
Un étranger dans mon propre pays
En haut des montagnes, « Genou des Alpages » a pu pratiquer une médecine générale un peu différente de celle que l’on voit en plaine, où il lui a notamment été possible d’ajouter à la surveillance traditionnelle des pathologies chroniques et à la réponse aux épidémies saisonnières une pratique plus technique avec la réalisation de radios, échographies, spirométrie, ECG... « Sept ans de pratique militante de ce type de médecine m’ont largement convaincu que la qualité des soins était au rendez-vous » résume-t-il. Cependant, au fil des ans, « Genou des Alpages » a observé que les obstacles à une telle pratique ne résidaient pas dans une absence de compétence, de maîtrise ou d’envie. Les principales difficultés étaient ailleurs dans le manque de temps et d’argent. « Si elle fait économiser du temps et constitue très probablement un avantage pour le patient et pour la société, en termes de dépense de santé, cette pratique est chronophage pour le médecin et les actes sont bien trop peu payés par l’assurance maladie » explique-t-il sans ambages. Il raconte ainsi comment il a dû rogner sur chaque dépense, au sein du cabinet, en matériel notamment mais aussi dans sa vie personnelle en augmentant son temps de travail. Mais ces sacrifices commencèrent à avoir une incidence sur la qualité des soins, tandis que demeuraient « l’indigence du niveau des honoraires médicaux et les difficultés financières afférentes, les insultes, le mépris, la haine que les décideurs, les caisses, la presse, les administrations développent à l’égard du médecin libéral que je suis ont fini de saper ma motivation ». Alors, « Genou des Alpages » a décidé de partir et de gagner un pays où la pratique d’une médecine générale de qualité, dans des conditions correctes, apparaissait encore possible. Il quitte la France « avec une pointe d’amertume » et « l’impression frustrante d’être devenu un étranger dans mon propre pays ».« J’y ai droit »
Cette note n’est pas demeurée sans commentaire. Un ophtalmologiste le docteur Zigmund sur son blog « Le rhinocéros et la lune » l’évoque longuement et loin de regretter ce départ, de le critiquer observe : « Je m’en veux de n’avoir pas eu le même courage de déplaquer ». Il raconte lui aussi sa lassitude, son sentiment d’échec, sa colère face au niveau des honoraires. Et pour illustrer son malaise, il se laisser aller à une anecdote qui aura sans doute un écho particulier au lendemain de la confirmation par Marisol Touraine de sa volonté de voir le tiers payant généralisé. « Récemment, j’ai failli virer tous les patients de ma salle d’attente parce qu’un diabétique avait osé me demander poliment de lui appliquer le tiers payant me citant en exemple son vertueux médecin généraliste et son cardiologue. Il n’avait pas de problèmes d’argent, il a d’ailleurs refusé ma proposition d’encaissement différé des 40 euros sans dépassement de la consultation, juste ‘il y avait droit’ » relate-t-il, lui aussi lourd d’amertume.Il faut imaginer Sisyphe médecin
Comment de tels témoignages de médecins ayant pratiqué la médecine de ville pendant une dizaine d’années est-il perçu par ceux qui sont encore internes ? Sur son blog poétique, l’interne en médecine générale auteur du « Bruit des sabots » ne cache pas à quel point le témoignage de « Genou des alpages » a remué en lui d’interrogations. « La médecine de premier recours est-elle encore indispensable ? » se demande-t-il par exemple avant de faire une belle énumération de toutes les médecines générales qu’il a pu côtoyer au cours de ses études, énumération qui nourrit plus encore ses questionnements : « Qu’est-ce qu’attend le patient moderne ? Quelle médecine générale lui proposer aujourd’hui ? Laquelle fait véritablement sens et vient faire la différence », interroge-t-il, sans masquer que derrière ces questions plane une réflexion plus existentialiste encore. « Je repense à Sisyphe, cet homme qui pousse sa pierre au somment d’une colline avant de la voir rouler à nouveau jusqu’à son point d’origine (…). Quelle médecine vient alors faire sens face à une telle absurdité ? Quelle médecine de soins de premier recours peut s’opposer à une telle absurdité », lance-t-il.Pour relire ces témoignages (à éviter les soirs de spleen) vous pouvez vous connecter sur ces liens :
http://genoudesalpages.blogspot.fr/2014/06/bilan-et-point-final.html
http://lerhinocerosregardelalune.blogspot.fr/2014/06/la-semaine-ete-dense-meme-si-je-netais.html
http://lebruitdessabots.blogspot.fr/2014/06/crise-de-foi.html
Aurélie Haroche