A quoi tu penses ?

Paris, le samedi 31 mai 2014 – Les prouesses des neurosciences fascinent, y compris ceux et celles qui les étudient et qui pourraient pourtant être les plus avertis de leurs limites. Dans un monde où la défiance est une marque de fabrique, où chacun est prêt à remettre en question toute information diffusée, à rechercher l’éventuel mensonge, voire pire le complot à débusquer, certains pourtant (les mêmes ?) sont prêts à croire aux pouvoirs quasiment absolus des neurosciences. Pour en avoir le cœur net, nul n’est besoin d’une mise en scène particulièrement sophistiquée. Munissez vous de vieux appareils informatiques des années soixante-dix, ajoutez un vieux casque de salon de coiffure, reprenez une vidéo présentant des images modélisées d’un cerveau en activité et le tour est joué : vous venez de fabriquer une machine à lire dans les pensées. Pour évaluer son efficacité, demandez à une soixante de volontaires de tester cette fabuleuse machine que vous aurez auparavant baptisée d’un nom sonnant comme une révolution technologique (tentez par exemple « Spintronics »). Il n’est pas nécessaire pour la réussite de l’expérience de ne retenir que des sujets particulièrement crédules. Lorsqu’ils se sont prêtés à ce petit jeu, Amir Raz de l’université McGill de Montréal et son équipe n’ont pas même hésité à sélectionner des étudiants en neurosciences.

Electrodes et nouvelle coupe

Après avoir découvert la machine (un assemblage assez hétéroclite reprenant le casque de coiffure et les appareils électroniques et médicaux du siècle dernier), les volontaires étaient invités à inscrire sur un papier le nom d’une couleur et celui d’un pays, un nombre à deux chiffres et un nombre à trois chiffres. En gardant le papier sur eux, les sujets étaient ensuite munis d’électrodes, prenaient place sous le casque de coiffure et étaient invités à penser en permanence à chacun de leurs choix. Bientôt, l’ordinateur décryptait les pensées sans aucune erreur restituant les chiffres, les couleurs et les pays. Il ne faut nullement mettre cette prouesse au crédit de la pseudo-machine, par un tour de passe-passe non révélé (caméra cachée, jeux de miroir ?), les expérimentateurs étaient en effet parvenus à déjouer « les secrets » de leurs cobayes (comment ?) avant qu’ils ne laissent leurs pensées captées par le casque chauffant !

Des leçons mal apprises

Le résultat le plus marquant de cette expérience concerne la très grande part de participants ayant sincèrement cru que l’appareil était parvenu à décrypter leurs pensées : 76 % n’ont nullement mis en doute la machine. Cette forte proportion est d’autant plus étonnante que comme nous l’avons signalé la cohorte était composée pour moitié d’étudiants en neurosciences, ayant précisément pour professeur le coordonateur de l’étude, Amir Raz. Or, l’enseignant avait lors de ces cours particulièrement insisté sur le fait que pour l’heure il n’existait pas de dispositif permettant de lire dans les pensées et il s’était même assuré que ce point avait bien été retenu par ses étudiants à l’occasion d’un examen !

« Neuro-enchantement »

L’affaire n’est pas qu’une farce. Pour les auteurs qui publient leurs « conclusions » dans la revue Frontiers in Human Neuroscience, elle met en évidence ce que Pierre Barthélémy sur son blog Passeur de sciences qui évoque cette étude appelle la puissance du « neuro-enchantement ». Les neurosciences exercent en effet aujourd’hui une telle fascination, y compris sur les initiés, que beaucoup pourraient sans mal lui prêter des propriétés qu’elles n’ont pas (du moins pas encore). Cette attractivité peut être potentiellement dangereuse si certains tentaient de profiter de cette crédulité en vue d’une utilisation usurpée des neurosciences actuelles (notamment devant les tribunaux). 

Aurélie Haroche

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