été 60 % à se prononcer contre une dépénalisation contrôlée du cannabis. Les praticiens (qui ne sont que 37 % à se déclarer favorables à une telle réglementation) rejoignent la position exprimée par la population Française qui dans un sondage récent ont été 58 % à rejeter l’idée d’une dépénalisation.

Des connaissances scientifiques plutôt défavorables à la libéralisation ?

Ainsi, à la différence de certains autres sujets, les professionnels de santé n’expriment pas un point de vue divergent par rapport aux autres Français, moins au fait des réalités médicales. Par ailleurs, on note après un revirement au début des années 2000, une constance dans l’opposition à la dépénalisation. Peut-être faut-il y voir la conséquence de la multiplication des études publiées ces dix dernières années mettant en cause un lien entre le développement de troubles psychiatriques et la consommation de cannabis. En dépit de la difficile interprétation de certains résultats, ils ont sans doute conforté les opposants traditionnels à une libéralisation, tandis qu’ils ont probablement influencé le raisonnement de certains praticiens plus indécis sur le sujet. Par ailleurs, les professionnels de santé auront peut être vu l’évolution de leur position influencée par les changements observés dans certains pays européens. Comme le montre l’exemple néerlandais qui souhaite restreindre l’accès de ses coffee shops aux seuls habitants du pays, la tendance actuelle est en effet à un regain de répression, semblant démontrer l’échec d’une libéralisation. Et à cet égard, le projet de Daniel Vaillant ne semble pas avoir su renverser les opinions.

Aurélie Haroche

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