Demain dès l’aube, je dévisserai ma plaque…

Paris, le samedi 21 juin 2014 – Combien sont-ils chaque jour à faire le choix de partir ? Qu’est-ce qui les pousse à quitter leur cabinet, leur région, parfois leur pays ? Au-delà des statistiques du Conseil national de l’Ordre des médecins, les témoignages laissés sur les blogs offrent quelques clés pour comprendre le blues de ceux qui décident de changer de mode d’exercice, de vie et parfois même d’état. Un an et demi après le célèbre « Borée », c’est ainsi au tour cette semaine de l’auteur du blog « Les carnets d’un médecin de montagne », surnommé « Genou des Alpages » d’annoncer son départ. Il ne quitte pas seulement les hautes sphères, mais également la France. Il l’explique dans une longue note teintée d’amertume.

Un étranger dans mon propre pays

En haut des montagnes, « Genou des Alpages » a pu pratiquer une médecine générale un peu différente de celle que l’on voit en plaine, où il lui a notamment été possible d’ajouter à la surveillance traditionnelle des pathologies chroniques et à la réponse aux épidémies saisonnières une pratique plus technique avec la réalisation de radios, échographies, spirométrie, ECG... « Sept ans de pratique militante de ce type de médecine m’ont largement convaincu que la qualité des soins était au rendez-vous » résume-t-il. Cependant, au fil des ans, « Genou des Alpages » a observé que les obstacles à une telle pratique ne résidaient pas dans une absence de compétence, de maîtrise ou d’envie. Les principales difficultés étaient ailleurs dans le manque de temps et d’argent. « Si elle fait économiser du temps et constitue très probablement un avantage pour le patient et pour la société, en termes de dépense de santé, cette pratique est chronophage pour le médecin et les actes sont bien trop peu payés par l’assurance maladie » explique-t-il sans ambages. Il raconte ainsi comment il a dû rogner sur chaque dépense, au sein du cabinet, en matériel notamment mais aussi dans sa vie personnelle en augmentant son temps de travail. Mais ces sacrifices commencèrent à avoir une incidence sur la qualité des soins, tandis que demeuraient « l’indigence du niveau des honoraires médicaux et les difficultés financières afférentes, les insultes, le mépris, la haine que les décideurs, les caisses, la presse, les administrations développent à l’égard du médecin libéral que je suis ont fini de saper ma motivation ». Alors, « Genou des Alpages » a décidé de partir et de gagner un pays où la pratique d’une médecine générale de qualité, dans des conditions correctes, apparaissait encore possible. Il quitte la France « avec une pointe d’amertume » et « l’impression frustrante d’être devenu un étranger dans mon propre pays ».

« J’y ai droit »

Cette note n’est pas demeurée sans commentaire. Un ophtalmologiste le docteur Zigmund sur son blog « Le rhinocéros et la lune » l’évoque longuement et loin de regretter ce départ, de le critiquer observe : « Je m’en veux de n’avoir pas eu le même courage de déplaquer ». Il raconte lui aussi sa lassitude, son sentiment d’échec, sa colère face au niveau des honoraires. Et pour illustrer son malaise, il se laisser aller à une anecdote qui aura sans doute un écho particulier au lendemain de la confirmation par Marisol Touraine de sa volonté de voir le tiers payant généralisé. « Récemment, j’ai failli virer tous les patients de ma salle d’attente parce qu’un diabétique avait osé me demander poliment de lui appliquer le tiers payant me citant en exemple son vertueux médecin généraliste et son cardiologue. Il n’avait pas de problèmes d’argent, il a d’ailleurs refusé ma proposition d’encaissement différé des 40 euros sans dépassement de la consultation, juste ‘il y avait droit’ » relate-t-il, lui aussi lourd d’amertume.

Il faut imaginer Sisyphe médecin

Comment de tels témoignages de médecins ayant pratiqué la médecine de ville pendant une dizaine d’années est-il perçu par ceux qui sont encore internes ? Sur son blog poétique, l’interne en médecine générale auteur du « Bruit des sabots » ne cache pas à quel point le témoignage de « Genou des alpages » a remué en lui d’interrogations. « La médecine de premier recours est-elle encore indispensable ? » se demande-t-il par exemple avant de faire une belle énumération de toutes les médecines générales qu’il a pu côtoyer au cours de ses études, énumération qui nourrit plus encore ses questionnements : « Qu’est-ce qu’attend le patient moderne ? Quelle médecine générale lui proposer aujourd’hui ? Laquelle fait véritablement sens et vient faire la différence », interroge-t-il, sans masquer que derrière ces questions plane une réflexion plus existentialiste encore. « Je repense à Sisyphe, cet homme qui pousse sa pierre au somment d’une colline avant de la voir rouler à nouveau jusqu’à son point d’origine (…). Quelle médecine vient alors faire sens face à une telle absurdité ? Quelle médecine de soins de premier recours peut s’opposer à une telle absurdité », lance-t-il.

