
Les progrès en virologie ont été fulgurants ces dernières décennies. Tant en matière d'identification des virus, notamment par PCR, de compréhension des mécanismes physiopathologiques et de thérapeutique (pour certains virus). Paradoxalement, alors que l'étude des modes de transmission d'un virus semble plus à notre portée que le décryptage des modes d'action à l'échelle moléculaire, nos connaissances épidémiologiques ont progressé nettement moins vite. Ainsi, comme le montre l'épidémie actuelle d'Ebola, nous ne savons toujours pas vraiment comment débute une épidémie, comment elle se propage et surtout comment elle s'arrête (du fait des mesures mises en place, d'évolution des modes de transmission ou de mutations de l'agent microbien en cause). En témoignent les divergences d'appréciation des spécialistes sur les prévisions d'évolution de l'épidémie actuelle d'Ebola et sur les mesures à prendre pour y faire face, certains insistant sur la nécessité pour les équipes soignantes d'être acceptées culturellement par les populations atteintes, d'autres sur d'indispensables mesures de coercition pour casser la propagation de l'épidémie.
Une première épidémie jugulée en quelques semaines
Pour nous éclairer il n'est pas inutile de nous pencher sur les expériences du passé. C'est ce que nous proposent dans le New England Journal of Medicine deux médecins américains, Joël Breman et Karl Johnson qui ont contribué, notamment avec P Piot, en octobre 1976 à isoler le Zaire ebolavirus à l'origine de la première flambée connue de cette fièvre hémorragique, à en déterminer les principaux modes de transmission et à casser la propagation de cette épidémie, avec les moyens limités de l'époque. Après 318 cas "seulement" (dont 280 mortels), un nombre réduit au regard de l'hécatombe actuelle.
Toutes les conditions semblaient pourtant réunies à l'époque pour une dissémination massive de la maladie : méconnaissance initiale du virus ; transmission rapide à la fois par contact direct avec les malades (ou les cadavres) et leurs liquides biologiques et par l'utilisation de matériel d'injection non stérile comme c'était banal en Afrique au milieu des années 70 (ce mode de contamination était en cause dans un tiers des cas au début de l'épidémie) ; difficulté d'un diagnostic biologique rapide qui reposait alors sur des techniques d'immunofluorescence, la PCR n'ayant pas encore été mise au point ; épicentre dans une région équatoriale très peu médicalisée (celle de Yambuku) ; lenteur de la réaction internationale face à cette nouvelle menace inconnue...
Deux pionniers témoignent
Comment expliquer que malgré ces handicaps majeurs l'épidémie ait été maitrisée en quelques semaines ?
La publication de Breman et Johnson met peut-être en lumière quelques pistes même si la simple transposition des méthodes ayant réussi jadis n'est pas un gage de succès :
- Mise en place rapide de mesures de quarantaine avec isolement
complet par l'armée zaïroise de la province de Bumba regroupant 275
000 habitants.
- Coordination des efforts des équipes nationales et de l'aide
internationale avec réquisition des professionnels de santé zaïrois
pour lutter contre l'épidémie.
- Fermeture de l'hôpital de Yambuku après que 13 membres du
personnel sur 17 aient été contaminés (dont 11 sont morts).
- Création d'une force d'intervention sanitaire articulée autour
d'équipes de 4 personnes (dont un médecin ou une infirmière)
destinées à identifier et à isoler les malades dans les villages de
la région ; 550 villages furent ainsi visités au moins deux fois en
2 mois, les 55 villages effectivement touchés par l'épidémie étant
inspectés trois fois.
- Précision rapide, avec des moyens limités, du temps médian
d'incubation (6 jours après injection, 8 jours après contacts
interpersonnels avec des extrêmes allant de 1 à 21 jours) et de la
durée maximum de contagiosité permettant d'établir des règles de
quarantaine.
- Opération de communication auprès des populations pour limiter
les risques de transmission lors des funérailles traditionnelles et
pour faire accepter les nécessités de l'isolement des
malades.
- Utilisation dans la lutte contre la maladie de certaines coutumes
locales pour identifier les sujets contacts, ceux-ci étant
facilement repérés car les villageois endeuillés se rasaient la
tête.
Peut-être faut-il tirer de l'histoire de cette première épidémie rapidement maitrisée des leçons pour juguler celle qui frappe aujourd'hui 3 pays d'Afrique de l'Ouest et pour éviter que de nouveaux foyers n'apparaissent et ne se développent dans d'autres états du continent à la faveur de déplacements peu ou pas contrôlés de sujets contaminés, comme le redoutent nombre de spécialistes actuellement.
Dr Céline Dupin