Téléthon : « Il ne s’agit plus simplement d’espoir, nous avons des résultats, nous élaborons des médicaments »

Un entretien avec Serge Braun

Paris, le samedi 7 décembre 2013 – Le coup d’envoi du 27ème Téléthon, opération caritative organisée chaque année par l’Association française contre les myopathies (AFM) en partenariat avec France Télévision, a été donné ce vendredi 6 décembre. Trente-heures de marathon télévisuel destinées à rappeler l’importance de soutenir la recherche contre des maladies rares et graves, alors que la collecte de 2012 a accusé une diminution des dons de 6 %. Comment l’équipe du Téléthon appréhende-t-elle cette nouvelle bataille ? Quels sont les défis actuels de l’AFM alors que l’année 2013 a été marquée par le lancement du Généthon Bioprod ? Autant de questions que le JIM a posées au directeur scientifique de l’AFM, Serge Braun.

JIM : Quel est votre état d’esprit à la veille de ce Téléthon alors que l’année dernière avait été marquée par une diminution des dons ?

Serge Braun, directeur scientifique de l’AFM : Le Téléthon est un combat quotidien, celui des familles, des chercheurs. Nous sommes dans l’état d’esprit de nous retrousser les manches afin de donner les moyens à la recherche pour avancer. Quelles que soient les circonstances, crise ou pas crise, il n’y pas de différence dans notre détermination. On ne peut pas avant la bataille se poser la question d’un éventuel échec : c’est un peu comme demander, avant le match, à l’entraîneur de l’équipe de France de football ce qu’il compte faire en cas de défaite.

Nous sommes aujourd’hui à une étape décisive. Pendant des années, on a parlé de « révolution médicale », « d’avancées », on a parlé d’espoir. Là il ne s’agit plus simplement d’espoir, nous avons des résultats, nous élaborons des médicaments.

Cinq familles, cinq destins

Cette année, le Téléthon suivra le destin de cinq familles, touchées par des maladies différentes. Elles vont témoigner à la fois de leur quotidien et aussi de leurs perspectives. Certaines des pathologies qui les touchent ont été l’objet de recherches qui ont bien avancé, tandis que pour d’autres il reste encore absolument nécessaire de soutenir les recherches pour mieux comprendre la maladie et ensuite imaginer des traitements.

JIM : Quelles ont été les conséquences de la diminution des dons perçus lors du Téléthon en ce qui concerne le financement de projets de recherche ?

Serge Braun : Dans tous les cas de figure, on est obligé d’adapter le financement aux moyens qui sont mis à notre disposition. Cela impacte par exemple le nombre de projets que l’on peut soutenir. Cela est d’autant plus prégnant aujourd’hui, alors qu’on en est au stade des essais cliniques et de la mise à disposition de traitements. On est en effet dans des ordres de grandeur qui sont très importants, puisque la mise au point de traitements coûte aussi cher que de fabriquer des avions ! Il y a donc un lien direct entre les montants récoltés et le rythme des recherches qui sont menées.

JIM : Quelles sont aujourd’hui les voies de recherche les plus prometteuses en ce qui concerne la myopathie de Duchenne ?

Serge Braun : Rappelons tout d’abord que les maladies neuromusculaires, les myopathies représentent plus de 300 maladies. Par ailleurs, les recherches soutenues par le Téléthon ne concernent pas seulement les myopathies. Beaucoup visent des maladies qui touchent d’autres organes.
Pour ce qui est de la myopathie de Duchenne, il existe beaucoup de stratégies thérapeutiques différentes et souvent complémentaires.

Le saut d’exon : une piste prometteuse pour plusieurs maladies neuromusculaires

Les plus avancées relèvent de la chirurgie du gène, c'est-à-dire le saut d’exon. On utilise ici des molécules afin que les cellules sécrètent une protéine pratiquement semblable à la protéine qui fait défaut dans cette maladie en jouant sur le fonctionnement du gène qui est concerné. Il y a ici différentes classes de candidats médicaments.

JIM : On se souvient en effet qu’un petit garçon, Raphaël, l’un des « héros » du Téléthon 2011 avait été inclus dans un essai de ce type et sa mère se montrait très confiante.

Serge Braun : Dans le cas de Raphaël, il s’agit d’un traitement par saut de l'exon 51 par oligonucléotides. Ces essais sont entrés dans la phase III, avec notamment la participation d’un géant de l’industrie pharmaceutique. Les résultats montrent une amélioration mais on n’arrive pas à obtenir une significativité statistique. Nous sommes surtout confrontés à un problème de méthodes de mesure et d’évaluation, lié entre autres à l’hétérogénéité des patients qui ont été inclus dans l’étude. Ce sont donc des difficultés d’ordre technique plutôt que conceptuel. D’une manière générale, tous les résultats sont en train d’être analysés. C’est encore prématuré pour tirer des conclusions définitives. Le processus est forcément long. A côté de ça, il y a d’autres candidats médicaments du même genre qui montrent des résultats prometteurs. C’est donc une approche tout à fait intéressante dont nous sommes persuadés que dans les prochains temps elle pourra prouver son efficacité.

Quinze ans d’espérance de vie gagnés pour les patients souffrant de myopathie de Duchenne

Il y a d’autres voies. Il existe notamment celle de la thérapie génique. Là on administre le gène manquant ou on induit le saut d’exon par thérapie génique. Ainsi, au lieu d’administrer des molécules de façon régulière toutes les semaines ou tous les mois, on administrerait un produit dans l’organisme une fois pour toute qui réaliserait le même travail de manière prolongée. Il s’agit d’un essai clinique en préparation. Ce sont des équipes de Généthon qui travaillent dans ce domaine. Les résultats obtenus dans les modèles animaux sont vraiment très spectaculaires avec des récupérations de membres entiers voire de l’organisme dans son ensemble. C’est une autre voie porteuse d’espoirs.

