
Paris, le mardi 17 décembre 2013 – Remplacer un salarié malade ou en congé de maternité, faire face à une grève, anticiper une restructuration difficile : les raisons de recourir à l’intérim sont nombreuses pour les directions hospitalières. Mais ces motifs sont devenus quasiment l’exception. Aujourd’hui, l’intérim représente en effet le seul moyen de pallier un manque d’effectifs prégnant, des postes perpétuellement vacants. Si cette tactique ne concernait hier que les petits hôpitaux, « même de gros établissements doivent désormais faire appel à de l’emploi temporaire » écrit le député socialiste Olivier Véran auteur d’un rapport sur le sujet qui fait grand bruit aujourd’hui. Sans ces praticiens en « mission temporaire », il serait parfois impossible de faire fonctionner certains services qui « ne se maintiennent ouverts qu’en recrutant 100 % de remplaçants » explique Nicolas Longeaux, président de la Commission médicale d’établissement de l’hôpital de Saint-Gaudens (Haute-Garonne).
Omerta
Les travaux d’Olivier Véran qui concernent « l’essor et les dérives du marché de l’emploi médical temporaire à l’hôpital public » mettent à jour un phénomène quasiment totalement ignoré par le grand public (et qui ne concerne pas uniquement les médecins mais également les professions paramédicales, infirmiers en tête et parfois aussi les pharmaciens). Si un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) avait en 2003 « alerté sur le risque de voir un phénomène se développer… Depuis plus rien » note Olivier Véran interrogé par le Monde. Il faut dire qu’une véritable omerta semble peser sur le sujet, comme l’observe le rapport. Si Olivier Véran constate que les langues se sont quelque peu déliées, « des intérimaires m’ont écrit pour s’étonner de ma démarche. J’ai proposé de les rencontrer, sans succès ».
Jusqu’à 15 000 euros par mois !
Combien sont-ils ceux qui travaillent dans l’ombre et que la presse baptise aujourd’hui les « médecins mercenaires ». Difficile à dire en l’absence d’enquêtes précises : le rapport estime qu’ils sont 6 000. Olivier Véran tente par ailleurs de dessiner une typologie : « 30 % sont des professionnels de l’intérim, 25 % des mères de famille, 25 % des retraités, 20 % des jeunes médecins qui ne veulent pas se fixer tout de suite ». Mais le véritable enjeu concerne leur coût. « Tandis qu’un praticien hospitalier gagne environ 260 euros nets par jour travaillé, il perçoit en moyenne 650 euros nets en mission temporaire. Idem pour le prix d’une garde de 24h, qui passe de 600 à 1300 euros. Une fois additionnés les indemnités spécifiques, frais d’hébergement, de transport, de bouche, les frais d’agence, les diverses charges, le coût global est triplé », calcule le rapport qui estime que la facture s’élève à 500 millions d’euros par an pour l’hôpital public ! Les salaires très élevés que peuvent par ce biais percevoir les médecins (jusqu’à 15 000 euros par mois selon le rapporteur) créent une « surenchère » qui complexifie la tâche des directeurs d’hôpitaux (très peu soutenus par les Agences régionales de santé) et expliquent que parfois le temporaire se pérennise (avec des reconductions de contrat parfois à la limite de la légalité). Outre cet enjeu financier très important en cette période de difficultés budgétaires marquées pour les hôpitaux, Olivier Véran estime que ce recours massif à l’intérim n’est pas sans représenter des risques pour la sécurité des patients.
Pas libéraux, pas hospitaliers : où sont les médecins ?
Face à cette situation, plusieurs propositions sont formulées, qui visent notamment à la régulation du marché (avec l’idée de plafonner la rémunération d’un médecin contracturel dans le cadre d’un recrutement temporaire) mais aussi au renforcement de l’attractivité de la carrière hospitalière. Le rapport préconise par exemple de « faire connaître aux médecins en formation l’exercice hospitalier (hors CHU) ». Une proposition qui ressemble beaucoup à celle que l’on trouve dans les rapports concernant la désaffection pour l’exercice libéral. Mais où sont donc les médecins ?
Aurélie Haroche