France : qu’as-tu fait de tes enfants autistes ?

Paris, le samedi 22 novembre 2014 – A la manière de Prévert qui proposait sa recette poétique « Pour faire le portrait d’un oiseau », pour créer la « polémique », rien de tel que d’ouvrir la cage du débat sur la prise en charge de l’autisme en France. Evoquez la place de la psychanalyse, interrogez vous sur l’efficacité des méthodes comportementales, attendez (sans doute pas des années comme l’oiseau de Prévert) qu’un psychiatre ou un psychanalyste d’une part et une association de parents d’autre part s’enflamment et vous pourrez écrire votre nom dans un coin de l’article. A bien des égards, le blog de Magali Pignard intitulé « The Autist », hébergé sur le site de l’Express pourrait parfaitement être le moteur d’une controverse de ce type avec schématiquement et (un peu) caricaturalement psychanalystes vantant le packing d’un côté et familles ne jurant que par la méthode ABA de l’autre. L’auteur, mère d’un petit garçon, Julien, atteint d’autisme, ne cache pas par exemple son admiration pour la réalisatrice du film « Le Mur : la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme », bête noire d’un grand nombre de praticiens en France et qui à l’époque de sa sortie avait fait couler beaucoup d’encre.

Vous avez dit « autisme » ? Et pourquoi pas plutôt « psychose infantile » ?

Magali Pignard ne perd de même jamais une occasion de signaler et de décortiquer comment aujourd’hui les thèses éculées évoquant une responsabilité du mauvais lien « mère-enfant » dans l’autisme peuvent encore avoir pignon sur rue. Ainsi, le 28 octobre, elle présentait les conclusions d’une psychologue appelée à examiner le cas d’un enfant pour lequel sa mère souhaitait une prise en charge éducative et comportementale. A propos de ce cas (sur lequel elle ne donne aucune précision), elle relève que la psychologue invitée à se prononcer sur la pertinence du placement de l’enfant en institution spécialisée, conteste le diagnostic d’autisme préférant constater l’existence « de troubles qui s’apparentent à une forme de psychose avec crises d’angoisse, agitations, atteintes du langage, anomalies praxiques et retard d’organisation du raisonnement, troubles de nature psychotiques qui remettent en question la nature du lien mère enfant ». Magali Pignard ne se montre pas surprise par cette conclusion. « Une majorité d’enfants autistes en France ont un diagnostic de "psychose infantile", "dysharmonie psychotique", etc.. à noter que la psychose infantile n’existe qu'en France, ce diagnostic n’existe pas dans les autres pays, qui ont abandonné les théories psychanalytiques. L’avantage d’un diagnostic de psychose est qu’on peut rendre responsable la relation mère-enfant et ainsi justifier une prise en charge psychanalytique, dans l’intérêt de l’enfant et de la mère qu’il faut également "soigner" et donc justifier un placement en hôpital ou institution » constate-t-elle n’hésitant pas à relancer une nouvelle fois la polémique sur ce sujet. Mais surtout, elle insiste sur l’isolement de la France en la matière. Et grand nombre de ses posts ont la même teneur : regretter que notre pays se montre si négligent en ce qui concerne la prise en charge des autistes.

