Seul contre tous

Paris, le samedi 13 septembre 2014 – La communauté, l’appartenance à un groupe, un peuple, une famille est souvent la plus douloureuse et tenace des illusions. Il ne suffit que de quelques tremblements, une fissure imperceptible ou une volonté absurde et délirante pour que s’effondre cette fragile certitude. Ils sont ainsi solidement convaincus de former une « famille formidable », unifiée par le ciment des convictions politiques. Ils ont le cœur à gauche, Arnaud (Fabrice Luchini) et Babette (Karin Viard), deux des personnages principaux du film « Les Invités de mon père », diffusé dimanche 14 septembre sur France 2. Comment pourrait-il en être autrement lorsqu’on a été élevé par un médecin qui a consacré toute sa vie à l’humanitaire (incarné par Michel Aumont). Quand ce dernier annonce à Karin Viard et à Fabrice Luchini qu’il souhaite héberger des sans papiers, ses deux enfants ne tarissent pas d’éloges, louant la bonté et l’engagement de leur père. Mais lorsqu’ils découvrent que le vieux carabin a épousé en cachette une moldave sans papier, particulièrement avenante et qu’il a pour ambition de lui laisser une partie de son héritage ainsi qu’a sa fille, les convictions bien ancrées volent en éclat. Face à cette tempête familiale, Michel Aumont ne perd jamais son aplomb et en dépit de sa solitude s’amuse du revirement spectaculaire de ses enfants.

Déconstruction d’une scène

La solitude peut être le prétexte à une comédie, mais cette exclusion est plus souvent le lit d’un drame. Il n’y a pas de groupe, il n’y a plus de communauté, il n’y a plus de famille pour Matthew Homes, 19 ans. Un « meurtre » a fait de lui un paria : à l’âge de huit ans, le 15 août 1999, on lui a fait croire qu’il était responsable de la mort de son frère aîné, Simon, 13 ans, atteint de trisomie 21, quand il ne s’agissait que d’un accident. Depuis, Matthew ère dans un hôpital psychiatrique, définitivement seul contre tous, sa famille, les médecins, l’ensemble de la société. « Contrecoups », premier roman du britannique Nathan Filer est le récit de cette exclusion, mais aussi une plongée dérangeante dans l’univers de la maladie mentale.

Détournement d’ADN

Ogresse  parfois monstrueuse, la famille n’est pas seule à pouvoir faire de vous l’ennemi à abattre, le paria universel. Le monde peut également ainsi vous désigner. Dans le film « L’ADN, l’âme de la terre », fable entre fantastique et réalisme de Thierry Obadia, la cible est un jeune homme, né en Tunisie, doté de pouvoirs de guérison extraordinaires. Bientôt, un laboratoire pharmaceutique apprend l’existence d’Akim et met tout en œuvre pour percer la clé de son « ADN ». Mais dans ce film un peu naïf,  un peu maladroit, mais porté par d’excellents acteurs (dont Philippe Nahon et Albert Delpy) et qui nous emmène à la découverte de paysages extraordinaires, les caractéristiques individuelles ne sont pas nécessairement liées au gène. Une dimension qu’Akim, isolé et traqué, va devoir faire comprendre au monde.

Déferlement de haine

Pour Charlotte, il n’y aura pas d’issue. Sa solitude, son sentiment d’isolement, commence dès son enfance. Charlotte, l’héroïne du dernier roman éponyme de David Foenkinos, écrit en vers libre, est inspirée de l’histoire vraie de Charlotte Salomon, peintre de talent, assassinée à Auschwitz à l’âge de 26 ans. Cette tragédie, ce retournement total de l’univers contre elle, avait déjà des prémices dès ses premières années : sa mère, maniaco-dépressive, se suicide, rejoignant dans la mort sa propre sœur qui avait mis fin à ses jours au cours de son adolescence. La petite fille reste donc seule auprès d’un père, chirurgien, qui n’a guère de temps pour prendre soin d’elle et qui bientôt épouse en secondes noces une cantatrice. Le choix particulier de David Foenkinos de composer son roman en vers illustre d’une façon saisissante l’enfermement et plus tard la descente aux enfers que constituent la persécution, l’exclusion définitive de toute la société et finalement la mort.

 

Télévision : France 2, « Les invités de mon père », dimanche 14 septembre, 20h50.

Romans :
« Contrecoups », Nathan Filer, Michel Lafon, 352 pages, 19,95 euros

« Charlotte », de David Foenkinos, Gallimard, 224 pages, 18,50 euros

Cinéma :
« L’ADN, l’âme de la terre », de Thierry Obadia, 10 septembre 2014, 1h34

Aurélie Haroche

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