
Mountain View, le samedi 18 octobre 2014 - L’autoconservation de convenance des ovocytes est autorisée dans plusieurs pays (et non en France). Cette méthode séduit aujourd’hui de nombreuses jeunes femmes pour de multiples raisons : la possibilité de repousser une grossesse à une période de sa vie où les enjeux professionnels seront moins intenses ou encore la possibilité de satisfaire son rêve de maternité au moment où le père idéal sera rencontré ! Ainsi, aux Etats-Unis, 5 000 enfants seraient nés après congélation par leur mère de leurs ovocytes.
Pour attirer les Martine Zuckerberg et autre Billie Gates
La technique n’est cependant pas à la portée de toutes les bourses : son coût s’élève à 10 000 dollars par tentative (7 900 euros) auxquels s’ajoutent les 500 dollars par an pour assurer le stockage (environ 400 euros). Bref, elles sont encore nombreuses ces femmes qui préfèrent avoir un enfant tant qu’il est encore temps, quitte à laisser de côté leurs ambitions professionnelles (et à s’enticher du première père potentiel venu, mais c’est une autre histoire !). Pour certaines sociétés de la Silicon Valley, cette situation explique qu’elles comptent encore dans leurs rangs une majorité d’employés masculins. Ainsi, Apple et Facebook comptent deux salariés hommes pour une femme. Or, ces entreprises si soucieuses d’égalité homme/femme sont convaincues (et à raison) que l’univers regorge de talentueuses futures Martine Zuckerberg ou Billie Gates. Apple et Facebook ne renonçant jamais et n’étant jamais à court d’idées révolutionnaires : elles ambitionnent pour la première et proposent déjà pour la seconde d’offrir dans leur couverture santé la prise en charge des frais liés à la conservation d’ovocytes et ce jusqu’à 20 000 euros.
Une femme enceinte n’est pas forcément un poids
L’affaire, bien sûr, a fait fortement réagir outre Atlantique comme dans nos contrées. Les réactions positives n’ont pas été les plus nombreuses, mais elles ont existé. Chez certaines féministes, on a remarqué qu’il s’agissait d’une réponse plutôt encourageante à la discrimination dont sont encore victimes les femmes dans le monde du travail en raison de la crainte des employeurs de leur future maternité. Mais d’autres ont rétorqué, qu’il serait bien plus facile et humaniste de cesser de considérer qu’une femme voulant être mère sera forcément un poids pour la société ! « La décision de Facebook et d’Apple, fruit d’une combinaison de paternalisme et d’ultralibéralisme, laisse entendre que la maternité n’est pas conciliable avec la performance en entreprise. Pire, qu’avoir des enfants ne peut être vécu par les femmes que comme une contrainte dont il faudrait absolument les libérer. En réalité, on veut réduire les femmes et leur corps à leur seule valeur marchande », s’est par exemple offusqué Tugdual Derville, délégué général d’Alliance Vita cité par la Croix.
Trans-humanisme
D’autres se sont éloignés de ces considérations professionnelles pour s’intéresser à ce que cette proposition impliquait sur la conception de la vie. Le philosophe Bernard Vergeley n’a ainsi pas caché son courroux dans les colonnes du Figaro. Evoquant l’intrusion dans la vie privée qu’une telle démarche suppose (on peut à juste titre se demander à quel point la présence de cette "couverture" ne sera pas vécue comme une "pression " par les femmes déjà engagées ou une fois engagées les incitant fortement à renoncer au projet de devenir mère sans attendre), il constate surtout : « Au-delà d’une intrusion dans la vie privée des employés, je pense qu’il faut parler de manipulation de la vie en elle-même ». Moins catégorique dans son analyse, le docteur Laurent Alexandre fondateur de Doctissimo remarque : « C’est une illustration concrète de la banalisation de la fécondation in vitro » avant d’observer plus loin dans les Echos : « Je pense que nous assistons à l’entrée en force de l’idéologie trans-humaniste dans nos sociétés (…). Les gens sont prêts à accepter n’importe quelle transgression technologique pour moins vieillir, moins souffrir et moins mourir. Je n’accepte pas cette évolution, mais elle me semble inévitable ».
Un leurre
Du point de vue médical, l’initiative de Google suscite également de nombreuses critiques. Les spécialistes remarquent ainsi que l’autoconservation de convenance des ovocytes donne la fausse illusion aux jeunes femmes qu’il leur sera forcément possible de devenir mère n’importe quand. « C’est un leurre » assène Françoise Merlet, chef de pôle au sein de l’Agence de biomédecine citée par France TV. Par ailleurs, même en cas de succès de la FIV, l’autoconservation des ovocytes pour plus tard, élude le risque lié à une grossesse tardive tant pour la mère que pour l’enfant. Enfin, il est rappelé que le prélèvement des ovocytes est loin d’être un acte anodin puisqu’il nécessite une stimulation ovarienne et une ponction sous anesthésie locale voire générale. « Le processus est long, complexe, avec un taux de réussite faible. Un véritable parcours du combattant pour les patientes. C’est un énorme mensonge que de laisser croire au public qu’il suffirait de mettre des ovocytes au congélateur pour se reproduire quand vous le voulez » décrit le professeur Louis Bujan spécialiste de la reproduction au CHU de Toulouse cité par la Croix. On l’aura compris, il est peu probable qu’une initiative telle celle d’Apple ou Facebook voit le jour en France tant l’hostilité est grande, jusqu’à celle affichée par le ministre de la Santé qui s’est déclarée très préoccupée par cette annonce.
Les hommes, eux, peuvent sans difficulté faire conserver leur sperme sans raisons médicales
Cependant, des voix discordantes pourraient se faire entendre en France. On se souvient ainsi qu’à la fin 2012 le Conseil national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), dans la lignée de la société européenne de reproduction humaine et d’embryologie (SHRE) s’était déclaré favorable à la possibilité pour les femmes de faire « vitrifier » leurs ovocytes pour des raisons de convenance personnelle. Bien que conscient des risques d’une telle disposition, le CNGOF estimait qu’il « n’y a pas de raison particulière » pour interdire aux femmes ce qui est permis aux hommes ! Au-delà de cette prise de position, il concédait cependant que des questions restent en suspens, tel « l’âge limite jusqu’auquel il serait acceptable qu’une grossesse puisse être induite par ce procédé ».
Aurélie Haroche