Le droit constitutionnel à l’éducation face à une décision d’une MDPH

Il ne s’agit pas seulement de se concentrer sur la place trop large qui serait donnée à la psychanalyse. Magali Pignard fustige également l’exclusion de l’école d’un très grand nombre d’enfants autistes. Elle a ainsi beaucoup évoqué ces dernières semaines le cas très médiatisé de Timothée, un adolescent autiste, qui le jour de la rentrée a trouvé porte close alors qu’il tentait de faire sa rentrée dans son collège à Lyon. Une bataille judiciaire oppose désormais la mère de l’enfant et la maison départementale du handicap (MDPH) qui a préconisé son placement en institution, allant à l’encontre du souhait de la mère. Magali Pignard relève à propos de l’histoire de Timothée que les MDPH n’ont pas le pouvoir de procéder à de telles orientations. Elle cite sur ce point Sylvie Moscillo, présidente de l'association défi 74-Handicaps & scolarité qui s'interroge : « France, ne t’étonnes pas qu’on ait oublié les droits de Tim si tu laisses croire à quelques uns qu’ils auront le droit d’orienter nos enfants, oubliant ce droit qu’est le libre choix de vie. Penses-tu que le droit constitutionnel de tout enfant à l’enseignement doit dépendre d’une décision d’orientation par la MDPH au motif qu’un enfant est handicapé ? ». Magali Pignard poursuit en dénonçant le déni de justice dont serait victime la mère en citant le « Tribunal du Contentieux et de l’Incapacité qui cherche une mesure exécutoire pour empêcher la maman de faire appel suspensif d’une décision d’orientation ».

« Pays des droits de l’Homme »

Au-delà de ce cas particulier, dans cette lettre ouverte à la France, elle dénonce l’incroyable décalage entre les intentions affichées par notre pays et le sort réservé aux handicapés mentaux. Citant toujours  Sylvie Moscillo, elle réprouve : « Toi France, pays des droits de l’Homme, ne connais-tu pas le droit des enfants ? Souviens-toi, en 2010, tu ratifiais la Convention des Nations-Unis relative aux droits des personnes handicapés "reconnaissant que les enfants handicapés doivent jouir pleinement de tous les droits de l’Homme et de toutes les libertés fondamentales sur la base de l’égalité avec les autres enfants (…)". As-tu oublié la convention relative au droit des enfants, instrument ayant force obligatoire ? (…) Toi, France, condamnée cinq fois eu égard à la manière dont tu traites tes enfants handicapés, ne te sens-tu pas concernée par la désinstitutionalisation de tes enfants ? ».

« Il n’a rien à faire là »

Magali Pignard n’est pas le seul parent d’enfant handicapé à s’insurger contre la France et à dénoncer l’oubli de ses idéaux. Nous avons déjà évoqué dans ces colonnes le combat de nombreuses autres familles. Elle va cependant plus loin en soulignant que cette attitude est favorisée par une large adhésion de la société. Elle relève ainsi que les idées reçues quant à l’impossibilité des autistes à être intégrés dans le système scolaire classique sont très largement répandus chez les enseignants. En publiant la lettre ouverte d’une psychologue, Nelly Coroir, spécialisée dans les troubles autistiques, qui intervient souvent en milieu scolaire, elle met ainsi en lumière les réactions fréquentes des professeurs face à ces enfants. Ainsi, à ceux qui affirment « Il est autiste, il devrait aller en institution spécialisée », Nelly Coroir se propose de répondre : « Le milieu ordinaire est un formidable stimulant pour la progression de l’autant autiste ». De même, aux professeurs qui remarquent : « Les parents ne devraient pas avoir de faux espoirs comme ça sur leur enfant, ils ne se rendent pas compte », la professionnelle rétorque : « Les parents qui font travailler leur enfant au quotidien et lui enseignent au jour le jour la moindre chose de la vie, se rendent bien compte. Nul ne peut savoir jusqu’où ira l’enfant autiste (…). Par contre, si on ne fait rien il ne se passera rien ».

