Petit précis de grammaire à l’intention des journalistes réactionnaires

Paris, le samedi 26 mai 2012 –Petit moment de dépit le mercredi 16 mai à l’heure de la présentation du nouveau gouvernement. A la tête du ministère de la Santé, une femme. Pas que cette fidélité à la promesse d’une parfaite parité nous déçoive, mais avec la nomination de Marisol Touraine, se poursuit un casse tête grammatical qui empoisonne depuis des années les articles d’une poignée de journalistes (réactionnaires). Bien sûr, il en est (et pour tout dire la majorité) qui ne s’arrête pas à ce genre de détail et qui ont épousé le mouvement de féminisation des noms entamé depuis désormais plusieurs décennies. Aujourd’hui, ce qui fait l’exception, ce n’est pas d’écrire « la » ministre quand on parle d’une femme, mais bien (comme on le lit dans le JIM) « le » ministre.

La secrétaire ne tape plus à la machine

En 2005, une analyse des titres de la presse française, réalisée par Itsuko Fujimara révélait ainsi déjà une féminisation de 90 % des noms de métiers de la politique. C’est ainsi que l’on a pris l'habitude d'accorder les noms de ministre ou secrétaire d'Etat en genre avec la personne occupant ledit poste. Et ce, bien qu’en français, le genre du nom secrétaire a une incidence sur son sens même. Bref, les journalistes qui fidèles aux vieux académiciens (aujourd’hui parfois disparus) préfèrent continuer à écrire « madame « le » ministre » sont rares. Il faut dire que s’ingénier à refuser le rôle politique que l’on veut donner à la langue est un piège qui se referme parfois sur ces rétifs de la féminisation des noms. Ainsi, lorsqu’on écrit que madame « le » ministre Marisol Touraine s’est rendu(e ?) à l'hôpital Henri Mondor, on n'est guère « rendu » sur la terminaison à adopter.

En 2040 : « la » ministre sera peut-être une faute ?

La même Itsuko Fujimara relevait que pour les autres corps de métiers, éloignés de la politique, la féminisation des fonctions ou des titres tardait plus certainement à s’imposer. Ainsi, même si on parle beaucoup d'auteure dans les journaux féminins, sous les plumes de ceux qui considèrent que le fait que le masculin l’emporte sur le féminin est une règle à combattre entre les lignes, il est extrêmement rare de lire « la » « médecin », quand « doctoresse » est un terme qui ne s’est imposé que chez les patients les plus âgés et les plus obséquieux . Est-ce à dire qu’il est une limite qui paraît infranchissable ? Ou peut-on imaginer qu’à l’heure où désormais plus d’un médecin sur deux est une femme, il est acquis que le terme de médecin, bien que grammaticalement masculin peut renvoyer à l’un ou l’autre des sexes. Ainsi, face à l’évidence, les distorsions grammaticales ne s’imposent plus. Et peut-être peut-on prévoir que dans trente ans, lorsque la parité ministérielle ne sera plus une promesse de campagne mais un fait établi et incontournable, on recommencera à voir fleurir l’utilisation de l’article défini « le » pour parler d’un ministre quel que soit son genre. Le fait qu’une femme soit ministre ne sera plus si aberrant qu’il faudra le souligner par une transformation grammaticale. Peut-être même que ce « le » débarrassé de tous ses présupposés, rendu à sa neutralité originelle, sera revendiqué comme une fierté.

Cocasse Caucase

Ces différentes considérations sur la santé de la langue, éculées nous dira-t-on (sans doute à raison), sont pourtant récurrentes chez ceux qui ont fait du commentaire d’articles médicaux et scientifiques leur sacerdoce. Pour exercer avec une certaine sérénité d’âme cette vocation, il faut en effet parfois accepter de s’imprégner d’un vocabulaire qui, s’il a le mérite d’écarter tous risques de discrimination, n’est pas toujours discriminant en ce qui concerne le sens. C’est ainsi que le terme de « caucasien » adopté plutôt qu’un autre par les anglo-saxons pour désigner de façon obscure les "vrais Blancs" … ne doit surtout pas sous-entendre une référence à d’éventuels habitants du Caucase. Qui, qu’on se le dise, sont tout sauf caucasiens, de même que les Espagnols ou les Argentins ne sont pas hispaniques mais blancs "caucasiens". A moins qu’ils ne se ressentent comme tels. Puisque, par exemple, dans les publications internationales ne sont aujourd'hui classés comme Noirs que ceux qui se considèrent...comme noirs. En clair n'est désormais tenu pour "caucasien" (ou noir, ou femme, ou homme) que celui qui s’affirme tel. Ce qui dans des articles abordant les problèmes médicaux des sujets transexuels (ou plutôt transgenres) conduit à des difficultés d'accord du participe passé inusitées et dignes d'une dictée de Bernard Pivot, le genre pouvant varier au fil de la phrase et selon que l'on se réfère au sexe phénotypique, chromosomique, d'état civil, d'arrivée, d'origine... ou ressenti.

Il est Alzheimer : il ne se souvient plus du genre de caucasien qu’il était

Il semble donc que plutôt que de combattre ceux qui transforment les noms communs en insultes, on a préféré abandonner ces mots au lieu de soutenir qu’ils ne portaient en eux-mêmes rien que l’on puisse rejeter. Cependant, dans cette recherche parfois ubuesque du mot juste, du mot inattaquable, qui conduit souvent à de jolies périphrases (heureusement résolues par de beaux acronymes, tels « hSh » pour hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes*), on s’étonne que certaines locutions suscitent moins d’indignation que d’autres. Ainsi, peut-on lire aujourd'hui sans faire sourciller grand nombre que : « la ministre de la santé a aujourd’hui rendu hommage à des caucasiens Alzheimer »… et non "le ministre de la santé a aujourd’hui rendu hommage à des sujets blancs souffrant de la maladie d’Alzheimer ".

C’est celui qui dit qui l’est

Cette rêverie grammaticale ne nous empêche pas de comprendre l’objet de toutes ces batailles terminologiques et d'ignorer que les mots font le lit de nombreuses discriminations. Et que la langue est sans aucun doute un instrument politique.

Mais il ne faudrait pas qu’un mouvement inverse ne se produise (au-delà de la question de la conservation de l’unité de la langue). Ainsi, n’est pas nécessairement sexiste, raciste ou homophobe celui qui, en se référant à un très vieil usage et en se concentrant uniquement sur le sens premier du mot, choisit une terminologie plutôt qu’une autre. Ou est-il tout au moins certain qu’il ne se définit pas comme tel.

 

*Nous n'ignorons pas que tous les hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes (hSh) ne sont pas homosexuels et que certains hommes ayant une orientation sexuelle dirigée vers des personnes du même sexe (homosexuel) sont abstinents. Ce qui ne devrait pas empêcher d'utiliser une terminologie, qui si elle laisse une part d'ambigüité, a l'immense avantage d'être comprise par tous et d'avoir la concision voulue au fil ses siècles par ceux qui ont forgé les mots.  

Léa Crébat, Rédacteur (trice) de la lettre Jim +

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