Au secours, Borée s’en va !

Paris, le samedi 23 mars 2013 – Sans nous prétendre des spécialistes de la blogosphère médicale (vaste monde s’il en est) il n’est guère difficile de déterminer que sur cette petite planète, Borée est une star. Borée c’est le nom d’un blog ouvert en février 2010 par un « médecin généraliste installé à la campagne ». Le cocktail (explosif) qui fait la réussite de ce journal en ligne est aussi simple qu’ardu : un style plus qu’agréable, un humour parfois décapant et des sujets souvent intéressants. En outre, Borée a su alterner les « posts » évoquant (souvent avec tendresse) l’histoire particulière de ses patients (ce qui est l’un des signes distinctifs des « bons » blogs de médecin), les messages plus politiques (il avait fait partie en septembre dernier du collectif  "Médecine générale 2.0") et techniques (quelques mises au point utiles pour les étudiants).

Espèce protégée… et en voie de disparition

A travers ses nombreux posts (assez régulièrement mis en ligne ce qui ne manque pas d’être rare sur les blogs), Borée nous permettait d’apprécier en filigrane l’horizon d’un médecin généraliste en zone rurale, une « espèce protégée » comme il l'affirme amusé. L’auteur a ainsi souvent défendu son mode d’exercice (au sein d’une maison médicale), délibérément et très consciemment choisi et en a vanté les richesses.

Pourtant, aujourd’hui, Borée s’en va. Et les raisons qui l’ont poussé à « coller une affiche sur la porte pour avertir mes patients » comme il l’explique dans sa dernière (mais peut-être pas ultime) note postée le 18 mars sont intrinsèquement liées à l’exercice de la médecine à la campagne. 

Des cinémas à plus de quarante minutes et des confrères pas très dynamiques

Borée explique par exemple, avec cette légèreté de ton qui fait le sel de ses billets, qu’il pense avoir « suffisamment goûté » le charme de la vie en zone rurale et il énumère : « les cinémas à quarante minutes, la gare principale à 1h20, les grandes villes à plus de deux heures de route, le réseau téléphonique mité, la connexion ADSL anémique ». Mais son désir d’exil n’est pas uniquement lié à cette lassitude de l’isolement. Borée détaille également de nombreuses « raisons professionnelles ». Affirmant continuer à aimer son exercice « à la campagne riche et varié », il déplore cependant que « l’environnement professionnel » soit « assez peu stimulant ». Confrères peu avides de se former à la nouveauté et encore moins engagés à constituer des réseaux ou des groupes, absence quasi-totale de stagiaires assez peu enclins à un tel déracinement. Une pointe de désespoir face à « quelques patients pour lesquels, au bout de huit ans, je ne sais plus vraiment quoi dire ou faire pour avancer » complète un tableau (clinique) ne laissant guère de place à l’enthousiasme. 

L’argent : un point à ne pas oublier

Ces différents éléments permettent de toucher du doigt les raisons profondes (et rarement évoquées) qui expliquent pourquoi les jeunes boudent aujourd’hui l'exercise à la campagne. D’autres s’y ajoutent abordées sans fard par Borée. Dans une note antérieure, l’auteur du blog avait déjà évoqué, sans faux semblant, la question épineuse des revenus d’un médecin de campagne. Aujourd’hui, il confirme : « Je sais que je ne suis de loin pas le plus à plaindre. Mais voir mon bénéfice stagner depuis quatre ans ou hésiter à prendre des congés parce que c’est à chaque fois un gros trou dans la caisse, j’en ai un peu assez » résume-t-il, soulignant encore que sa patientèle un peu particulière « bien éduquée à ne pas venir pour les petits bobos » et qui nécessite souvent des « actes (…) longs et peu rentables » ne favorise guère une progression des revenus.

Fuir avant qu’il ne soit trop tard

Enfin, élargissant un peu son analyse, Borée se montre sans grand espoir pour l’avenir de la médecine générale en zone rurale. « Je préfère (…) fuir avant la catastrophe » déclare-t-il ajoutant qu’il se sent « très pessimiste pour les quinze prochaines années dans des secteurs aussi isolés que le mien ». Ainsi, Borée, un quasi militant de la médecine en campagne profonde (qui affirme qu’il reviendra en zone rurale mais bien moins éloignée d’une grande ville) dresse un bilan plutôt négatif. Cette dernière note semble porter en germe le diagnostic plus global d’une médecine rurale en crise, crise face à laquelle ne semblent pas avoir été proposées pour l’heure des solutions adaptées. Mais pour ceux et celles qui n’auraient pas lu ce post comme un coup de tonnerre dans un ciel (presque) serein et qui continueraient, séduits par l’expérience racontée au fil de son blog par Borée, à être attirés par la médecine à la campagne (et il en est comme le montrent certains commentaires), son cabinet est libre !

 

Pour dire au revoir, mais très certainement pas adieu à Borée, c’est ici :
http://boree.eu/?p=3204

Aurélie Haroche

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Vos réactions (1)

  • La possibilité de travailler sereinement en humaniste

    Le 23 mars 2013

    A 70 ans, de guerre lasse, j'ai fermé mon cabinet de kiné spécialisé en respiratoire, vasculaire, orthopédie pédiatrique. J'ai joué les prolongations en espérant (depuis des années) passer la main (même sans vendre) à de jeunes confrères et ainsi assurer à mes patients une suite cohérente à leurs soins.
    La permanence des soins et les gardes inhérentes à toute prétention en kiné respiratoire (surtout à cause de la pédiatrie et au fait d'assumer la pneumokiné d'une clinique chirurgicale) ont fait constamment office de repoussoir. Personne n'a pu invoquer ici de problèmes de rémunération mais rien n'y a changé. Chacun aurait voulu concilier les revenus du libéral et le temps de travail d'un salarié à 35 h...autant dire la quadrature du cercle si l'on veut un minimum de qualité de soins.
    L'amertume qui fut la mienne en fermant la porte me permet de comprendre les sentiments de Borée. Je lui souhaite de reprendre racine quelque part où il pourra concilier ses valeurs en exercice de la médecine et la possibilité de travailler sereinement en humaniste sans avoir le sentiment de se sacrifier constamment sur l'autel de sa "mission de santé publique" et donc de sacrifier par là-même sa vie privée et sa famille.

    H.Tilly

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