
Freetown, le samedi 2 août 2014 – C’est un pays où la densité médicale ne dépasse pas 0,016 praticiens par millier d’habitants. C’est un pays d’un peu plus de six millions d’âmes qui a été ravagé par la guerre civile entre 1991 et 2002, guerre qui a fait au moins 100 000 morts et entraîné le déplacement de plus de 2,5 millions de personnes soit plus d’un tiers de la population. Il avait seize ans lorsque les conflits ont commencé. Quand on est un jeune homme dans un pays où la fureur des hommes s’embrasse et où l’on a la chance de pouvoir bénéficier de moyens suffisants pour suivre des études solides, le plus souvent on fuit. Dans un pays voisin où les armes se sont tues. Ou plus loin encore. Sheik Umar Khan est resté.
Des études sous le signe de Lassa
Il vient à peine de commencer ses études de médecine et la guerre fait toujours rage. Après les conflits, les massacres, c’est le temps des épidémies. Souvent les combats armés, les exodes font en effet le lit de maladies meurtrières qui se répandent en quelques semaines dans la population. Ainsi, la Sierra Leone va-t-elle connaître entre 1996 et 1997 une épidémie de fièvre de Lassa d’une ampleur exceptionnelle et inédite. Sheik Umar Khan a vingt-et-un an. Désormais, la lutte contre la fièvre de Lassa va devenir sa spécialité dans un pays qui ne compte aucun virologue.
Plaidoyer auprès du ministère de la Santé
Officiellement diplômé de la faculté de médecine de Sierra Leone en 2001, il commence à travailler comme spécialiste des maladies tropicales et infectieuses. La fièvre de Lassa, toujours. Il acquiert très rapidement la conviction que dans cette région où ce virus hémorragique fait le plus grand nombre de victimes au monde, il est essentiel de se doter de programme ambitieux contre la maladie. Dans une Sierra Leone qui après la guerre tente de se reconstruire, il défend cette position auprès du ministère de la Santé au sein duquel il travaille à partir de 2005. C’est ainsi qu’il prit la tête du programme de prévention et de lutte contre la fièvre de Lassa au sein de l’hôpital gouvernemental de Kenema, situé à 300 kilomètres à l’est de Freetown, et région la plus fortement touchée par ce virus.
Un seul pays
Très impliqué dans la santé publique de son pays, il semble que Sheik Umar Khan ait eu à cœur de se perfectionner, d’offrir des soins toujours meilleurs à ses compatriotes. C’est pour répondre à ce souci qu’il rejoint régulièrement le Ghana entre 2010 et 2013 afin d’y étudier et de se spécialiser en médecine interne à l’hôpital universitaire d’Accra au Ghana. Mais toujours, il est de retour en Sierra Leone. C’est dans son pays qu’il se trouve ainsi au début de l’année quand débute dans la Guinée voisine une épidémie de fièvre Ebola. Pour Sheik Umar Khan, la période est importante : il est depuis peu professeur au sein de son ancienne université et partage son temps entre Freetown et l’Hôpital de Kenema.
Une vie chérie
Quand les premiers cas de fièvre Ebola sont suspectés en Sierra Leone, Sheik Umar Khan est immédiatement sollicité. En effet, plusieurs cas sont en réalité liés à la fièvre de Lassa quand d’autres lui sont indument attribués. Surtout, en tant que grand connaisseur des maladies infectieuses et des fièvres hémorragiques, Sheik Umar Khan est un interlocuteur essentiel pour les autorités sanitaires et pour l’ensemble des représentants des ONG sur place. Dès lors, Sheik Umar Khan va travailler sans relâche multipliant les allers retours entre Kailahum à l’est du pays où a été installé un centre de traitement des patients infectés par Ebola et l’hôpital de Connaught à Freetown où il fait office de consultant. Les soins prodigués par Sheik Umar Khan et sa force de persuasion pour convaincre les patients et leurs proches de ne pas contourner les mesures d’isolement et de protection lui ont permis de sauver de nombreux patients et d'éviter de nouvelles contaminations. Sa notoriété dépassait depuis plusieurs semaines la communauté médicale de Kenema et Freetown et le 29 juillet, le président de la République, après les comptes-rendus élogieux et positifs concernant l’activité du centre de Kailahun effectuait une visite dans l’établissement. Il n’y rencontra pas le docteur Sheik Umar Khan qui venait de mourir à l’âge de 39 ans. Une semaine auparavant, il avait ressenti les premiers symptômes de la fièvre Ebola. Bien qu’ayant quelques jours auparavant dans un entretien accordé à la BBC observé la très grande vulnérabilité des personnels de santé face à Ebola, Sheik Umar Khan ne voulut d’abord pas y croire, espérant un simple « refroidissement ». Mais très vite, le doute ne fut plus possible. Celui qui constatait toujours auprès de la BBC que « même les équipements dont nous disposons n’offrent pas une protection absolue » s’est révélé atteint par le virus Ebola, placé en quarantaine et pris en charge par les équipes de Médecins sans frontières. Ces dernières crurent d’abord à une amélioration de son état mais ne purent empêcher la mort de celui qui souriant déclarait à la BBC qu’il « avait peur pour sa vie, parce qu’il chérissait la vie ».
Mort d’un patriote
Plusieurs hommages ont été rendus au praticien par la communauté politique et médicale. Le ministère de la Santé salua ainsi un « héros national », tandis que de son côté le docteur Oliver Johnson qui fut l’un de ses confrères au sein du Connaught Hospital évoquait un deuil semblable à une « tragédie nationale ». Soulignant le choc et la tristesse provoqués par la disparition de Sheik Umar Khan, il espère que sa mort ne sera pas vaine et représentera un signal supplémentaire de la nécessité de mobiliser toutes les forces dans la lutte contre l’épidémie actuelle. Chez Médecins sans frontières, on a salué la mémoire d’un homme « déterminé et courageux qui se souciait vraiment de ses patients ». Enfin, dans une tribune publiée sur le site « Sierraexpressmedia », Mohamed Chernor Bah, membre de la National Democratic Alliance, figure politique importante de Sierra Leone et qui vit actuellement à Atlanta a rendu un hommage vibrant au médecin, saluant son « sacrifice », n’hésitant pas à le comparer à Martin Luther King et exaltant sans surprise ses vertus patriotiques. Depuis le début de l’année, 1 323 cas de fièvre hémorragique, dont 909 assurément liés au virus Ebola, ont été rapportés en Guinée, Sierra Leone et au Liberia. L’épidémie a tué 729 personnes, dont plusieurs professionnels de santé, tandis que d’autres, dont un médecin américain sont toujours dans un état inquiétant.
Aurélie Haroche