
De Gainsbourg à Cioran, Marisol Touraine fait de l’ombre à Nicolas Bedos
Qu’allait faire Marisol Touraine face à cette adresse (puisque la chronique de Nicolas Bedos était intitulée : « Chère ministre de ma santé ? »). « Les puissants doivent-ils répondre aux clowns ? » s’interroge sur son blog le journaliste et médecin Jean-Yves Nau qui évoque ce petit « buzz » médiatique de la semaine. « C’est la tendance d’une époque où tout fait spectacle. Au risque de l’insignifiance, du délitement de la puissance. Et puis il y a les exceptions » poursuit-il. Sur son blog, Marisol Touraine s’est en effet fendue d’une longue réponse à Nicolas Bedos, qui comme l’intéressé l’a reconnu lui-même, ne manque pas de finesse et d’intelligence… et sans doute d’une part de taquinerie à l’égard de celui qui bien que clown n’hésite pas souvent à se prendre au sérieux. Le ministre débute ainsi son message par des références à de nombreuses stars des années passées, ayant fait de la cigarette leur liberté (souvent au péril de leur vie tel Gainsbourg), sans doute pour signifier à Nicolas Bedos en filigrane qu'il n’est ni le premier, ni le plus talentueux à se lancer dans un tel combat. Puis, elle poursuit, n’hésitant pas à multiplier les allusions littéraires, laissant au passage entrevoir un pan de sa personnalité et une capacité à s’exprimer sans faux-semblant qui étaient rarement apparus jusqu’alors : « La cigarette, expliquez-vous aux lecteurs de Elle, est la condition de la liberté, l’acte ultime de résistance des libertaires de la capitale, le dernier bastion du « laissez-moi faire ». Lorsque vous fumez en vagabondant dans les rues de Paris, vous goûtez au plaisir de réciter quelques vers de Baudelaire. Assis dans un bistrot parisien, clope au bec, vous aimez songer aux pérégrinations féériques décrites par Kessel et au transsibérien de Cendrars. A vous lire, comment résister à cette invitation au voyage ? Mais la finesse de votre plume ne doit pas masquer une réalité bien plus tragique. Une réalité moins fantasmée que celle que vous décrivez en convoquant, pour plaider votre cause, les plus beaux esprits. Une réalité insoutenable, où le tabac est une servitude, une dépendance. Il est la drogue la plus répandue. Il n’est pas la drogue la moins dure, comme vous le laissez entendre, mais la plus meurtrière » écrit-elle avec un brin d’ironie marqué par la « finesse de votre plume ». Le ministre poursuit sa démonstration, en rappelant que sa mission est « de dire, de répéter, de rabâcher même, dès que l’occasion m’en est donnée, le constat que vous avez vous-même formulé : le tabac tue, light ou pas ». Elle conclue cette lettre en détournant celle, amère, du trublion médiatique : « Vous vous faites aussi pessimiste que Cioran, cher Nicolas Bedos. Soyez rassuré : je n’enverrai ni le GIGN, ni la Garde nationale, ni l’armée tout entière pour vous traquer dans le bois de Boulogne. Mais je ne me tairai pas dans la guerre contre le tabac. Je ne cesserai jamais de rappeler, à vous et à tous les fumeurs, qu’à chaque bouffée inhalée, vous perdez de précieux moments d’une vie dont, chaque semaine, vous nous rappelez avec talent dans vos chroniques qu’elle vaut mille fois la peine d’être vécue ».Dans cette lettre, finalement moins attendue que le billet libertaire de Nicolas Bedos, ce qui a le plus retenu l’attention et notamment celle de Jean-Yves Nau est ce cri : « Il y a le développement de la cigarette électronique notamment. Une chose est certaine : elle est moins nocive que la cigarette tout court et peut aider au sevrage. Je dis oui sans réserve à la vapoteuse, lorsqu’elle peut aider à en finir avec le tabac ! Mais pourquoi dans les lieux publics, alors que cela permettrait aujourd’hui la réhabilitation d’un geste qui n’a plus lieu d’être ? ». Ce « oui sans réserve » « marque une évolution notable dans les déclarations ministérielle sur ce sujet » observe en effet Jean-Yves Nau. Mais cette formule du ministre n’inspirera pas uniquement à Jean-Yves Nau cette analyse politique. Le lendemain, elle fera naître chez lui quelques divagations sur ce terme de « vapoteuse », lui rappelant inévitablement les « vapeurs » des femmes du XVIIIème siècle. « Dans le brouillard, une hésitation. Vaporeuse ou vapoteuse ? Une hésitation et des souvenirs qui remontent. L’affaire se passait au XVIIIe siècle, bien avant les cigarettes industrielles. On lui avait donné pour nom « les vapeurs ». Elle passionnait les médecins et les écrivains d’alors. (…). « Vapeurs » donc. Et « vaporeuses » pour celles qui les exprimaient. On savait trouver les mots en ces temps-là. Autre chose que le tristounet vapoter contemporain » se désole avec douceur Jean-Yves Nau avant de revenir plus longuement sur ces « vapeurs » disparues avec la Révolution française. Et avant de savoir si la « vapoteuse » d’aujourd’hui constituera la révolution du tabac, comme le suggérait le titre d’une conférence menée sur le sujet le 15 mai dernier.
Pour découvrir les textes de Nicolas Bedos, Marisol Touraine et Jean-Yves Nau, vous pouvez vous rendre :
http://www.lemondedutabac.com/nicolas-bedos-a-marisol-touraine-il-faudra-menvoyer-le-gign-pour-mempecher-den-griller-une/
http://www.marisoltouraine.fr/2014/05/lettre-a-nicolas-bedos/
http://jeanyvesnau.com/2014/05/14/abac-oui-a-la-vapoteuse-marisol-touraine-repondant-aux-petites-agaceries-de-nicolas-bedos/
http://jeanyvesnau.com/2014/05/15/vapeurs-des-belles-vaporeuses-a-la-revolution-de-la-vapoteuse/
Aurélie Haroche