
Espèce protégée… et en voie de disparition
A travers ses nombreux posts (assez régulièrement mis en ligne ce qui ne manque pas d’être rare sur les blogs), Borée nous permettait d’apprécier en filigrane l’horizon d’un médecin généraliste en zone rurale, une « espèce protégée » comme il l'affirme amusé. L’auteur a ainsi souvent défendu son mode d’exercice (au sein d’une maison médicale), délibérément et très consciemment choisi et en a vanté les richesses.Pourtant, aujourd’hui, Borée s’en va. Et les raisons qui l’ont poussé à « coller une affiche sur la porte pour avertir mes patients » comme il l’explique dans sa dernière (mais peut-être pas ultime) note postée le 18 mars sont intrinsèquement liées à l’exercice de la médecine à la campagne.
Des cinémas à plus de quarante minutes et des confrères pas très dynamiques
Borée explique par exemple, avec cette légèreté de ton qui fait le sel de ses billets, qu’il pense avoir « suffisamment goûté » le charme de la vie en zone rurale et il énumère : « les cinémas à quarante minutes, la gare principale à 1h20, les grandes villes à plus de deux heures de route, le réseau téléphonique mité, la connexion ADSL anémique ». Mais son désir d’exil n’est pas uniquement lié à cette lassitude de l’isolement. Borée détaille également de nombreuses « raisons professionnelles ». Affirmant continuer à aimer son exercice « à la campagne riche et varié », il déplore cependant que « l’environnement professionnel » soit « assez peu stimulant ». Confrères peu avides de se former à la nouveauté et encore moins engagés à constituer des réseaux ou des groupes, absence quasi-totale de stagiaires assez peu enclins à un tel déracinement. Une pointe de désespoir face à « quelques patients pour lesquels, au bout de huit ans, je ne sais plus vraiment quoi dire ou faire pour avancer » complète un tableau (clinique) ne laissant guère de place à l’enthousiasme.L’argent : un point à ne pas oublier
Ces différents éléments permettent de toucher du doigt les raisons profondes (et rarement évoquées) qui expliquent pourquoi les jeunes boudent aujourd’hui l'exercise à la campagne. D’autres s’y ajoutent abordées sans fard par Borée. Dans une note antérieure, l’auteur du blog avait déjà évoqué, sans faux semblant, la question épineuse des revenus d’un médecin de campagne. Aujourd’hui, il confirme : « Je sais que je ne suis de loin pas le plus à plaindre. Mais voir mon bénéfice stagner depuis quatre ans ou hésiter à prendre des congés parce que c’est à chaque fois un gros trou dans la caisse, j’en ai un peu assez » résume-t-il, soulignant encore que sa patientèle un peu particulière « bien éduquée à ne pas venir pour les petits bobos » et qui nécessite souvent des « actes (…) longs et peu rentables » ne favorise guère une progression des revenus.Fuir avant qu’il ne soit trop tard
Enfin, élargissant un peu son analyse, Borée se montre sans
grand espoir pour l’avenir de la médecine générale en zone rurale.
« Je préfère (…) fuir avant la catastrophe » déclare-t-il ajoutant
qu’il se sent « très pessimiste pour les quinze prochaines années
dans des secteurs aussi isolés que le mien ». Ainsi, Borée, un
quasi militant de la médecine en campagne profonde (qui affirme
qu’il reviendra en zone rurale mais bien moins éloignée d’une
grande ville) dresse un bilan plutôt négatif. Cette dernière note
semble porter en germe le diagnostic plus global d’une médecine
rurale en crise, crise face à laquelle ne semblent pas avoir été
proposées pour l’heure des solutions adaptées. Mais pour ceux et
celles qui n’auraient pas lu ce post comme un coup de tonnerre dans
un ciel (presque) serein et qui continueraient, séduits par
l’expérience racontée au fil de son blog par Borée, à être attirés
par la médecine à la campagne (et il en est comme le montrent
certains commentaires), son cabinet est libre !
Pour dire au revoir, mais très certainement pas adieu à Borée,
c’est ici :
http://boree.eu/?p=3204
Aurélie Haroche