
Paris, le vendredi 21 février 2014 – L’interdiction de réaliser des soins de conservation des corps sur une personne infectée par le VIH, le VHB ou le VHC a été prise en 1986. Depuis la fin des années quatre-vingt dix les pouvoirs publics ont été sollicités à de nombreuses reprises afin d'annuler cette décision. Longtemps opposé à une telle évolution, le Haut conseil de la santé publique (HSCP), un an après la Direction générale de la Santé (DGS) estimait en janvier 2013 que les actes de conservation pourraient être réalisés chez les défunts séropositifs ou porteurs du VHB/VHC dès lors qu’ils sont « réalisés dans des locaux dédiés, spécifiques, et dans des conditions qui permettent de réduire les risques ». Fortes de ces prises de position, plusieurs associations dont « Elus locaux contre le Sida » ont lancé en décembre 2013 une pétition appelant à la fin de l’interdiction, qui a recueilli plus de 80 000 signatures. Avant même cette action, le gouvernement s’était déjà penché sur le sujet en demandant à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de formuler des recommandations sur la question. Cette dernière a achevé son rapport en juillet 2013, mais celui vient seulement d’être publié.
Eviter que les soins de conservation ne soient mortels pour les vivants…
Les inspecteurs de l’IGAS constatent tout d’abord que s’ils sont très développés aux Etats-Unis, au Québec et en Grande-Bretagne, les soins de conservation sont très marginaux dans de nombreux pays d’Europe. La France présente dans ce domaine une position particulière puisqu’elle est la seule à permettre la réalisation de ces soins à domicile. Les experts ont également pu constater « la confusion du vocabulaire relatif à la thanatopraxie » et « l’imprécision des statistiques » et estiment tant bien que mal que les soins de thanatopraxie concernent 200 000 personnes sur les 545 000 décès recensés chaque année. Outre ce bilan, le rapport formule une série de recommandations. Il invite notamment à « établir un référentiel des termes utilisés en distinguant les soins de conservation des soins de présentation et en définissant l’acte de thanatopraxie ». Par ailleurs, plusieurs recommandations visent à un meilleur contrôle des habilitations et à l’édiction de normes professionnelles. Surtout, le rapport préconise que ces soins ne puissent plus être réalisés à domicile. Les auteurs expliquent cette position en relevant que « les soins de thanatopraxie sont des actes invasifs présentant des risques biologiques et chimiques, en raison de la nature des produits utilisés et des modalités et conditions de mise en oeuvre. A ces risques pour le thanatopracteur s’ajoutent ceux encourus par les familles lorsque ces actes sont réalisés à domicile, notamment lors de la manipulation du formaldéhyde » qui est « toxique, irritant, cancérigène ». Conscient des conséquences de l’interdiction des soins de conservation à domicile, l’IGAS recommande d’une part d’autoriser les préfets à ouvrir les chambres mortuaires « en cas d’insuffisance de chambres funéraires ». Par ailleurs, elle suggère d’autoriser le retour à domicile après la réalisation des soins.
… n’empêche pas de revenir sur l’interdiction des soins aux porteurs du VIH, VHC et VHB !
La mise en œuvre des soins de conservation uniquement au sein d’espaces dédiés et l’obligation pour les opérateurs funéraires de réaliser la collecte des déchets d’activité de "soins" à risque infectieux, également préconisée par l’IGAS, permettraient selon les auteurs de revenir sur l’impossibilité pour les défunts porteurs du VIH du VHC ou du VHB de recevoir ces "soins". Bien que formulant une telle recommandation, l’IGAS reconnaît que « la thanatopraxie (…) présente de réels risques biologiques par l’utilisation des instruments, la réalisation des points de suture ».
L’IGAS téléguidé ?
La balle est désormais dans le camp des ministères de la Santé et de l’Intérieur dont certains suspectent qu’ils seraient tentés d’enterrer le dossier : ce n’est en effet qu’en février 2014 que ce rapport pourtant fini en juillet a été publié, ce qui vaut au calendrier établi par les auteurs d’être totalement caduque à peine publié. Il faut dire que le sujet soulève les critiques des thanatopracteurs. S’ils reconnaissent le sérieux du rapport de l’IGAS (même s’ils tiennent à rappeler que l’art de l’embaument et les soins de conservation ne sont pas similaires et qu’on ne peut donc considérer que ces derniers remontent à l’Antiquité), ils en contestent les conclusions. A leurs yeux, l’IGAS a été sommée par le gouvernement de trouver une « justification » à son intention, plutôt que de définir objectivement la meilleure solution à prendre. Ils s’interrogent plus généralement sur cette volonté des pouvoirs publics de promouvoir la thanatopraxie « pour tous » alors que selon eux, leur sécurité n’est pas parfaitement assurée. Enfin, ils jugent que le rapport leur est globalement défavorable : il est vrai que l’IGAS se montre assez sévère à l’égard de certaines pratiques et notamment l’emploi du formaldéhyde, auquel elle semble préférer le gaz carbonique présenté en outre comme plus écologique et omettant de signaler que de nouveaux produits, moins toxiques seront bientôt sur le marché.
Aurélie Haroche