Pour relire ces témoignages (à éviter les soirs de spleen) vous pouvez vous connecter sur ces liens :
http://genoudesalpages.blogspot.fr/2014/06/bilan-et-point-final.html
http://lerhinocerosregardelalune.blogspot.fr/2014/06/la-semaine-ete-dense-meme-si-je-netais.html
http://lebruitdessabots.blogspot.fr/2014/06/crise-de-foi.html

Aurélie Haroche

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Vos réactions (14)

  • Gâchis et tristesse

    Le 21 juin 2014

    Je lisais récemment le témoignage d'un confrère qui a "dévissé" (si je puis dire) et j'écrivais "Bravo à ce confrère pour l'intelligence et l'humilité de son témoignage et de son analyse qui me font mal au cœur. Quel gâchis !". Et j'ai en effet bien mal quand je pense à notre médecine qui a été longtemps la meilleure du monde...
    L'emprise du parti communiste et de ses idées après la libération a transformé notre pays en pays socialiste, lentement mais sûrement. C'est l'analyse que faisait récemment Giscard (le meilleur président que nous ayons sans doute jamais eu surtout si on le compare à ceux qui lui ont succédé, matois et fainéants pour l'essentiel…) et que l'on ne peut que partager. Bourdieu a fait le reste. Et il ne s'agit hélas pas d'une question de parti au pouvoir. On a pu par exemple constater la rapide dérive de Sarkozy (qui n'était pas fainéant pour le coup ...) en contradiction complète avec ses discours de campagne. Il s'agit pour reprendre une formule consacrée d'une "socialisation des esprits". D'une sorte de prime donnée au misérabilisme et à l'échec qui deviennent des vertus cardinales. Ce qui était autrefois considéré comme des vertus justement (travail, respect du savoir, courage, honnêteté, esprit d'entreprise) sont devenus des vices attachés à la classe bourgeoise : on méprise le bon élève et on n'a d'yeux que pour le cancre. L'envie et la jalousie ont pris toute la place.
    Et pour une raison que j'ignore la médecine a toujours été une des principales victimes dans les pays socialistes. Sans doute parce que le médecin représente dans l'imaginaire populaire le prototype du bourgeois (avec quelques autres professions qui pourtant sont moins ciblées sans doute parce qu'elles sont moins familières). Cette règle bien sûr s'applique maintenant à la France dont tous les médecins, avec le tiers payant obligatoire, viennent de passer fonctionnaires (sans les avantages évidemment). Pour vous convaincre de cette haine du médecin (car il s'agit bien de cela) par la catégorie que l'on pourrait rapidement appeler les bobos je vous conseille d'écouter un forcené qui officie régulièrement sur RMC (Les Grandes Gueules) et qui chaque fois que l'occasion se présente fustige de façon véhémente les médecins avec comme principal argument (outre évidemment qu'ils sont à la solde des labos...) que leurs études sont payées par la collectivité et qu'ils doivent donc se soumettre aux contraintes qu'on leur impose sans rechigner. Ce qui m'étonne le plus ce n'est pas l'ineptie de cet argument (car évidemment toutes les études en France sont payées par la collectivité et par conséquent toutes les professions sont concernés par cet argument) c'est surtout que personne ne lui ait jamais fait remarquer cela.
    Dieu merci on aura toujours besoin de médecins et beaucoup de nos concitoyens - qui ne sont pas des bobo - savent les difficultés du métier. Il ne faudrait sans doute pas grand-chose et, comme disait Balint, ce changement minime aurait des effets considérables.
    Bon courage à tous et je souhaite à ces confrères de trouver ailleurs ce qui n'ont pu trouver chez nous.

    Dr Louis-Pierre Jenoudet

  • Devenue un simple emploi

    Le 21 juin 2014

    Quand la Médecine était un Art, l'Artiste mourait sur sa dernière œuvre ...
    Devenue un Artisanat, le Médecin a appliqué les normes...et fermé régulièrement son cabinet, comme le font les coiffeurs.
    Devenue un métier, le Médecin n'a plus pensé qu'il devait semer le scandale et s'oublier dans la simple pratique de ce qu'on jugeait de lui...
    Devenue un simple emploi...l'employé justifie son traitement, respecte les normes...et vit sa vie : cela prouve qu'il reste intelligent dans ces abandons sans états d'Âme !
    Claude Amouroux, ancien PHAR(CPEM...1963 !)

  • Réduction progressive de notre espace vital

    Le 21 juin 2014

    C'est hélas un témoignage qui ne fait que confirmer les intentions de nos ministres de tutelle de faire disparaître la médecine libérale. J'ai exercé pendant quarante ans la médecine générale et j'ai pu constater la réduction progressive de notre espace vital à travers la restriction de nos activités, la mise en place de protocoles de soins abusifs (qui donnent à penser que le généraliste n'a pas les moyens intellectuels de prendre une décision lui même),l'empilement des démarches administratives, la hausse des charges et bien entendu la stagnation des honoraires... Comment s'étonner que les générations à venir s'écartent de la profession médicale et que certains jeunes médecins aillent exercer ailleurs ?

    Dr Pierre-Emmanuel Rodriguez

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