Addict aux titres chocs : attention danger !

Paris, le samedi 26 octobre - L'information paraissait si appétissante qu'il semblait difficile de résister à la tentation de la reproduire à notre tour. Mais sous quelle forme ? En relevant son caractère insolite ? En proposant à nos lecteurs une question toute trouvée telle que : « Quel est le biscuit qui rend aussi accroc que la cocaïne ? » Derrière ce tâtonnement, notre réflexion était un peu troublée. Bien que nous soyons les premiers défenseurs de la nature ontologiquement provocatrice des titres, nous savions bien qu'il était plus que trompeur d'affirmer que les centenaires et très célèbres petits gâteaux baptisés Oreo sont aussi addictifs que la cocaïne comme l'a tonné une partie de la presse. Certes l'expérience menée par Jamie Honohan, jeune diplômée en neurosciences de l'université  du Connecticut démontre la force d'attraction de ceux que l'on appelle parfois les "whoopies" mais il est certain que l’étude aurait pu être menée avec n'importe quel petit biscuit à la crème et qu’il n’est rien dans les Oreo qui puissent les faire comparer à une véritable drogue.

Oreo et cocaïne : même combat ?

Ses travaux ont en effet consisté à comparer les agissements de deux groupes de rat. Le premier pouvait choisir entre se sustenter de façon illimitée de gâteaux Oreo ou de gâteaux de riz. Le second évoluait dans un labyrinthe qui proposait soit de la cocaïne en une de ses extrémités, soit un peu d’eau salée. Constatation : les premières rats se sont montrés aussi souvent attirées par les biscuits à la crème que les seconds ont goûté sans compter à la cocaïne. Les chercheurs ont par ailleurs complété cette observation en soulignant que le noyau accumbens, présenté souvent comme le centre du plaisir semblait davantage activé chez les rats se délectant des petits biscuits que chez ceux dépendants à la cocaïne. Pour le professeur Joseph Schroeder qui a encadré ces travaux, ces derniers démontrent « que les aliments très gras ou très sucrés (et pas seulement les Oreo, ndrl !) stimulent le cerveau de la même façon que les drogues ». Il n’en fallait pas plus pour que nombre de journaux se plaisent à assurer que la cocaïne et les Oreo étaient les deux faces du même vice !

Pudibonderie et laxisme

Des titres et une conclusion un peu hâtive pour le docteur Michel Lejoyeux qui sur le blog communautaire « Le Plus » proposé par le Nouvel Observateur met en garde contre ce type de comparaison. Pour le spécialiste tout d’abord, les recherches de Jamie Honohan n’apportent guère d’éléments nouveaux : chacun sait que manger un bon biscuit génère son comptant de plaisir. Cependant, il concède qu’il n’est pas inutile de rappeler que nous avons « tendance (…) à préférer les aliments qui (…) procurent une satisfaction immédiate ». Mais il est davantage gêné par l’assimilation de ce goût pour les produits gras et sucrés à la dépendance. « Dire que la cocaïne est aussi dangereuse qu’un biscuit, voire moins, c’est un raisonnement simpliste. D’un côté, on tend à banaliser un produit extrêmement néfaste et un comportement qui tue. De l’autre, on médicalise des comportements très banals que sont les moments de plaisir. C’est à la fois un retour de la pudibonderie dans nos sociétés, refusant le plaisir, et un laxisme, puisque l’on met des substances qui n’ont rien à voir sur le même plan », analyse-t-il.

Minimiser l’enfer de la dépendance

Il poursuit sa réflexion en soulignant que tout produit attrayant et engendrant du plaisir n’est heureusement pas susceptible de déclencher une addiction profonde, dangereuse pour soi et pour les autres. « Si on pensait tenir une nouvelle drogue et que l’on posait le diagnostic de l’addiction dès qu’une zone spécifique dans le cerveau, celle du système de récompense, était stimulée, on risquerait d’avoir une vie bien triste », observe-t-il. Par ailleurs, il note que proposer une telle comparaison revient à dénier la gravité de la dépendance et la difficulté d’y échapper : il n’est malheureusement pas aussi simple de se passer de tabac, d’alcool ou de cocaïne que de petits gâteaux à la crème ! Michel Lejoyeux souligne que cette confusion trouve son fondement dans la popularité du mot « addiction », popularité, remarque-t-il qui a « dépassé les addictologues ». On notera cependant que ce phénomène n’est pas propre à l’addiction. Nombre d’expressions, de mots, de termes peuvent être détournés, utilisés de façon exagérée afin de marquer les esprits et ce propre de la rhétorique ne devrait pas être remis en question, au risque de prôner une neutralité aussi triste qu’un monde sans plaisir. Néanmoins, dans le cas d’espèce, on reconnaîtra qu’en effet il existe dans l’utilisation du mot « addiction » une tendance à la minimisation de l’enfer de la dépendance. Surtout à l’heure où nous sommes assaillis de révélations censées démontrer la duplicité des industriels en tous genres, certains auraient pu facilement croire qu’ils se cachaient dans les Oero des substances illicites !

