Les antibiotiques, c’est pas automatique (plus facile à dire qu’à ne pas faire !)

Paris, le samedi 7 juin 2014 – Les blogs tenus par des médecins ne sont pas que de longues dissertations sur des sujets éthiques profonds, les tracasseries administratives de la Sécurité sociale ou toutes autres critiques acerbes sur la façon dont (n’) est (pas) conduite la santé publique dans notre beau pays. Une très grande partie des médecins blogueurs prend en réalité principalement la plume pour raconter le déroulé de leurs consultations. Lorsque c’est bien écrit et avec humour (comme c’est assez souvent le cas), ces instantanés permettent de révéler en quelques phrases ce qui fait le sel et la difficulté de l’exercice de la médecine. On voit également au fil de ces tranches de vie se dessiner une génération de praticiens, ayant à cœur d’adopter une approche un peu différente de la relation médecin/malade.

Une « première phrase qui met dans l’ambiance »

C’est ainsi par exemple qu’il faut lire le dernier post de « Docteur Milie », jeune médecin généraliste installée en Seine Saint Denis. Son texte est quasiment un exposé didactique sur la difficulté d’appliquer la sacro sainte maxime « les antibiotiques ce n’est pas automatique ». Elle raconte ainsi comment elle a vu débarquer à la Maison médicale de garde à 22 h, R. petit garçon de trois ans, accompagné de son père qui a ainsi débuté la consultation : « Alors hier, on a attendu sept heures aux urgences… et on est ressorti avec juste du Doliprane, alors là faut nous donner des antibiotiques ». A partir de cet exposé qui tient de « la première phrase qui met dans l’ambiance » ironise Docteur Milie, elle nous décrit le déroulement de la consultation en alternant les passages en italique où elle précise ce qu’elle a pensé in petto et les passages sans italique où l’on peut découvrir ce qu’elle a réellement déclaré.

Prescrire des antibiotiques : une question de contexte

L’auteur du blog met ainsi en évidence les difficultés d’appliquer ce qui est doctement enseigné (à travers par exemple les formations « aux entretiens motivationnels » qu’elle a pu suivre) et la réalité de terrain. C’est ainsi qu’elle s’exhorte à se montrer empathique (voire parfois démagogique comme elle l’admet elle-même) en dépit de l’a priori très négatif qu’elle porte sur le père. A cet égard, elle ne tait pas le fait qu’évidemment le contexte a une influence sur la pratique. « Il faut avouer que quand on a envie plus ou moins inconsciemment de prescrire des antibiotiques, pour plein de raisons diverses, notre inconscient trouve les oreilles rouges plus ou moins rouges ou des angines plus ou moins bactériennes. En tout cas moi, il est clair que le contexte influence ma prescription d’antibiotiques. Dans ce cas précis, si pour des raisons de facilité évidente, je pourrais être tentée de lui filer des antibiotiques, je suis plutôt énervée et j’ai envie de lui prouver qu’il a tort et qu’il a pas besoin d’antibiotiques son fils (…). Pour le coup, je pars plutôt braquée motivée (…) parce que c’est pas les patients qui décident ! ». Voici exposée en quelques mots, la complexité des liens médecins/malades à l’origine des mécanismes de prescription, impossibles à formaliser dans les schémas de la CNAM ou de la HAS.

Toute puissance et désir d’amour

L’évocation de cette consultation, somme toute banale, elle le reconnaît elle-même, est également l’occasion pour « Docteur Milie » de revenir sur d’autres sentiments fréquemment éprouvés par les médecins et rarement avoués : l’ivresse d’un certain pouvoir et le désir d’être aimé. Après avoir découvert que l’enfant souffrait effectivement d’une angine, elle observe : « A ce stade, je suis toute puissante. Si j’ai envie d’être un médecin qui fait mal et je le fais parfois (quand pour moi c’est une angine bactérienne typique avec tous les critères et que vraiment je suis sûre que le streptotest sera positif et souvent j’ai raison ou quand j’ai pas le courage de lutter parce que je suis fatiguée ou que c’est en garde ou que c’est un tout petit qui hurle ou plein de raisons ou que les parents ils les veulent les antibios et que si je leur donne ils m’aimeront et je serai la meilleure à leurs yeux -c’est bien pour ça que les gens nous aiment) je décrète: Il lui faut des antibiotiques ! » écrit-elle.

