
L'infection par le virus de l'hépatite C (HCV) est une maladie fréquente, potentiellement curable, mais souvent méconnue et sous diagnostiquée. On estime que 2 à 3 % de la population mondiale est atteinte, et que cette affection cause environ 500 000 morts par an.
Entre 1988 et 1994, les données émanant du National Health and Nutrition Examination Survey (NHANES) indiquaient qu'approximativement 2,7 millions d'individus (intervalle de confiance à 95 % [IC95] de 2,4 à 3,0 millions) avaient une infection chronique à HCV. Une même enquête avait porté ce nombre à 3,2 millions (IC95 de 2,7 à 3,9) entre 1999 et 2002. Selon la même procédure, une nouvelle enquête a été réalisée entre 2003 et 2010, afin d'estimer la prévalence actuelle de l'infection HCV, d'en définir les facteurs de risque et les conditions pathologiques associées. La NHANES est menée sous la direction des Centers for Disease Control and Prevention's National Centers for Health Statistics (CDC). Elle a pour mission de recueillir les données représentatives de l'état de santé et nutritionnel de l'ensemble de la population nord-américaine non institutionnalisée, n'incluant donc pas les personnes sans domicile fixe ou incarcérées. Elle étudie chaque année un échantillon représentatif d'environ 5 000 individus. Les anticorps anti-HCV sont recherchés de manière qualitative par un test immuno-enzymatique direct en phase solide avec, en cas de positivité, confirmation par un test immunoblot recombinant. Un résultat positif ou indéterminé conduit à pratiquer, dans un second temps, une recherche d'ARN- HCV à l'aide d'un test d' amplification de l' acide nucléique. Sont considérés souffrant d'hépatite C chronique les patients dont les tests de dépistage sont positifs ou indéterminés, porteurs d'ARN-HCV circulant. Parallèlement, leurs caractéristiques démographiques (âge, sexe, lieu de naissance, niveau d'éducation et de revenus) et les facteurs de risque potentiels (transfusion de produits sanguins avant 1992, toxicomanie intraveineuse, nombre de partenaires sexuels) sont consignés. De plus, un dosage des anticorps contre l'Herpes simplex 2 est pratiqué ; ces anticorps souvent associés à l'HCV témoignant de l'importance du « risque sexuel ».
Seuls les individus âgés de 20 ans ou plus furent enrôlés dans l'étude. Sur 30 074 inclus entre 2003 et 2010, 20 042 eurent un dosage des anticorps anti-HCV. Au total, 381 sujets étaient positifs avec confirmation, dans 273 cas, de la présence d'ARN-HCV circulant. Rapportée à l'ensemble de la population des USA, la prévalence d’anticorps anti-HCV positifs fut estimée à 1,3 % (IC95 de 1,2 à 1,5 %), soit environ 3,6 millions de personnes porteuses (IC95 de 3,0 à 4,2 millions). La prévalence d'un RNA-HCV positif fut, pour sa part, de 1 % (IC95 de 0,8 à 1,3 %), soit approximativement, 2,7 millions d'individus infectés (IC95 de 2,2 à 3,2 millions). Les sujets atteints étaient souvent âgés de 40 à 59 ans, de sexe masculin, d'origine noire non hispanique, et nés aux USA. Ils avaient en règle un niveau d'éducation faible et les revenus de leur famille se situaient en moyenne à peine à 2 fois le seuil de pauvreté. L'incidence était plus élevée chez les individus nés entre 1945 et 1965, culminant alors à 2,6 % (IC95 de 2,1 à 3,2 %), soit une estimation globale de 2,16 millions d'américains (IC95 de 1,70 à 2,61 millions). 50,8 % d' entre eux avaient des antécédents de toxicomanie IV ou avaient reçu des produits sanguins avant 1992. A contrario, il est possible d'estimer à 1,19 million le nombre de patients avec une hépatite C chronique, de tranche d'âge comprise entre 20 et 59 ans (IC95 de 870 000 à 1,52 million) sans facteur de risque notable. Il est apparu que les sujets âgés de 20 à 48 ans avec une hépatite C chronique étaient plus souvent porteurs d'anticorps anti-herpes simplex 2. L’association avec le VIH fut impossible à étudier de par le nombre très réduit de co-infections décelées par NHANES.
En modèle multivarié, les mêmes facteurs (tranche d'âge entre 40 et 59 ans, sexe masculin, origine noire non hispanique, naissance aux USA, niveau d' éducation et de revenus faibles, usage de drogues illicites, à l' exclusion de la marijuana, transfusion de produits sanguins avant 1992, notion de plus de 10 partenaires sexuels) étaient associés, de façon statistiquement significative, à l'infection chronique par HCV.
En résumé, les données issues de NHANES permettent d'estimer qu’entre 2003 et 2010, 1,3 % de la population nord-américaine, soit 3,6 millions d'individus, étaient porteurs d'anticorps anti-HCV et que 1 % avaient une infection chronique dont témoignait la présence d'ARN-HCV dans leur sérum. Ces résultats marquent une baisse par rapport aux précédentes estimations NHANES, de l'ordre de 3,9 millions entre 1988 et 1996 et de 4,1 millions entre 1999 et 2002. Il est très peu plausible que cette diminution soit le fait de la mise en route de traitements actifs anti-HCV. Elle est plus probablement liée à une augmentation de la mortalité spécifique en cas d'hépatite C. La prévalence d'HCV parmi les individus nés entre 1948 et 1965 a été trouvée très haute, à 2,6 %, soit environ 6 fois plus importante que dans les autres tranches d'âge. Les CDC recommandent donc logiquement de cibler le dépistage dans cette tranche d'âge. On peut raisonnablement estimer que 800 000 nouveaux porteurs pourraient ainsi être dépistés, avec, potentiellement, 100 000 décès évitables, non compris les individus sans domicile fixe ou incarcérés qui ne sont pas inclus dans la NHANES. L'introduction récente de traitements actifs pourrait modifier les données en termes de portage et de mortalité, mais le bas niveau éducationnel et de revenus des populations touchées constituent autant de barrières à la mise en route de thérapeutiques efficaces.
En conclusion, selon les données de NHANES, 2,7 millions de nord-américains non institutionnalisés sont porteurs d'une infection chronique par HCV. Ce chiffrage est en baisse par rapport aux précédentes évaluations, reflétant probablement une hausse de la mortalité spécifique. Le risque est particulièrement élevé dans la tranche d'âge 1945-1965, dite " génération du baby boom" qui doit, selon les recommandations des CDC, constituer la cible privilégiée du dépistage.
Dr Pierre Margent