
Rennes, le samedi 22 février 2014 – Quel chirurgien expérimenté face à la difficulté de transmettre son art à un interne n’a jamais rêvé d’un dispositif qui permettrait au carabin de voir comme à travers ses propres yeux ? Les chirurgiens en ont rêvé, Google l’a pratiquement inventé. Très vite après la présentation de ses « Google Glass » au printemps 2012 (et alors qu’une commercialisation est prévue cette année), les chirurgiens du monde entier ont immédiatement perçu quelle utilisation ils pourraient faire de ce que certains eurent tôt fait de considérer comme un gadget. Ces binocles d’un genre particulier offrent en effet la possibilité de disposer des nombreuses fonctionnalités d’un smartphone classique à partir de « lunettes connectées ». Il est ainsi possible grâce à une simple commande vocale de prendre des photos et même de tourner une vidéo. C’est cette dernière option qui a séduit les chirurgiens et aux Etats-Unis plusieurs interventions ont déjà été réalisées par des chirurgiens équipées de « Google Glass ». Les images filmées par le praticien étaient retransmisses en direct (ou non) à des étudiants éloignés (ou non). « Je pense que nous avions déjà tous observés des chirurgiens dans le bloc opératoire, en nous tenant à distance. Mais là, ça vous montre vraiment ce qui se passe au cours de l’opération elle-même » a constaté Ryan Blacwell, étudiant du docteur Christopher Kaeding (centre médical Wexner dans l’Ohio) qui le 21 août dernier a procédé à une intervention sur les ligaments croisés antéro-externes du genou en filmant le tout avec ses Google Glass.
Sur les épaules des géants
Jusqu’alors, les chirurgiens européens ne s’étaient pas laissé voir avec pareille monture. Habitués à pratiquer des interventions retransmises par internet depuis plusieurs années, le docteur Philippe Colin (centre hospitalier privé Saint Grégoire à Rennes) a été le premier praticien européen (et français) à tenter l’expérience. Il s’agissait de réaliser la pose d’une prothèse d’épaule chez une patiente de 80 ans souffrant d’une rupture tendineuse de l’épaule. Des applications créées par la start up rennaise AMA (Advanced Mobile Applications) permettaient au docteur Philippe Colin non seulement de filmer son intervention, mais également d’avoir un retour d’image pour voir son interlocuteur et lui parler. Ce dernier était le professeur Goto et ses étudiants du centre hospitalier de Nagoya au Japon où la prothèse d’épaule en question vient d’être approuvée par les autorités.
Retour à l’envoyeur
L’intervention s’est parfaitement déroulée. Philippe Colin assure que le port des Google Glass et les images qu’elles peuvent faire défiler devant vos yeux ne sont en rien une gène pour opérer et n’engendrent aucun stress supplémentaire. Concernant l’atout de ce dispositif par rapport à une « retransmission classique », il insiste : « Le dispositif est idéal, les Google Glass sont mes yeux ». En outre, il note que les « installations » classiques utilisées pour faire de la « live surgery » sont bien plus lourdes techniquement. Les google glass sont elles très simples à utiliser et peuvent être facilement emportées partout. De l’autre côté de la planète, le professeur Goto s’est également déclaré très satisfait de cette petite leçon particulière. Il doit d’ailleurs prochainement chausser à son tour les Google Glass pour reproduire la même intervention et être suivi et guidé par le praticien français.
Une telle expérience confirme l’attrait des chirurgiens pour cet outil technologique et signale ses nombreux atouts à l’heure où l’essor de la télémédecine nous est de plus en plus fortement promis. Par ailleurs, outre la télétransmission des images, les Google Glass pourraient être un support non négligeable pour les chirurgiens permettant d’afficher devant leurs yeux les images des scanners ou IRM du patient ou encore le rappel du protocole opératoire. L’expérience n’est cependant pas sans soulever certaines questions notamment sur le caractère potentiellement perturbant d’un tel outil pour celui qui opère. Il faudra être sûr que les praticiens n’oublient pas dans cette course technologique qu’il est toujours temps de se déconnecter afin de reprendre les choses en main !
Aurélie Haroche