
Paris, le samedi 6 avril 2013 – Que se passe-t-il de l’autre côté ? Pas seulement après la mort, mais de l’autre côté de nos cerveaux dociles, de nos âmes bien lisses. Les frontières du réel offrent-elles des espaces prometteurs ? Nombre d’artistes ont exploré cet inconnu. Souvent pour toucher plus certainement du doigt cet « au-delà », ils ont eu recours à des « passeurs » : des substances chimiques. Il s’agit du thème précis de l’exposition présentée actuellement à la Maison Rouge à Paris. « Sous influences » regroupe un ensemble d’œuvres, de documents, de films, émanant d’artistes aussi divers qu’Antonin Artaud, Jean-Michel Basquiat ou Jean Cocteau. Leur trait d’union : avoir été créés sous l’emprise de psychotropes. « Beaucoup d’artistes à un moment ou à un autre sont confrontés ou portés sur les psychotropes. Ils vivent en marge et ils cherchent aussi la transgression » explique le commissaire de l’exposition, Antoine Perpère. Si le thème du lien entre drogues et créations artistiques est éternel, rares avaient été jusqu’alors les expositions exploitant aussi profondément la question.
Au-delà du sommeil
Chercher à s’évader grâce aux psychotropes, c’est souvent vouloir s’échapper de soi-même, se fuir, quitter ses démons. Le nouveau traitement prescrit par le psychiatre Jonathan Banks (interprété par le troublant Jude Law) à sa patiente Emily Taylor (Ronney Mara) pourrait avoir eu l’effet inverse : celui de révéler une nature enfouie, une nature profonde, une nature macabre. « Effets secondaires » dernier film de Steven Soderbergh jette le praticien dans une spirale interminable quand sa patiente est soupçonnée d’avoir tué son mari, lors d’une crise de somnambulisme, possiblement provoquée par le traitement prescrit par ses soins. « Effets secondaires » pourrait être une dénonciation des manipulations de l’industrie pharmaceutique, de la publicité mais il est avant tout une dissertation sur les propres manipulations que nous nous infligeons, pour éviter d’aller voir de l’autre côté.
Au-delà des pantins
Mais les artistes disposent de nombreuses autres méthodes pour entrapercevoir l’envers du décor. Dans « Real humans », la nouvelle série diffusée par Arte depuis ce 3 avril, c’est la science fiction qui sert de substance révélatrice. Quand les robots parfaits, utilisés pour accomplir les tâches domestiques, assouvir quelques désirs sexuels ou remplacer des parents absents, se révèlent trop envahissants, un groupe d’humains appelle à se rebeller à travers un mouvement « 100 % Real humans ». Les robots ont contraint les petits pantins sages que les hommes étaient devenus, à passer de l’autre côté d’une vie automatisée et comme déshumanisée.
Au-delà de la mort
Enfin, l’une des meilleures façons de basculer, de flirter avec un ailleurs est sans doute de plonger dans le thriller. Dans « Homicide Post Mortem », le docteur Olivier Kourilsky, passé avec brio de la néphrologie à l’écriture de romans policiers, franchit toutes les frontières. Celle, peut-être, de la mort : le commissaire principal Machefer, pourtant abattu par Maupas quinze ans plus tôt, est-il revenu des enfers pour accomplir sa vengeance ? Même écriture turquoise sur des papiers Vélin, même arme du crime, même absence totale de scrupules. Bien sûr, impossible de croire à la thèse du « zombie », comme l’ont désigné Claude Chaudron, la chef de groupe et son équipe. Mais l’enquête qui débute va forcer la jeune femme, épaulée par son maître Maupas, à fouiner de l’autre côté des apparences, de l’autre côté des certitudes et comment souvent une telle investigation conduit à soupçonner tout le monde et surtout ses plus proches. Mais il faut faire vite, protéger tous ceux qui pourraient être sur la liste du revenant et notamment le professeur Banari, néphrologue proche de la retraite (toute ressemblance avec l’auteur…) qui lui aussi est plongé dans un ailleurs cauchemardesque : sa fille cadette est détenue au Laos, soupçonnée de trafic de drogue. Avec humour, multipliant les renvois amusés à ses thrillers précédents, distillant quelques anecdotes sur sa (longue) vie de praticien hospitalier, ne comptant pas les pistes brouillées et les indices tortueux, Olivier Kourilsky s’amuse à nous faire tourner d’un côté et de l’autre.
Aurélie Haroche