Nous travaillons également sur des approches de pharmacologie plus classique avec des médicaments qui freineraient l’évolution de la maladie. D’ailleurs, il existe deux traitements standards dans cette maladie qui prolongent à la fois la qualité de vie et l’espérance de vie des malades : les corticoïdes qui sont utilisées depuis des années maintenant et un traitement qui préserve le cœur (le nebivolol fait notamment l’objet d’un essai de phase III en cours jusqu’en 2019, ndrl). C’est d’ailleurs une maladie qui a gagné 15 ans d’espérance de vie grâce à ces recherches et à une meilleure qualité de la prise en charge.

Au total, il existe une douzaine de stratégies thérapeutiques différentes, rien que pour  la myopathie de Duchenne. C’est vraiment une affection contre laquelle il y a eu beaucoup d’avancées, des avancées également intéressantes pour d’autres pathologies. Il y a en effet des outils et des mécanismes thérapeutiques communs à d’autres maladies neuromusculaires. Dans deux autres pathologies, la classe de molécules utilisée pour le saut d’exon est aussi développée pour l’amyotrophie spinale infantile et la dystrophie myotonique de Steinert.

JIM : Où en est le lancement du Généthon Bioprod ?

Serge Braun : L’objectif de Généthon Bioprod est de produire des médicaments de thérapie génique à la fois pour les essais cliniques, afin de répondre aux besoins de la communauté scientifique (à commencer par tous les projets que nous soutenons déjà) et également, le cas échéant, afin de mettre à disposition les traitements une fois qu’ils sont approuvés par les autorités de santé, c'est-à-dire après l’AMM. Il n’y a pas aujourd’hui d’infrastructure de taille suffisante dans le monde qui permette de répondre à ces besoins pour la collectivité. Pour l’instant, en effet, l’industrie pharmaceutique est encore restée assez frileuse. Elle attendait que la thérapie génique fasse ses preuves, il fallait donc qu’une entité se charge de mettre en place les dispositifs nécessaires. C’est le rôle que l’on avait déjà joué il y a quelques années avec les cartes du génome. Généthon Bioprod est aujourd’hui sorti de terre et fonctionne. Les transferts des procédés de production qui existaient à petite échelle vers Généthon Bioprod sont désormais entrepris et les premiers lots de produits sont en train d’être fabriqués.

JIM : Quels sont enfin les essais les plus prometteurs qui ont été lancés en 2013 et qui seront mis en avant au cours du Téléthon ?

Serge Braun : Nous allons mettre l’accent sur les maladies de la vision et les maladies du système immunitaire. Comme vous le savez, plusieurs maladies génétiques qui conduisent à la cécité font l’objet d’essais cliniques grâce au soutien du Téléthon. Il s’agit de l’amaurose congénitale de Leber et très bientôt de la neuropathie héréditaire optique de Leber. Ce sont des thérapies géniques dans les deux cas. Dans le premier cas, c’est un laboratoire INSERM de Nantes, avec tout un réseau de cliniciens. Il s’agit d’une équipe qui fait partie de l’Institut des biothérapies des maladies rares, laboratoire de l’AFM Téléthon. Cet essai ayant inclus neuf malades a été initié à Nantes et vient de s’achever. Concernant la neuropathie, l’essai se fera sous la direction de José-Alain Sahel à l’Institut de la vision à Paris.

Maladie de San Filippo B, drépanocytose, progeria : les maladies mises en lumière sont nombreuses et diverses

Nous nous intéresserons en outre aux traitements de différentes formes d’immunodéficience par thérapie génique, avec des avancées spectaculaires (nous évoquerons notamment le syndrome de Wiscott Aldrich et la maladie granulomateuse chronique). On évoquera également le lancement très récent d’un essai mené en collaboration avec l’Institut Pasteur et financé en très grande partie par le Téléthon concernant la maladie de San Filippo B, maladie neurodégénérative mortelle. Il s’agit ici d’un procédé mis au point par Jean-Michel Heard, reposant sur l’administration intracérébrale d’un produit de thérapie génique. L’accent sera par ailleurs mis sur les thérapies cellulaires, destinées à reconstituer des organes tels que la peau (un essai préclinique concerne les ulcères cutanés de la drépanocytose, ndrl). Enfin, on s’intéressera une nouvelle fois à la progeria, pathologie dont on sait qu’elle partage des mécanismes communs avec le vieillissement de chacun d’entre nous et avec les effets secondaires des chimiothérapies. C’est un message important que nous tenons à rappeler : en soutenant le Téléthon, on contribue à faire progresser la recherche médicale qui nous concerne tous. Les avancées qui sont permises grâce aux recherches financées par le Téléthon visent aussi les maladies fréquentes.

Il y a en tout trente-quatre essais cliniques qui concernent vingt-six maladies différentes. La moitié, environ, sont des maladies neuromusculaires et l’autre moitié des maladies touchant d’autres organes.

Nous avons pu constater au fil du temps qu’il est parfois plus facile de trouver des outils thérapeutiques dans d’autres maladies que les maladies neuromusculaires, mais ces outils permettent finalement de faire avancer ensuite plus rapidement les recherches sur ces pathologies.

En guise, de conclusion, je tiens à rappeler que les maladies rares représentent un vrai problème de santé publique. On oublie que l’ensemble des maladies rares touche trois millions de personnes en France. C’est bien plus que les personnes touchées par le cancer, c’est quatre fois plus que la maladie d’Alzheimer. Or, avant le Téléthon, rares étaient ceux qui s’y intéressaient.

Propos recueillis par Aurélie Haroche

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