Séropositifs : l’invisibilité… même morts !

Paris, le samedi 15 mars 2014 – Décidée en 1986, l’interdiction de réaliser des soins de conservation des corps sur une personne infectée par le VIH, le VHB ou le VHC est contestée depuis plusieurs années. Récemment, de nombreuses institutions du Haut conseil de la santé publique (HCSP) au Conseil national du Sida en passant par la Direction générale de Santé ont estimé que « réalisés dans des locaux dédiés (…) et dans des conditions qui permettent de réduire les risques » (selon les termes du HSCP) les soins de conservation pouvaient être réalisés chez les défunts porteurs du VIH, du VHB ou du VHC. La dernière en date à se prononcer également en faveur de la levée de l’interdiction a été l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) dans un rapport rendu public en février. Les thanatopracteurs eux conservent quelques inquiétudes et estiment que leur sécurité n’est pas totalement assurée.

Cependant, comme le rappelle Jean-Luc Romero, président de l’association Elus locaux contre le Sida (ELCS) et conseiller régional d'Ile de France apparenté socialiste, si un risque existe, il est principalement lié aux conditions générales de réalisation de la thanatopraxie. C’est également l’avis de l’IGAS qui considère par exemple que devrait être interdite la réalisation des soins de conservation à domicile et qui plaide pour une harmonisation des pratiques. Au-delà de cette « réforme » nécessaire de la thanatopraxie, Jean-Luc Romero évoque pour nous ici les raisons qui le poussent à défendre avec force la levée de l’interdiction, des raisons qui ont pour principal fondement l’importance de lutter contre toutes les discriminations dont sont victimes les séropositifs, à la vie à la mort.

Par Jean-Luc Romero, président d’Elus locaux contre le Sida (ELCS)

Soixante-treize pourcent des Franciliens estiment que pour éviter des discriminations, une personne séropositive au VIH a raison de garder son diagnostic secret. Cette donnée tirée d’une récente enquête, vous en conviendrez j’en suis sûr, est bien plus parlante que de longs discours. Oui, le sida est une maladie qui entraîne la stigmatisation et est source de préjugés ! Tout au long de leur vie, les personnes séropositives sont soumises aux discriminations, que ce soit dans leur vie privée ou professionnelle.

Et grâce à l’Etat français, les personnes séropositives sont même discriminées après leur décès ! Aujourd’hui, en France, plus de 30 ans après le début de l’épidémie, il est interdit d’effectuer des soins de conservation pour les personnes décédées séropositives. La conséquence immédiate et concrète est que le corps ne pourra être présenté pour un dernier hommage à la famille et aux proches. Un dernier hommage interdit, moi qui pensais naïvement que, même si nous n’étions pas tous égaux devant la mort, nous l’étions après !

Cela fait déjà cinq ans, avec l’association Elus Locaux Contre le Sida que je préside, que je dénonce cette réglementation et que je demande sa modification et donc, concrètement, la levée de cette interdiction. Pourquoi ? Les raisons sont nombreuses.

Tuer les fondements de la lutte contre le Sida

Maintenir cette interdiction est une atteinte aux droits humains, peut-être pas une atteinte juridique mais tout au moins une atteinte morale. Un défunt en vaut bien un autre ? La dignité serait-elle un concept à géométrie variable ? Et puis, je ne pense pas que rajouter de la souffrance en un moment aussi dur que l’annonce d’un décès soit une solution dont la France puisse s’honorer…

Maintenir cette interdiction est une provocation pour tous les acteurs de lutte contre le sida qui œuvrent depuis tant d’années pour casser les préjugés et les fausses idées entourant le VIH/sida, maladie qu’on sait cause de bien des stéréotypes. Toutes les études le montrent : lutter contre les discriminations touchant les personnes séropositives, c’est permettre la mise en place d’une politique de prévention et de promotion du dépistage efficace. Or, on ne le sait que trop bien, les discriminations proviennent de l’ignorance et du manque de connaissance sur la maladie en tant que telle. Promouvoir l’idée que le VIH/sida est une maladie honteuse, comme c’est le cas via cette interdiction, c’est tout simplement s’opposer à 30 ans de lutte.

Une protection illusoire

Maintenir cette interdiction constitue un non-sens en termes de protection de la santé car elle crée une sécurité bien illusoire pour les thanatopracteurs. Sur quoi ces derniers se basent-ils pour savoir que la personne est séropositive ? Sur une case cochée par le médecin sur un formulaire… Soyons réalistes : au-delà des médecins qui pour de multiples raisons très légitimes n’acceptent pas cette législation discriminatoire et donc ne cocheront pas cette case (heureusement que les médecins eux soignent les personnes séropositives !), comment croire qu' une case cochée puisse englober les 30 000 personnes qui sont séropositives et qui ne connaissent pas leur statut sérologique ?

Maintenir cette interdiction, c’est aller à l’encontre de l’avis de cinquante associations de lutte contre le sida qui ont demandé la levée de cette interdiction. Certains peuvent penser que les associations pourraient faire preuve de partialité dans ce dossier (quoiqu’il serait particulièrement insultant d’imaginer que les associations puissent admettre une prévention au rabais). Mais que penser alors de la prise de position du Défenseur des droits, des avis concordants du Conseil national du sida, du Haut Conseil à la santé publique et de l’Inspection générale des affaires sociales qui toutes demandent la levée de l’interdiction, moyennant le respect des précautions de base ?

Où est la volonté politique ?

Concrètement, respect de la personne défunte et sécurité des thanatopracteurs peuvent aller de pair. Comment ? Il faut tout simplement faire en sorte que les professionnels puissent travailler dans de bonnes conditions, notamment en leur donnant la possibilité d’œuvrer le plus possible en chambres funéraires. Aujourd’hui, ce n’est objectivement pas le cas : les thanatopracteurs n’œuvrent pas dans des conditions correctes, voilà le vrai souci et le cœur du problème !

Alors que tout va dans le sens de la levée de l’interdiction des soins de conservation pour les personnes séropositives décédées, que manque-t-il ? La volonté politique ? A bon entendeur…


Les intertitres sont de la rédaction.

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Vos réactions (1)

  • Pour la levée de la loi de 1986

    Le 16 mars 2014

    car c'est un point de plus contre la bêtise ...aux thanatopracteurs d'exercer leur art dans les conditions de prévention requises.

    Claude Peyrat

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