Coup de théâtre !

Enfin, la dernière leçon de cette consultation tient à son coup de théâtre. Car, après que le test soit en faveur d'une angine virale, ne nécessitant donc pas la prescription d’antibiotiques, refusée logiquement par le « Docteur Milie », le père finit par déclarer : « ‘Mais docteur, je suis totalement d’accord avec vous, j’ai bien compris (…) mais c’est ma femme’ (…) sa femme [qui] lui a fait passer sept heures aux urgences la veille et ce soir (…) elle l’a fait rentrer plus tôt (…) pour qu’il emmène à nouveau le petit chez le médecin et quand il rentre, elle insulte les médecins français, parce que dans son pays, on donne des antibiotiques tout le temps… ». Après cet aveu, « Docteur Milie » éprouve une sincère empathie pour le père de son patient et découvre une nouvelle fois que : « Derrière toute demande  agressive, notamment revendicatrice, il y a quelque chose. Et face à un patient difficile, et qui déclenche des sentiments négatifs en nous, il faut lutter contre ce sentiment pour essayer que ce sentiment n’influe pas sur cette prise en charge », observe-t-elle simplement. Le médecin acceptera même de tenter d’expliquer sa position par téléphone à la mère revendicatrice, bien que la conversation virera au dialogue de sourd.

Les antibiotiques c’est ce qui reste, quand rien ne va plus

Mais pour expliquer sa détermination, le « docteur Milie » met en avant des éléments bien éloignés du discours morose souvent prêté aux praticiens qui seraient submergés par le sentiment de dévalorisation et la tristesse face au mépris grandissant des malades. Bien loin de tels rivages, le docteur Milie répond : « Pourquoi ne pas l’envoyer paître, pensez vous. Parce que j’étais motivée. Parce que c’est mon boulot un peu et que je suis quand-même payée 68,50 euros pour cette consultation. Parce que j’ai fait une formation d’entretien motivationnel: ça se voit hein. Parce que si personne ne prend le temps de lui expliquer, elle ne comprendra pas et continuera à envoyer son mari tous les soirs chez le médecin (…). Et parce que, encore une fois,  derrière les patients relous, il y a des patients fatigués, angoissés, non écoutés, parfois derrière des patients relous, il y a juste des patients relous (…) mais bon, souvent c’est l’anxiété ou en tout cas il y a une raison qui pousse les gens à être comme ils sont. En particulier, dans les « rhumes » ou autres maladies saisonnières bien pénibles (…) la vie des gens est parfois tellement difficile que l’enfant malade, c’est juste la goutte d’eau (…) qui fait déborder le vase et il faut juste un truc pour que ça s’arrête, et comme la magie n’existe pas, et ben il reste les antibiotiques ».
L’histoire (dont on peut lire l’intégralité ici http://www.docteurmilie.fr/wordpress/?p=1424) s’achèvera par l’absence de prescription d’antibiotiques saluée par un triomphal « Bravo » du père. Ou « comment une consultation qui avait débuté par « Bonjour, il lui faut des antibiotiques » s’est terminée (35 minutes plus tard) par un « Bravo » de ne pas l’avoir fait », conclue « Docteur Milie ».

