La prévention des conflits d’intérêt ne se ferait pas en bon Ordre

Paris, le mardi 30 octobre 2012 – Marisol Touraine, ministre de la Santé, n’avait pas eu de mots assez durs pour qualifier le projet de décret élaboré par l’équipe de son prédécesseur concernant la prévention des conflits d’intérêt entre les médecins et l’industrie pharmaceutique. Le texte établi n’aurait été selon elle qu’un « faux semblant visant à se donner bonne conscience qui, en l’état, n’est pas approprié au problème posé ». Heureusement, Marisol Touraine promettait de se remettre à l’ouvrage épaulée par une commission ad hoc. Pourtant aujourd’hui, certains laissent entendre que le résultat auquel pourrait aboutir dans quelques semaines l’équipe de Marisol Touraine ne vaudrait guère mieux que la première bouture de l’ère Bertrand.

Sunshine Act, le retour

Tout s’annonçait pourtant prometteur lors de la première réunion de ladite commission. Le texte soumis à la discussion par le ministre de la Santé prévoyait tout d’abord, comme l’avait préconisé la loi (et à l’instar du modèle américain, le fameux Sunshine Act) la publication sur le site internet des laboratoires de toute convention signée par eux avec des professionnels de santé, des associations, des établissements, des fondations ou encore des groupes de presse. Le texte initial proposait par ailleurs que soit indiquée la tranche dans laquelle se situaient les émoluments (ou avantages en nature) perçus pour une période de six mois. Six tranches avaient été découpées, allant de 60 euros à 500 000 euros pour les cinq premières, tandis que la dernière devait concerner tous les contrats supérieurs à 500 000 euros.

On ne saura pas demain plus qu’aujourd’hui combien les médecins peuvent recevoir de l’industrie

Les discussions qui se sont prolongées au-delà du calendrier initialement souhaité (qui espérait que la fin du mois de septembre permettrait de conclure les négociations) auraient considérablement amendé le projet initial, mais pas nécessairement vers une transparence accrue, comme s’en émeut le Conseil national de l’Ordre des médecins (qui participe aux réunions) dans un communiqué publié la semaine dernière. D’abord, si les rémunérations versées aux professionnels de santé sans contrepartie seront dûment précisées, les rétributions attribuées pour le paiement de travaux divers « ne seront pas rendues publiques », se désole l’Ordre, confirmant des informations également dévoilées lors d’une récente réunion de la Fédération Nationale de l’Information Médicale (FNIM). En outre, la « nature même de ces travaux ne sera pas connue, au nom du respect du secret des affaires qui l’emporte ici sur la protection de la santé publique » proteste l’instance ordinale. Enfin, « les avantages perçus par les professionnels de santé au travers des associations subventionnées par les industriels ne seront pas publiables dans la mesure où ils ne seront pas identifiables », relève l’Ordre qui d’une manière générale tance : « Des mécanismes savants de cumuls, de tranches et de seuils ne permettront pas au public de connaître les sommes effectivement versées par les industriels aux professionnels de santé ».

Un Ordre sans mission

Parallèlement à cette orientation de la rédaction du décret qui semble contraire à l’esprit de la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé (et si éloignée de la sévérité affichée par les uns et les autres), l’Ordre s’inquiète du rôle qu’on pourrait (ne pas) lui faire jouer. Alors qu’il a été rudement critiqué récemment par la Cour des Comptes qui lui reprochait entre autres de manquer d’efficacité en ce qui concerne la lutte contre les conflits d’intérêt, la future réglementation ne devrait guère lui permettre de mieux exercer cette mission. En effet, il ne serait pas « prévu de rendre obligatoire la transmission, par voie électronique, des dizaines de milliers de conventions entre médecins et industriels de la santé (…) à l’Ordre des médecins » et ce en dépit de « la volonté claire du législateur ». Face à ces multiples manquements, la colère de l’instance ordinale qui s’est exprimée par la voie de ce communiqué devrait éclater lors de la dernière réunion de la commission prévue dans deux semaines.

Si ses remarques ne sont alors pas entendues, l’Ordre se réserve la possibilité d’intenter un recours devant le Conseil d’Etat contre le décret lorsqu’il sera publié.

Aurélie Haroche

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