Soupçons

Depuis que, grâce aux possibilités offertes par les nouvelles technologies de l'information,  nos lecteurs peuvent réagir en direct à nos articles, nous prenons la mesure du climat de suspicion qui traverse de plus en plus le corps médical.

Ainsi, lorsque nous évoquons dans nos colonnes la possibilité que l'électrosensibilité soit une pathologie essentiellement psychiatrique (1) ou que nous relayons le rapport rassurant d'une agence officielle sur la sécurité carcinologique du lait (2), des voix s'élèvent immédiatement pour nous soupçonner d'être stipendiés par l'EDF ou par les producteurs de lait !  

De même si l'une de nos actualités médicales internationales est consacrée à une étude dont les conclusions vont dans le sens de l'efficacité ou de l'innocuité de telle ou telle molécule ou de telle ou telle classe pharmacologique, il n'est pas rare que certains de nos lecteurs évoquent dans leur réaction, plus ou moins clairement, notre connivence (si ce n'est plus) avec un laboratoire pharmaceutique, voire avec la "BigPharma" (que l'un de nos lecteurs dénonce cette semaine) (3).

Un effet secondaire inattendu des statines: la suspicion 

La dernière "affaire" en date remonte au début de la semaine lorsque nous avons mis en ligne sur Jim le commentaire d'une méta-analyse parue dans le Lancet sur les bénéfices d'une prescription de statines à une très large part de la population (3). En résumé cette méta-analyse prospective démontre avec un niveau de preuve élevé (certes inférieur à celui d'un essai randomisé), que les statines réduisent la morbi-mortalité vasculaire, quel que soit le niveau de base du LDL-cholestérol et ce même chez les sujets ayant un risque cardiovasculaire très faible (moins de 5 % de probabilité d'événements majeurs à 5 ans).

Ceci conduit immanquablement à se poser avec les auteurs de la méta-analyse la question d'une extension des indications des statines (en privilégiant les génériques pour des raisons économiques). Et avec l'éditorialiste du Lancet, celle d'une prescription quasi systématique chez les hommes de plus de 50 ans (qui sont rappelle-t-il 83 %, en Grande Bretagne, à avoir un risque d'événement cardiovasculaire majeur supérieur à 10 % à 5 ans).

Certaines des réactions suscitées par cet article expriment simplement des opinions contraires à celles des auteurs de la méta-analyse, de l'éditorialiste du Lancet ou du commentateur du Jim en insistant sur les effets secondaires des statines ou sur les bénéfices comparables d'interventions non pharmacologiques (exercice physique, hygiène alimentaire...). Nous participons à ce débat scientifique en publiant notre réponse à la suite de leurs contributions (3). 

Mais d'autres réactions vont beaucoup plus loin et dénoncent en vrac, de façon claire ou subluminale, les conflits d'intérêts occultes des auteurs de la méta-analyse, du Lancet lui-même et entre les lignes du Jim, qui seraient tous manipulés (3). On devine par qui.  

La peur d'être manipulé ne doit pas devenir l'alpha et l'oméga de l'esprit critique 

Au delà de l'anecdote est-il possible de demander à ces contempteurs de nous faire le crédit de l'indépendance de nos choix éditoriaux, et d'exercer leur esprit critique plus justement sur ce que nous écrivons que sur d'"où" nous sommes supposés écrire.  Sans voir derrière chaque article ayant une conclusion positive pour des médicaments (nouveaux ou anciens et génériques comme ici) l'ombre d'un grand manipulateur, mais la simple volonté d'informer sur un progrès que nous jugeons significatif et potentiellement utile et de participer à un débat incontournable. 

Pour les convaincre, nous leur demandons de constater, qu'au côté d'articles "positifs" (et donc bien sûr suspects !), nombre de nos actualités font état d'échecs de traitement expérimentaux ou classiques ou d'effets secondaires médicamenteux jusqu'ici insoupçonnés (4, 5, 6, 7, 8, 9, 10). Curieusement, il ne nous est alors jamais reproché d'être des nihilistes acharnés...

Mais laissons aux sociologues le soin de déterminer quels sont les ressorts intimes de cette suspicion universelle et finalement contre productive qui, à la faveur de scandales sanitaires bien réels, semble gagner de proche en proche l'esprit de certains de nos contemporains... et de nos confrères.


Références

1) Comment parler de l’électrosensibilité ?. JIM.fr. 16/02/2012

2) Risque carcinogène du lait : nul ou "faible" selon l'ANSES. JIM.fr. 29/05/2012  
Publié le 29/05/2012

3) Faudra-t-il prescrire une statine à tous les hommes de plus de 50 ans ?. JIM.fr. 29/05/2012
Publié le 29/05/2012 | 5 réactions 

4) Estimer le risque de LEMP sous natalizumab. JIM.fr. 22/05/2012   

5) L'azithromycine pourrait accroître légèrement le risque de décès de cause cardiovasculaire. JIM.fr. 21/05/2012  

6) DMLA : Dégénérescence Maculaire Liée à l’A…spirine ?. JIM.fr. 26/04/2012

7) Neuroleptiques chez les personnes âgées : une prescription sous surveillance. JIM.fr. 10/04/2012

8 ) Vitamine B et oméga 3 ne protègent pas du cancer ! JIM.fr. 13/03/2012

9) Sevrage tabagique de la femme enceinte : les patchs ne collent pas ! JIM.fr. 05/03/2012  

10) Peu de preuve de l’efficacité des traitements médicamenteux de la sciatique. JIM.fr. 25/02/2012

Dr Anastasia Roublev

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