Publié le 26/07/2014
Crise identitaire de fou
Paris, le samedi 26 juillet 2014 – Les jeunes doctorants Français
jouissent pour la plupart d’un niveau de connaissances théoriques
très élevé et d’une technicité également fort pointue. Ces qualités
ne leurs sont cependant pas toujours suffisantes pour rivaliser
avec certains étudiants en école d’ingénieur ou avec une partie de
leurs homologues étrangers, notamment Américains. Ils pêchent en
effet par leurs difficultés de communication : un grand nombre
d’entre eux peinent à expliquer en termes intelligibles le contenu
et l’intérêt de leurs recherches, un handicap pénalisant
personnellement lorsqu’il s’agit de décrocher un financement ou un
nouveau poste (en particulier dans le secteur privé) et qui tend
également à renforcer l’image d’une recherche scientifique opaque
et centrée sur elle-même.
Trois minutes pas plus
Cette situation n’existe pas qu’en France. Mais d’autres ont décidé
d’agir. Ainsi, en 2008, a été lancé en Australie le concours «
Three minute thesis », qui, comme son nom l’indique, invite les
doctorants à venir expliquer le sujet de leur thèse en moins de
trois minutes : le candidat le plus convaincant étant désigné d’une
part par un jury et d’autre part par le grand public. Quatre ans
plus tard, une version francophone a été créée au Québec. Cette
année, le CNRS a décidé d’emboîter le pas aux Canadiens en lançant
l’opération « Ma thèse en 180 secondes ». « Trois minutes, c’est un
temps très court. Mais c’est une occasion unique pour les jeunes
chercheurs de vulgariser leurs travaux auprès du grand public.
C'est surtout un moyen d'acquérir des compétences en communication
cruciales dans le monde d'aujourd'hui. Pour être recruté, défendre
ses travaux devant un jury, ou encore décrocher des financements,
le chercheur doit savoir expliquer ses travaux en termes clairs et
concis », explicite dans un communiqué du CNRS présentant
l’opération, Céline Bézy, de l’Association francophone pour le
savoir, qui organise le concours au Québec. Enfin, certains y
voient également un moyen de mieux faire connaître la filière
doctorale.
« Rectale tu es, rectale tu resteras »
Les étudiants et les universités ont joué le jeu : 23
établissements, dans 15 régions ont participé à l’événement. La
finale qui s’est déroulée à Lyon en juin dernier a couronné
Marie-Charlotte Morin, venue présenter en 180 secondes les tenants
et aboutissants de sa thèse portant sur le « Rôle des protéines
lin-15 A et rétinoblastome dans la reprogrammation cellulaire
directe in vivo chez C. elegans ». La jeune femme présentait
plusieurs atouts pour se hisser à la première place. Outre une
élocution rapide, absolument indispensable dans ce genre de
concours, elle est également douée d’un solide sens de l’humour.
Par ailleurs, bien qu’a priori présenté sous un titre plutôt
rébarbatif, son sujet comptait quelques avantages pour séduire le
jury et le public, qu’elle a tout deux conquis. En effet, ses
travaux portent sur une cellule rectale de C. elegans aspirant à
jouer le rôle d’une cellule neuronale, soit une « crise identitaire
de fou », comme l’énonce en riant Marie-Charlotte Morin dans sa
présentation. On le sait, la reprogrammation cellulaire est un
sujet porteur, tant auprès des scientifiques que du grand public,
qui connaît ses promesses quant au traitement de plusieurs maladies
neurodégénératives. La verve de Marie-Charlotte Morin et sa faculté
de ne pas prendre au sérieux ont fait le reste. Pour raconter
comment ses recherches ont notamment porté sur les mécanismes
déclenchés par cette reprogrammation naturelle « stable » et «
naturelle », elle remarque par exemple que certains gènes «
agissent à la manière d’un mauvais conseiller d’orientation
appelant la cellule à ne pas changer de conditions, rectale tu es,
rectale tu resteras », quand d’autres se comportent comme « des
professeurs mentors qui inciteraient un élève d’une condition
sociale peu élevée à faire une thèse. Il semble que je me sois un
peu trop identifiée à cette petite cellule » conclue-t-elle.
Trois ans de thèse, pas plus ?
En décrochant la première place, Marie-Christine Morin représentera
la France à la finale internationale qui se déroulera les 24 et 25
septembre et qui devra départager des étudiants français,
québécois, belges et marocains. L’équipe française sera également
composée de Noémie Mermet et Chrystelle Armara qui ont remporté les
deuxièmes et troisièmes places du concours. On ne sait si à cette
date la brillante Marie-Christine Morin aura une visibilité plus
grande sur son parcours futur. Car en dépit de son manifeste
attachement pour la recherche et pour la profession de biologiste «
qui permet un peu de se prendre pour Dieu » confesse-t-elle dans sa
présentation, Marie-Christine Morin observe d’un œil sombre
l’avenir des jeunes doctorants. Sur le site « Urgence pour l’emploi
scientifique », ouvert après l’appel du CNRS en la matière,
Marie-Christine Morin fait le récit suivant, comme le rapporte le
blog Sciences au carré : « J’ai fait une soirée de retrouvailles
avec des anciens de licence/master, la majorité étant en thèse.
J’ai vraiment été surprise de voir que les meilleurs d’entre eux,
qui ont de très bons papiers disent clairement qu’ils ne se
lanceront pas dans un post-doc. Ils aiment tous la recherche, mais
les conditions de travail, le manque de reconnaissance, les postes
inexistants et les salaires bas sont autant d’éléments trop
décourageants pour continuer. C’est incroyable comme la dure
réalité nous est tombée dessus ces derniers temps. Voilà la
conclusion générale de notre soirée : aujourd’hui, pour se lancer
dans un post-doc dans l’espoir d’obtenir un poste dans la recherche
publique, il faut être soit complètement inconscient, soit être
dévoué à la science sans rien attendre en retour (un véritable
sacerdoce), soit partir loin sans jamais revenir». Voici une triste
constatation sur laquelle les pouvoirs publics devraient se
pencher, pendant un peu plus de 180 secondes.
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