Du nouveau sous le Sunshine : tous les avantages de plus de 10 euros devront être déclarés !

Paris, le mercredi 22 mai 2013 – Arrivée aux affaires, Marisol Touraine s’était montrée très critique quant à la première version du décret d’application de l’article 2 de la loi sur la sécurité sanitaire du médicament du 29 décembre 2011, visant à l’établissement de ce que son prédécesseur avait baptisé un « Sunshine Act à la française ». Marisol Touraine avait considéré que plutôt qu’une entreprise de transparence, destinée à dévoiler les liens d’intérêt entre les laboratoires pharmaceutiques et les professionnels de santé, le gouvernement précédent s’apprêtait à publier un texte tenant lieu de « faux semblant visant à se donner bonne conscience ». Aussi, le ministre avait-elle décidé de la constitution d’une commission ad hoc pour plancher de nouveau sur le dossier. Les travaux de cette dernière ne furent cependant pas aussi sereins et rapides que le ministre l’avait espéré : beaucoup de critiques et de réserves furent émises, émanant notamment du Conseil national de l’Ordre des médecins qui estimait en septembre 2012 que l’orientation prise semblait dévoyer l’esprit du législateur. Il estimait notamment que le texte tel qu’il se dessinait ne permettrait nullement d’avoir une juste vision des liens entre industriels et professionnels de santé.

Qu’avez-vous mangé ?

Ces différentes réserves expliquent qu’il aura finalement fallu attendre un an après l’arrivée de Marisol Touraine avenue de Ségur pour qu’enfin le décret soit publié ce 22 mai au Journal officiel. Ce « Sunshine Act » concerne un public très large : l’industrie pharmaceutique et les professionnels de santé, mais aussi les associations de praticiens et d’étudiants dans des filières sanitaires, les établissements de santé, les fondations, les sociétés savantes ou encore les éditeurs de presse spécialisés. Ces différents acteurs seront tenus désormais de préciser « tous les avantages en nature ou en espèce d’une valeur supérieure ou égale à dix euros ». La déclaration qui à terme se fera sur un site internet public unique (et qui dans l’attente devra figurer sur le site des ordres professionnels et des entreprises concernés) devra faire mention de l’identité des parties, de la nature de cet avantage (repas, voyage, invitation…) et de l’existence éventuelle d’une convention (y compris de recherche). Concernant cette dernière obligation l’objet de la convention sera présenté « en respect des secrets protégés par la loi, notamment du secret industriel et commercial ». Si cette convention concerne l’organisation d’un congrès ou d'un colloque, le programme de ces derniers devra être indiqué. A contrario, « cette obligation ne s’applique pas aux conventions régies par les dispositions des articles L. 441-3 et L. 441-7 du code de commerce, qui ont pour l’objet l’achat de biens ou de services » précise le texte.

Texte rétroactif

L’entrée en vigueur du texte est immédiate et concerne les avantages consentis au cours de l’année 2012. La transmission des informations pour cette période devra être faite avant le 1er juin aux ordres professionnels, tandis que les données seront publiées le 1er octobre. Concernant les « avantages » consentis au premier semestre 2013, ils devront être connus avant le 1er août et avant le 1er février 2014 pour ceux versés au cours de la seconde partie de l’année. Enfin, à partir d’aujourd’hui, la transmission des données devra se faire dans un délai de quinze jours après la signature de la convention. Soulignons enfin qu’une circulaire d’interprétation sera diffusée dans les jours à venir.

Le ministre chante, le LEEM déchante

La ministre se félicite de ce texte qui selon elle donne à la France l’une des législations les plus rigoureuses en la matière en Europe. Marisol Touraine estime par ailleurs que le dispositif n’empêche nullement les liens entre l’industrie et les professionnels mais permet d’assurer une entière transparence. Du côté du LEEM, l’enthousiasme est plus mesuré : on regrette une application aussi précipitée du texte, compte tenu du fait que tous les avantages de 2012 sont concernés.

On peut en effet se demander comment il sera possible aux entreprises concernées de transmettre des données concernant 2012 aux ordres professionnels avant le 1er juin (c'est à dire dans 10 jours !) alors que la circulaire d'application, qui seule permettra d'interpréter ce texte complexe, n'est pas encore publiée !

Aurélie Haroche

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Vos réactions (1)

  • Absurde

    Le 24 mai 2013

    Un médecin s'achèterait donc pour 10 euros, pas moins ; pas cher quand même ! Au dessous de ce seuil, il serait non corruptible, mais une dizaine d'euros lui suffiraient pour changer d'avis. Quelle preuve de dédain envers le corps médical.
    La réalité est que l'influence psychologique s'obtient paradoxalement avec les rétributions les plus vénielles, et non les plus fortes. Il suffit de lire la littérature sur le sujet - et notamment le fameux "Petit Traité de Manipulation à l'Usage des Honnêtes Gens" de Beauvois et Joule.
    Bien entendu, les "cadeaux" de quelques dizaines d'euros doivent être déclarés, mais ceux de quelques centimes d'euros doivent l'être aussi. La raison est que l'on ne soupçonne pas le praticien d'avoir été "acheté" (la valeur monétaire du geste est donc strictement sans importance), mais l'on souhaite que la transparence la plus totale soit faite sur les manœuvres d'influence exercées par les industries.
    Obliger à déclarer le moindre avantage a pour mérite de faire prendre conscience à tous (donneur, receveur, public et administrations) de l'intensité des luttes d'influence qui sont à l'œuvre.
    Une tout autre question est "l'achat" de lobbyistes parmi les experts médicaux. Il s'agit là de sommes bien plus conséquentes, mais les experts concernés ne sont, bien souvent, pas le moins du monde influencés dans leur opinion ; ils exercent simplement une fonction rétribuée qui est non pas un biais d'influence mais un lien d'intérêt.
    Le malheur est que l'on amalgame ces liens d'intérêts et ces biais d'influence sous un vocable inapproprié : le "conflit d'intérêt" - qui est tout autre chose. Précisons : il y a conflit d'intérêt quand l'émission d'un avis pourrait avoir des conséquences matérielles pour la personne qui l'émet. Autrement dit, un lien d'intérêt n'est pas répréhensible, il interdit seulement d'émettre un avis sur ce sujet précis.
    Ce décret sur la transparence des intérêts est donc totalement inepte. Il pourra, tout au plus, conduire les spécialistes de la communication promotionnelle à multiplier des dons à 9,90 euros : après tout, même si ça complique la comptabilité, mais au bout d'un certain nombre, on devrait pouvoir régler ainsi pas mal de prébendes...
    Pierre Rimbaud

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