Ebola : faut-il suspendre les liaisons aériennes avec les pays touchés ?

Paris, le lundi 20 octobre 2014 – Samedi, fortement médiatisés, ont eu lieu les premiers contrôles systématiques de température des passagers arrivés à Roissy à bord de l’avion Air France en provenance de Conakry (Guinée). Cette première opération a été marquée par l’identification d’une femme d’une quarantaine d’années, présentant une fièvre significative, et qui a été immédiatement conduite à l’hôpital Bichat dans des conditions sécurisées, pour des vérifications plus approfondies, qui se sont révélées négatives. Outre que ce type de « faux positif » pourrait être très fréquent (en raison de l'incidence élevée de ce symptôme chez des passagers de retour de pays où sévissent de nombreuses maladies tropicales) et très couteux, ce cas suspect a entraîné la désinfection complète de l’avion. L’appareil n’a donc pu être de retour à Conakry suffisamment à temps pour assurer la liaison quotidienne de dimanche. Un report qui n’était sans doute pas pour déplaire aux personnels navigants d’Air France qui sont de plus en plus nombreux à appeler à la suspension de ce vol. Ils estiment en effet que les contrôles tels qu’ils sont aujourd’hui pratiqués sont totalement insuffisants à assurer leur sécurité et à limiter le risque de propagation de l’épidémie. Ils s’interrogent tout d’abord sur la qualité des relevés de température établis au départ (certaines fiches faisant état de température autour de 32°C !). Ils notent en outre que le temps d’incubation de la fièvre Ebola exclut que tous les cas puissent ainsi être dépistés et ajoutent que, selon eux, il serait possible de masquer une fièvre grâce à de fortes doses de paracétamol. Surtout, leur protestation vise les trop faibles moyens dont ils disposent pour se protéger : gants et masques sont les seuls équipements accessibles aux personnels navigants s’il était nécessaire de faire face à un cas suspect en vol. Ils regrettent de même que les avions ne soient pas systématiquement désinfectés. D’une manière générale, l’angoisse est grande chez tous les personnels navigants qui seraient aujourd’hui 75 % à refuser de participer à ces vols. « S’il faut attendre qu’un de nos collègues ramène le virus Ebola, pour stopper les vols commerciaux vers Conakry, ce serait un vrai drame » s’exclame Charlotte Marchant membre du syndicat national du groupe Air France (SNGAF) exprimant la hantise qui sévit au sein de la compagnie.

Le travail des humanitaires suspendu en plein vol ?

Leur appel sera-t-il entendu non seulement pour la sécurité des personnels navigants mais aussi pour limiter le risque de propagation de l’épidémie ? La suspension des liaisons aériennes vers les trois pays les plus touchés par l’épidémie est évoquée depuis cet été et certaines compagnies ont choisi de restreindre leurs vols. Ces dispositions sont fortement critiquées. Les organisations non gouvernementales (ONG) présentes sur place ont ainsi tout d’abord affirmé que ces restrictions complexifient l’organisation des soins sur place. La plupart de ces ONG dépendent en effet de vols commerciaux pour acheminer moyens humains et matériels. « Cela nous complique la tâche pour la distribution du matériel et la rotation du personnel » affirmait ainsi fin août Claire Magone, chargée de mission en Sierra Leone pour Médecins sans frontière (MSF) interrogée par le Figaro. On sait par ailleurs que l’épidémie d’Ebola aggrave les nombreux autres fléaux qui sont le quotidien de cette région du monde et notamment la malnutrition. Or, la restriction des liaisons aériennes a également pour effet d’augmenter plus encore le prix des denrées alimentaires.

Une idée qui ne vole pas si haut ?

Autre argument avancé par ceux qui sont opposés à la suspension des liaisons aériennes : une telle mesure ne ferait que renforcer la méfiance des populations. Une des difficultés majeures à laquelle se heurtent les équipes sur place est, on le sait, le manque de collaboration des populations : absence de déclaration des cas, refus des mesures d’isolement, conservation des corps, les comportements très à risque sont nombreux. La restriction des liaisons aériennes pourrait dans ce contexte être appréhendée comme une mesure punitive, ne pouvant qu’accroître le désir de se soustraire aux règles édictées. Tel est le sentiment du ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, qui interrogé ce week-end sur l’opportunité de suspendre les vols a remarqué : « Une réaction spontanée pourrait être de dire : là-bas, il y a une épidémie et donc il faut couper absolument tous les liens (…). S’il n’y a plus aucune possibilité de prendre l’avion, les gens vont sortir du pays en contrebande (…). Ils iront prendre l’avion dans un autre pays et, s’ils sont porteurs du virus, personne ne les contrôlera » a-t-il expliqué. Ainsi, le ministre semble-t-il partager le sentiment qu’une telle mesure serait inefficace, sauf si l’on s’orientait vers une limitation totale des liaisons aériennes avec l’Afrique, ce qui semble difficilement réalisable.

O temps, suspends ton vol…

Le débat néanmoins reste ouvert car on a vu dans un passé très récent que des mesures rejetées comme inopportunes par le Ministère de la Santé (c'était le cas du contrôle sanitaire à l'arrivée des vols jusqu'au communiqué de l'Elysée du  15 octobre !) étaient finalement, quelques jours plus tard, appliquées séance tenante. Mais si des restrictions plus larges du trafic aérien étaient décidées, il faudrait pouvoir mettre en place des mesures adaptées afin de permettre que ces limitations ne nuisent pas au travail des humanitaires et à des éventuels rapatriements. Affaire à suivre, notamment avec les résultats de notre sondage en cours.

 

Sondage : Seriez vous favorable à une interruption des liaisons aériennes entre la France et les 3 pays les plus touchés par Ebola (hormis les vols humanitaires) ?

Aurélie Haroche

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