
Paris, le samedi 20 septembre 2014 – Qui suis-je ? Ou vais-je ? Et quel est mon diagnostic ? Voici des questions existentielles que l’homo médical aime à se poser. Il avait l’habitude jadis de jeter ses réflexions sur l’art d’être médecin dans de vieux grimoires, il se plaît aujourd’hui à les résumer en 140 signes sur Twitter. Ainsi, un jour de mai 2014, la responsable du blog « Sous la blouse », alias « Docteur Gélule », a proposé à ses confrères et amis blogueurs de participer tous les jeudi soir à une conversation sur Twitter consacrée à l’enseignement de la médecine. Souvent, ces discussions sur le carnage du numerus clausus, les absurdités cachées des ENC ou encore les stages en médecine de ville laissent place à des digressions plus profondes sur les fondements même de la médecine.
Qu’est-ce qu’un médecin sinon celui qui diagnostique ?
C’est ainsi que le jeudi 11 septembre, alors que les blogueurs adeptes de Twitter devisaient pas tout à fait tranquillement sur les « traces écrites d’apprentissage » en se concentrant notamment sur les controversés Récits de situation complexes et authentiques (RSCA)*, une constatation qui pourrait a priori apparaître iconoclaste a surgi « on ne fait pas de diagnostic en médecine générale, ou rarement » selon le résumé qu’en propose l’auteur du blog Farfadoc. Voici une affirmation qui semble friser le paradoxe. Comment donc, un médecin n’est-il pas par essence celui qui diagnostique ? Pour le docteur Selmer cela ne fait aucun doute. Celui qui a commencé ses classes en tant qu’infirmier avant de « faire sa médecine », rappelle sur son blog que « diagnostiquer » et « prescrire » sont « deux attributions [qui] définissent la fonction médicale, au sein de la fonction soignante, sur un plan médico-légal ». Pourtant, tout en restant aimable, Matthieu Calafiore, médecin auteur du blog Sommanotiroots, persiste et signe : « Nous diagnostiquons peu. En effet, nous nous basons sur beaucoup d'arguments quand un patient vient nous voir : des symptômes, la durée de ceux-ci, leur retentissement dans la vie de tous les jours, l'influence de certains traitements...Tout cela nous amène à poser une hypothèse diagnostique, la plus probable compte tenus de tous les éléments à notre disposition. (…) Cette prise de position de ma part a été vécue comme une atteinte à la fonction de médecin généraliste. J'ai visiblement blessé et attaqué mes amis et collègues dans leur représentation de notre beau métier, et l'ai condamné à disparaître puisque "nous ne diagnostiquons pas" et que de ce fait là, nous serons vite remplacés par d'autres métiers puisque nos compétences ne sont plus nécessaires », observe Matthieu Calafiore.
Effeuiller la marguerite
Pour comprendre comment un tel jugement a pu ainsi éclore ainsi que l’inquiétude de ceux qui s’alarment de ce type de constatation, il faut s’intéresser aux évolutions de l’enseignement de la médecine générale. « Maintenant, on part du principe que les connaissances médicales sont acquises en deuxième cycle de médecine. Et que donc le troisième cycle, le DES de médecine générale, c’est pour acquérir des compétences. OK. Les compétences pour la médecine générale ont été réfléchies, très fort. Par des enseignants et des chercheurs en MG. Et ça a donné naissance à la marguerite des compétences (qui depuis, traumatise des générations d’internes en MG parce qu’on leur sert matin, midi et soir) » explique Farfadoc. Et que trouve-t-on dans cette « marguerite » des compétences : « du relationnel, de la communication, du suivi, de la coordination, de la prévention, du dépistage. Mais pas de diagnostic. Juste de l’incertitude » résume Farfadoc. Selon elle, le DES de médecine générale fait quasiment l’impasse sur le diagnostic, le traitement et les pathologies. « C’est censé être acquis depuis la sixième année. Alors que la MG est quasi absente des enseignements pendant les deux premiers cycles ».
Neuf ans d’étude pour accompagner, coordonner, suivre ?
Pourquoi est-ce grave docteur ? Parce que même si le rôle du médecin généraliste est effectivement d’ « accompagner les patients, les écouter, coordonner les soins, organiser le suivi », « y’a pas besoin d’avoir fait neuf ans de médecine pour ça » observe abruptement Farfadoc. Un médecin généraliste doit d’abord savoir diagnostiquer martèle-t-elle : « La démarche diagnostique est au centre de notre métier de médecin. On pourra être les meilleurs en relationnel / communication / suivi / coordination / prévention / dépistage, si on n’est pas bon en diagnostic, on ne pourra pas être de bons médecins », conclue-t-elle.
Mettre des mots sur les maux…
Et pour renforcer son propos, Farfadoc suggère un exercice de sémantique. Elle remarque ainsi que si le médecin généraliste n’est que rarement à l’origine de ce que l’on pourrait désigner comme un « diagnostic certifié », il est constamment dans une démarche diagnostique. Dès lors semble-t-il que ceux qui, un brin provocateurs, énoncent qu’il y a peu de diagnostic en médecine générale ne profèrent pas de fausses affirmations, mais qu’ils oublient (ou feignent d’oublier) que le diagnostic n’est pas toujours une certitude. Il ne faudrait pas en tout cas considérer que ce ne sont que des mots et qu’il n’y a guère d’incidence à juger que le diagnostic est quasiment absent de la médecine générale. « Si les mots n’ont aucune importance, alors laissez les tels quels, ils sont très bien. Par ailleurs, demandez aux juristes de votre entourage si les mots n’ont pas d’importance pour définir une compétence, un rôle, un statut » assène Docteur Selmer.
Des considérations sémantiques, diagnostiques et philosophiques
dont vous pourrez retrouver la teneur à travers ces trois billets
:
http://farfadoc.wordpress.com/2014/09/14/le-diagnostic-la-semantique-et-la-marguerite
http://sommatinoroots.blogspot.fr/2014/09/dans-le-sens-du-vent.html
http://drselmer.tumblr.com/post/97459508239/que-reste-t-il-de-nos-amours-de-mes-amours-pour#disqus_thread
*Le Récit de situation complexe et authentique (RSCA) consiste pour les internes de médecine générale à raconter à travers un « récit » (comme son nom l’indique), une situation complexe rencontrée au cours de leur pratique professionnelle. Il est présenté comme un exercice réflexif d’auto évaluation. Scolaire, inutile et favorisant l’auto-flagellation pour les uns, il s’agit pour les autres d’une méthode facilitant l’analyse et la prise de recul ! Difficile de faire son diagnostic !
Aurélie Haroche