Pour découvrir in extenso l’analyse de Michel Lejoyeux, c’est ici http://leplus.nouvelobs.com/contribution/957088-les-oreo-aussi-addictifs-que-la-cocaine-etre-en-manque-de-gateaux-ne-mene-pas-a-l-hopital.html

Aurélie Haroche

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Vos réactions (1)

  • Minimiser l'enfer de l'addiction ou vouloir ajouter l'aliment gras aux substances toxiques?

    Le 29 octobre 2013

    Dans les pathologies nutritionnelles, les discours des comportementalistes et les comparaisons de l'aliment gras avec les substances toxiques qui entretiennent addictions telles que l'alcoolisme, le tabagisme ou les toxicomanies, ont autant les faveurs de l'opinion que des responsables de santé public. Ces discours très simples repris dans le PNNS (Programme national sur la nutrition et la santé)supposent que nos connaissances sont suffisantes, et qu'il faut agir sur les comportements. Les résultats sont décevants mais l'explication reste toujours le manque de moyens. Quand l'H.A.S. (Haute Autorité de Santé) adressa aux médecins un courrier précisant la contrindication de l'Acomplia* chez des sujets présentant un risque suicidaire, était jointe dans le même envoi une plaquette sur l'Acomplia*, rappelant son indication dans l'obésité, le mécanisme d'action du produit, son impact sur les récepteurs canabinoïdes, mais aussi le rappel que les études avaient porté sur une période de deux ans. Nous pouvions apprendre dans cette même plaquette qu'aucun effet collatéral n'avait été étudié pendant ces mêmes études qui ont précédé l'A.M.M.(l'autorisation de mise sur le marché)du produit. Malgré cette réduction de l'espace de prescription, et malgré l'absence d'étude sur les effets collatéraux avant sa commercialisation, le produit a continué à être prescrit avant d'être plus tard retiré des officines.
    Si l'arrêt du tabac est un facteur de prise de poids, les anorexigènes (Isoméride en particulier)n'ont-ils pas été présentés comme une aide médicamenteuse pour le sevrage tabagique? Présentation qui pouvait emprunter les plateaux de télévision à des heures de grande écoute, en présence de plusieurs médecins hospitaliers et chefs de service.
    Croyez-vous que la comparaison entre drogues et biscuits soient si difficile surtout pour celles et ceux qui ne connaissent pas l'enfer de la drogue, mais qui se sentent très vite coupables dès qu'elles ou ils affichent outre leur rondeurs, leur envie de dessert? L'interdit entraîne la transgression. Les amateurs de chocolat ou de foie gras diront tout autant et souvent avec humour qu'ils sont "accros". Chacun ici revendique sa part de dépendance, peut-être aussi pour mieux afficher son indépendance.
    C'est tout différent quand le regard est porté sur les autres. Où sont les études sur l'image négative du diabète et du diabétique en France? En 1985 une enquête en région parisienne, avait montré comment le sujet diabétique était perçu par des personnes qui n'avaient pas de diabétique autour d'eux ni de connaissances sur la maladie. La maladie était apparentée à une "maladie honteuse" et le sujet à un drogué: "il se pique".
    A trop parler d'addiction pour toute difficulté sur le plan nutritionnel, ce n'est pas seulement l'enfer de l'addiction qui est minimisé, ce sont les regards sur la nutrition et sur les sujets qui sont encore plus médicalisés et psychiatrisés.

    Dr jean Minaberry Endocrinologue, diabétologue, nutritionniste, Bordeaux
    jeanminaberry@hotmail.com

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