Aurélie Haroche

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Vos réactions (4)

  • Une profession agressée de toutes parts

    Le 07 juin 2014

    Bravo à ma jeune consœur.
    Perso, j'ai travaillé 35 ans dont 15 d'accouchements dans le cadre MG (actuellement une telle attitude pourrait passer pour inconsciente, et je crois même que les assureurs ne couvrent plus). Et voila que je suis passé lentement mais sûrement du "docte" à celui qui fait partie d'une profession agressée de toutes parts, incompétente, prescrivant à tort et à travers, surtout versus des pays à l'éducation et au surmoi différent, voyant se pointer des "patients" pressés, arborant des tirages internet de sites "dédiés" détaillant examens et traitements qui correspondent à "leur" cas et je n'aurais plus qu'à exécuter les ordres du (de la, elles ne sont pas en reste !) quidam, avec souvent un 'subliminal' agressif voire le petit mot qui fait plaisir :"je viens parce que j'ai pas pu avoir un RV avec un spécialiste, même pour une urgence !" Alors en 2008 j'ai craqué et je suis parti avant l'heure, laissant ainsi quelques plumes de retraite.
    Je dis donc bravo à cette jeune consœur qui est du monde actuel; mon problème est que j'ai vécu le changement, bouleversant tous mes schémas et je pense que c'était le but depuis longtemps. Tout ce que j'espère pour elle, c'est que ça se passera très bien.
    P.S. J'ai été très heureux d'exercer cet art, devenu malheureusement une série de contraintes.(mais ce n'est que mon avis).

    Dr Marc Lemire

  • Ne pas hésiter à fermer son cabinet pour aller à la plage

    Le 08 juin 2014

    L'histoire des antibiotiques: une histoire de "cocktail".
    Notre jeune consoeur Milie nous raconte ce qui me semble être devenu le nouveau mode d'exercice de la médecine. Car, lorsque le soir venu, on quitte son cabinet, un peu (ou très) fatigué par toutes ces histoires, avec l'idée de devoir y retourner le lendemain, on peut, en se révéillant un matin se dire: non! j'en peu plus! j'arrête. C'est pourquoi j'ai beaucoup d'admiration et de respect pour la décision du Dr Marc Lemire qui j'en suis persuadé, doit avoir "donné". Gynécologue- Obstétricien (donc voyant à longueur de journée femmes, conjoints et parfois enfants qui veulent aussi assister à la consultation sans que certains parents n'en soient offusqués), j'ai failli à plusieurs reprises raccrocher la blouse moi aussi, car je ne suis plus très jeune dans le métier. Et puis miracle! un concours de circonstance m'a conduit dans un "truc" de developpement personnel. Et depuis j'ai tendance à me comporter comme notre jeune consoeur. Evidemment, ça peut devenir rapidement chronophage. De cette affaire, je retiens ceci: rester vigilant pour maitriser son temps, la (le) patient(e), ses accompagnateurs, sa salle d'attente (secretaire comprise qui ne comprend pas toujours pouquoi le Docteur n'a pas encore fini avec la dame agressive qui est avec lui depuis plus d'une demi heure et qui ne payera que 35€ à la sortie!). A l'empathie, rajouter beaucoup d'humour (avec tact et mesure), de l'auto dérision (sans faire le charlot nécessairement) et si cela ne suffit pas, ne pas hésiter à fermer son cabinet le lendemain pour aller à la plage, au cinéma, faire une ballade en forêt avec les siens, bref s'inventer son propre "cocktail" pour après tout, pouvoir survivre!
    Dr Anani Lawson
    (Guadeloupe)

  • Slogan n'est pas médecine

    Le 10 juin 2014

    Parmi les slogans débiles "les antibiotiques c'est pas systématique" a le ruban bleu...Outre le fait que c'est un poncif, il est responsable du fait que certains médecins "suiveurs" ne donnent que des AINS ou des corticoides dans des infections non ou mal maîtrisées. C'est ainsi que bien des otites sont traitées "n'importe comment" par tout sauf des antibiotiques, qu'on voit flamber des sinusites et des bronchites qui n'avaient plus,ou n'ont jamais rien eu de "viral";
    On ne fait pas de la médecine avec des slogans. Les antibiotiques ne sont pas systématique mais il ne faudrait pas que la sottise s'installe pour autant de façon subliminale dans les traitements d'infections non virales ou qui ont cessé de l'être.
    Il y a probablement des cas ou il aurait fallu donner des antibiotiques et ou la force subliminale du "slogan" a fait faire le contraire... Ne jamais sous-estimer la dépendance normative et la force du bourrage de crâne...

    Dr J-F Huet

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