
Paris, le jeudi 10 octobre 2013 - Le Conseil d’Etat a rendu ce mardi au gouvernement un avis négatif sur l’ouverture de salles de shoot (appelées administrativement lieu de consommation de drogue à moindre risque). La haute juridiction considére qu’un tel dispositif n’est pas conforme à la loi de 1970 sur les stupéfiants qui interdit totalement leur usage. L’expérimentation qui devait commencer à Paris en novembre semble donc plus que compromise.
Rappelons en effet que si les avis du Conseil d’Etat sont purement consultatifs, passer outre reviendrait à s’exposer à des recours en annulation de décret dans les mois à venir.
Le gouvernement qui prévoyait simplement un décret élargissant les prérogatives des lieux d'accueils des toxicomanes devra donc « inscrire dans la loi le principe de ce dispositif pour plus de garantie juridique » comme le lui recommande le Conseil d’Etat.
Cet avis n’est pas réellement surprenant. En effet beaucoup de commentateurs avaient noté l’incompatibilité de ce projet avec la législation actuelle. D’autre part le Conseil avait jugé recevable cet été la plainte de l'association « Parents contre la drogue » qui contestait la décision du premier ministre de faire ouvrir une salle de shoot.
Gouvernement et municipalité vont revoir leur copie
Réagissant à cette information, l’adjointe au maire de Paris et candidate à sa succession, Anne Hidalgo a reconnu qu'il ne sera donc pas possible d'ouvrir une « salle de shoot » avant les municipales de 2014. Elle a ainsi déclaré au micro de France Info : « nous allons retravailler avec le ministère de la Santé » .
Le gouvernement a quant à lui annoncé en un communiqué laconique
qu’il « va travailler avec les acteurs concernés par ce projet à la
sécurisation juridique de ce dispositif ».
Pour le docteur Jean-Marie Le Guen, député PS de Paris et
spécialiste des questions de santé « regrette que le
gouvernement n’ait pas pris les mesures nécessaires à la
sécurisation juridique pour la mise en place d’un dispositif
attendu et nécessaire à la réduction des risques et à la santé
publique». Il semble néanmoins prêt à continuer à mener ce
combat « cet avis ne doit pas affaiblir notre mobilisation car
je suis convaincu que d’autres modalités sont envisageables »
et il se propose de porter un projet de loi à l'Assemblée.
Une victoire "du droit et de la raison"
L'équipe de Nathalie Kosciusko-Morizet, s'est réjouie de cet avis défavorable en y voyant une victoire "du droit et de la raison".
« L'avis des Sages est un véritable désaveu pour la municipalité socialiste, et témoigne de l'amateurisme dans la construction de ce projet (…) En en soulignant l'illégalité, le Conseil d'État rappelle que la majorité ne pourra pas passer en force au mépris de la loi », explique-t-elle dans un communiqué. Elle a tout de même averti : « si l'installation de la salle de shoot est ainsi nécessairement reportée, les Parisiens ne doivent toutefois pas être dupes (…). La gauche tente d'étouffer un projet qu'elle assume de moins en moins, et qu'elle ressortirait du chapeau au lendemain des élections. Il est temps de stopper purement et simplement un projet qui ne consiste en rien d'autre qu'en une légalisation des drogues ».
Parent contre la drogue qui rit, Gaia qui pleure
Opposant et défenseur ont fait part de leurs sentiments dans le journal Le Monde.
Le président de l'association Parents contre la drogue Serge Lebigot se réjouit et déclare « nous sommes très contents, car c'est une deuxième victoire pour nous, alors que le Conseil d'Etat nous a déjà donné raison en août en considérant notre recours recevable (…). Si Marisol Touraine est si sûre que les salles de shoot, c'est formidable, pourquoi ne passe-t-elle pas devant le Parlement ? ».
Le docteur Elisabeth Avril, directrice de Gaïa-Paris, l'association qui porte le projet, reproche quant à elle au gouvernement de s'être pris « les pieds dans le tapis » en demandant l'avis du Conseil d'Etat et se déclare « atterrées » « on nous avait présenté le passage devant le Conseil d'Etat comme une formalité. Cela fait trois ans que nous travaillons sur ce projet, il y a un mois, on nous disait que tout allait bien. Un lieu a été trouvé, des gens recrutés, et c'est à la fin qu'on s'aperçoit que cela ne va pas être possible ! » .
Pour Pierre Chappard, auteur avec Jean-Pierre Couteron de Salles de shoot, la réduction des risques « est toujours aux limites de la loi » et il regrette une « lecture très restrictive du Conseil d'Etat ».
Reste à savoir quel contour prendra l'éventuelle future loi, qui devra s’employer en quelque sorte, à autoriser la consommation de drogue par voie intraveineuse dans des lieux dédiés tout en interdisant son commerce et sa consommation partout ailleurs (y compris à la porte même du local).
Frédéric Haroche