Paris, le vendredi 11 avril 2014 – Le Défenseur des droits a soumis une question complexe aux membres de l’Académie de médecine : quelle réponse doit être apportée « aux personnes transsexuelles qui souhaitent procéder à une autoconservation de leurs facettes pour éventuellement pouvoir les réutiliser après leur transition dans un projet de parentalité de couple ». Le sujet soulève des interrogations si nombreuses et diverses que le groupe de travail émanant de la Commission X (Reproduction et développement) a conduit sa réflexion pendant quasiment le temps d’une grossesse. Son rapport a été rendu public fin mars.
En attendant que la conservation de gamètes soit librement permise…
L’Académie de médecine donne tout d’abord quelques précisions sur le nombre de personnes potentiellement concernées. Elle relève tout d’abord que les Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme (CECOS) « ont été sollicités au cours des dernières années par une quinzaine de personnes souhaitant conserver du sperme avant une transition MtF (Male to Female). En général, il n’a pas été répondu favorablement à leur demande ». Les sages notent également que deux femmes ont été orientées vers les CECOS en vue d’un prélèvement de leurs tissus ovariens, mais « après entretien, les deux femmes n’ont pas donné suite au projet ». Au-delà des données du CECOS, sur la base des chiffres de l’Assurance maladie, l’Académie de médecine considère qu’entre 100 et 200 personnes ayant un projet de changement de sexe pourraient être concernées par cette question de l’autoconservation de leurs gamètes. Il s’agit de sujets « sollicitant un traitement hormonal et/ou chirurgical susceptible de les stériliser ». En effet, en l’absence de la publication du décret d’application concernant la loi de 2011 qui ouvre la possibilité d’une conservation des gamètes en dehors de toute indication médicale, cette pratique n’est pour l’heure possible qu’en cas de traitement médical ou de maladie potentiellement stérilisantes.
Une question qui ne se pose qu’en cas d’intervention
Aussi, une première question est soulevée : les traitements dont font l’objet les personnes transsexuelles sont-ils toujours stérilisants. Sur ce point, l’Académie de médecine invite à faire une distinction stricte entre les interventions « aboutissant au retrait des gonades et de l’utérus » et les traitements hormonaux. Concernant ces derniers, les sages jugent « qu’il n’y a pas d’arguments documentés démontrant que les traitements hormonaux utilisés chez les personnes changeant de sexe entraînent des modifications irréversibles de la gamétogenèse et empêchent la fertilité de pouvoir s’exprimer naturellement ultérieurement. Il n’y a donc pas d’indication médicale évidente pour préserver les gamètes ou les tissus germinaux en l’absence de stérilisation chirurgicale » écrit l’Académie.
Seul cas où les gamètes conservées pourraient être utilisées dans un cadre légal : si un homme devenu femme vit avec une femme devenue homme
Demeurent cependant les interrogations concernant les personnes choisissant de recourir à la chirurgie. Une réflexion sur l’utilisation de ces gamètes demeure alors inévitable. L’Académie de médecine a donc établi une liste de toutes les situations possibles. Il apparaît que les gamètes conservées ne pourraient être utilisées que pour une assistance médicale à la procréation (AMP) engagée chez un couple homosexuel ou dans le cadre d’une gestation pour autrui, deux pratiques interdites pour l’heure en France rappellent les sages. Il n’est qu’un cas où l’AMP pourrait être légale : si un homme devenu femme vit avec une femme devenue homme. « L’AMP avec les spermatozoïdes conservés serait alors une technique possible si la femme a conservé ses organes génitaux. Elle serait aussi légalement possible si les deux partenaires ont changé d’état civil car ils formeraient alors un couple hétérosexuel. Cette situation, qui ne peut qu’être exceptionnelle, ne manquerait cependant pas de susciter des interrogations majeures puisque la « mère légale » serait le père biologique et le « père légal » serait la « mère biologique » (une telle situation n'a statistiquement pratiquement aucune chance de se rencontrer en pratique !).
Bien être de l’enfant
Face à la complexité de ces questions, l’Académie estime en guise de conclusion que les demandes de conservation de gamète par les personnes transsexuelles ne doivent pas être ignorées et une réponse donnée au cas par cas. Les sages jugent en outre que les personnes concernées doivent être informées des conséquences sur leur stérilité des traitements envisagés. Enfin, « en cas de demande de cryo-préservation de gamètes ou de tissu germinaux, le type de projet parental envisagé devrait être évoqué avec les intéressés sans ignorer les incohérences pouvant se manifester entre identité de la personne, identité parentale et identité procréative. Ce projet ne saurait d’autre part ignorer ses conséquences pour le bien être de l’enfant », concluent les sages.
Sujet sans fin
Ce rapport ne peut être une fin en soi. D’abord parce que l’évolution de la législation (après publication du décret d’application permettant la conservation des gamètes sans raison médicale) permettra aux personnes souhaitant changer de sexe une préservation plus facile de leurs gamètes. Ensuite parce que derrière la question très spécifique des personnes transsexuelles se pose une nouvelle fois celle de l’élargissement de l’accès à l’AMP aux couples homosexuels, un sujet sur lequel planche actuellement un autre groupe de travail de l’Académie de médecine.
Aurélie Haroche