
Amsterdam, le samedi 25 janvier 2014- S’il est des questions épineuses, celle des origines de l’homosexualité en est une! Il revient au chercheur néerlandais Dick Swabb d’avoir relancé ce houleux débat avec la parution de « Nous somme notre cerveau » (We are our brain en anglais dans le texte) dans lequel le scientifique (professeur de neuro-endocrinologie à l’université d’Amsterdam) étudie les répercussions des comportements maternels durant la grossesse sur la vie future de son enfant. Ainsi, il tente d’expliquer notamment en quoi le mode de vie de la femme enceinte influence le QI de sa progéniture, ou les maladies mentales futures. Par exemple, selon l’éminent professeur, la pollution a un impact sur la santé mentale du bébé : une mère trop exposée à la circulation ou à la pollution industrielle aurait des risques supplémentaires d'avoir un enfant autiste.
Il établit d’autre part un lien entre comportements à risque des adolescents et accouchements difficiles, rendus également (co)responsable de la schizophrénie de l’autisme ou de l’anorexie (rien que cela !).
Mais c’est sûrement (et déjà) sur la question de l’homosexualité que ce livre a été le plus remarqué notamment Outre-manche. En particulier la mise en lumière du "rôle" du tabagisme maternel dans cette orientation sexuelle !
Avant d’étudier les hypothèses émises à ce sujet dans cet ouvrage, attardons nous un instant sur le parcours de cet homme aux conceptions iconoclastes.
Ecce homo
Swaab est principalement connu pour ses recherches sur l’impact des facteurs hormonaux et biochimiques sur le développement du cerveau fœtal. Il a également attiré l'attention de la grande presse par ses travaux sur les liens entre homosexualité et anatomie cérébrale.
Il avait ainsi déjà provoqué la controverse en suggérant des
relations entre certaines variantes anatomiques et l'orientation
sexuelle qui lui ont, selon lui, valu des menaces de mort.
Ainsi il avait, avec Michel A. Hofman en 1990, constaté que chez
les hommes homosexuels, le volume du noyau suprachiasmatique de
l'hypothalamus est presque le double de ce qu’il est chez les
hétérosexuels, conclusion qui auraient été reproduites depuis par
d’autres équipes.
J’habite seul avec maman et elle fume, est stressée, se drogue et a eu beaucoup de garçons !
Pour en venir au vif du sujet citons l’auteur: « Bien qu'il est souvent supposé que c’est le développement après la naissance qui décide de notre orientation sexuelle, il n'y a aucune preuve de cela ». Partant de ce présupposé, le Professeur Swaab estime que la sexualité de l'enfant est déterminée in utero.
Au total, pour lui, l’homosexualité est le résultat de co-facteurs agissant durant la grossesse.
Ainsi il n’hésite pas à clamer dans la presse britannique : « L'exposition prénatale à la nicotine et aux amphétamines augmente la probabilité d'avoir une fille lesbienne » !
Plus généralement ses recherches l’auraient amené à conclure que c’est l’exposition in utero à des hormones dont le taux serait influencé par différents facteurs qui déciderait de l’orientation sexuelle de l’enfant à naître.
Ainsi, il avance que le fait de donner naissance à plusieurs garçons augmenterait la probabilité d’avoir un fils homosexuel, parce « qu'après avoir donné naissance à plusieurs garçons, le système immunitaire des mères résiste davantage aux hormones masculines ».
Le stress de la mère serait aussi une des causes de l’homosexualité du fœtus (puisqu’il s’agit de cela) : "Les femmes exposées au stress ont une probabilité plus forte d'avoir des enfants homosexuels d'un sexe ou de l'autre en raison de leur niveau élevé de cortisol, l'hormone du stress, qui affecte la production fœtale d'hormones sexuelles", vulgarise-t-il ainsi auprès du Sunday Times.
Pour étayer ses thèses il rapporte que les femmes qui ont pris des œstrogènes de synthèse pour diminuer le risque de fausse couche entre 1939 et 1960 auraient eu davantage de progénitures bisexuelles ou lesbiennes que les autres.
Quoi qu’on puisse penser de ces conclusions, il est n’en est pas moins manifeste que le neuroendocrinologiste s’égare lorsqu’il avance par exemple comme argument majeur que les enfants élevés par des lesbiennes ne sont pas plus susceptibles d'être homosexuels, ce qui écarte pour lui définitivement l’idée d’une homosexualité d’origine « culturelle ».
Ecce hetero
Et qu’en disent les hétéros (au sens étymologique du terme : les autres) ?
Du cotés des associations se présentant comme défendant les intérêts des homosexuels on reste circonspect : Ben Summerskill, directeur général de Stonewall (une organisation gay américaine) a ainsi déclaré: « Il ne semble pas y avoir la moindre preuve pour soutenir l'idée que la vie de la mère change la sexualité de l'enfant ».
«Notre sentiment est que la sexualité est déterminée génétiquement, mais ce n’est pour l’instant qu’une opinion », déclare quant à lui Peter Tatchell, un militant d’une autre association, qui salue par ailleurs le livre de Dick Swabb car il y voit « une gifle pour les homophobes. Si l'homosexualité est entièrement ou essentiellement déterminée par des facteurs biologiques avant la naissance, il est immoral de condamner ou de discriminer les lesbiennes et les gays ».
Outre ces réactions à chaud, rappelons (succinctement) les différentes théories qui ont germé au cours du siècle écoulé sur l’« étiologie » de l’homosexualité.
Œdipe et son cerveau sans-gêne
Ce fut d’abord l’explication psychologisante qui domina pendant la majeure partie du siècle dernier et notamment les conceptions freudiennes.
Ainsi pour résumer (à l’extrême) la pensée freudienne sur l’homosexualité, conception qui eut cours au moins jusqu’aux années 70 « l'homosexuel (homme ou femme) se retrouve, pour nous psychanalystes, avec un complexe d'Oedipe inachevé, [...] il restera donc le « pervers polymorphe ».
La fin du 20ème siècle fit par contre la part belle aux explications neurologiques et biologiques (notamment par le même Swabb).
Des études (qui ont fait grand bruit) menées sur les jumeaux ont fait évoquer une influence génétique : ainsi si un jumeau est homosexuel, son jumeau monozygote aurait environ 52 % de possibilité de l'être contre 22 % pour les jumeaux dizygotes. D’autre part, des expériences suggèrent l'existence d'une orientation sexuelle biologique déterminée par des caractéristiques anatomiques et fonctionnelles de l'aire préoptique médiane.
Notons enfin (bien sûr) que beaucoup avancent que ce sont les facteurs culturels qui font choisir à l’homme telle ou telle orientation sexuelle sans notion de prédisposition ou d’événements déclenchant. Mieux, l’homme, naturellement bisexuel, ne choisirait l’hétérosexualité qu’en raison de la pression sociale.
Pédale douce
Mais toujours selon le chercheur (adoucissant quelque peu ses conceptions), le mode de vie maternelle n'est qu'un facteur parmi d'autres (mais prédominant) pour expliquer l’homosexualité. Ainsi la génétique aurait également un rôle, même si, pour lui, il apparaît désormais clairement que le développement de la sexualité du fœtus est d’abord lié à l'environnement dans lequel évolue sa génitrice.
De plus ses dires seraient selon lui plutôt en faveur d’une acceptation de l’homosexualité, celle-ci étant ramenée à un phénomène biologique scientifiquement explicable (mais est-ce le commencement d’un argument scientifique ?).
Mais si Swabb a raison pour les liens entre tabagisme maternel et homosexualité, une question reste en suspens, les mères d’Alexandre le Grand, d’Hadrien ou de Leonard de Vinci fumaient-elles ?
Frédéric Haroche