Un apartheid accepté par tous

Ce refus d’apprécier le bien fondé de l’intégration des enfants autistes dans le système scolaire normal s’étend à l’ensemble de la société, remarque Magali Pignard. A la lueur des réactions suscitées par l’affaire Timothée, elle affirme ainsi avoir pu prendre la mesure du regard que portent les Français sur la prise en charge de l’autisme et probablement sur ces enfants en général. Cette appréciation est d’abord marquée par une large méconnaissance. « Beaucoup pensent que dès lors qu’il y a des adaptations à faire (…), une école (…) a le droit de refuser un enfant handicapé sous ce motif. Voici un extrait d’un arrêt du Conseil d’Etat du 08 avril 2009 : " (…) il incombe à l’Etat, au titre de sa mission d’organisation générale du service public de l’éducation, de prendre l’ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que ce droit et cette obligation aient, pour les enfants handicapés, un caractère effectif"  (…) ainsi dire :  " Je ne peux pas l’accueillir car je n’ai pas les moyens " est un argument irrecevable », relève Magali Pignard. L’auteur observe également combien, les Français d’ordinaire plutôt méfiants à l’égard de leurs institutions, fondent une confiance aveugle dans les services des MDPH. Toujours à propos de Timothée, elle note : « Pour une majorité de personnes, les membres de la commission de la MDPH, qui décident de l’orientation pour nos enfants, sont formés au handicap et bien sur à l’autisme, ils pensent agir pour le bien de nos enfants : la MDPH ce n’est pas n’importe qui quand même ! La réalité : au mieux ces membres ne sont pas formés à l’autisme, au pire ils sont convaincus (…) que c’est un trouble psychologique du à une mauvaise relation maternelle (…). La raison concrète qui fait que la MDPH oriente à tour de bras du milieu ordinaire vers le médico-social  : plusieurs membres de cette commission représentent de grosses associations gestionnaires d’établissements, et il faut bien les faire tourner non ? Et si possible avec des enfants pas trop handicapés, pour avoir la paix, tout en touchant l’argent de la CPAM… Les français ne comprennent pas pourquoi cette mère refuse la décision de la MDPH (qui est une orientation en IME), cet organisme pour eux bienveillant. Ils se disent peut-être  " La pauvre, elle n’a pas accepté le handicap de son enfant, elle ne voit pas qu’il n’a rien à faire en milieu ordinaire, sa place est dans le milieu spécialisé " sans savoir ce que c’est au juste, ce fameux milieu spécialisé ». Or, pour Magali Pignard, ce « milieu spécialisé », met en place une véritable ségrégation des enfants handicapés, n’hésitant pas même à parler d’apartheid. Sans aller jusqu’à conclure que cette ségrégation est inconsciemment (voire consciemment) sans doute voulue par les Français eux-mêmes, soulagés peut-être que les classes de leurs enfants ne comptent pas d’enfants handicapés de ce type, elle remarque : « Cette histoire est révélatrice de ce qui se passe avec les enfants vulnérables, pas seulement les enfants handicapés, mais aussi par exemple les Roms, qui eux aussi sont parfois orientés en établissement spécialisé (bien que non handicapés) ».

Un combat pas tout à fait en noir et blanc à lire sur le blog : http://blogs.lexpress.fr/the-autist/.

Aurélie Haroche

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Vos réactions (16)

  • Impulsions...

    Le 22 novembre 2014

    Magali Pignard est dans son rôle de parent d'un enfant autiste. Disons tout de suite que, sans les réactions des parents, et des associations constituées autour d'eux, rien, sans doute, ne se serait passé en France, où tout aurait continué à ronronner comme d'habitude. De ce combat, celui en faveur de la scolarisation par défaut, soutenu par l'ensemble des familles d'enfants handicapés, est d'un intérêt primordial. Ce droit, apporté par la loi de 2005 en faveur des personnes en situation de handicap a été une nouveauté, c'est à dire qu'elle a été réaction dans un monde en effet ségrégatif, où la "mise à l'écart", de préférence loin, des personnes handicapés ou tout simplement hors norme, était la règle. Les parents, en général, étant tenu pour être plus ou moins responsables des malheurs de leur enfant, et était conçus comme devant se trouver en dehors de l'action bienveillante des professionnels.
    Pour l'autisme comme pour tout autre handicap, du reste.
    Un paradigme plutôt inclusif succède à l'ancien, ségrégatif. Mais tous les dispositifs ont été pensés et câlés sous le primat de l'ancien, et, la politique de renouvellement éternel de l'ancien tenant lieu de politique tout cours, ce n'est pas prêt de changer. La psychiatrie étant censée s'occuper des personnes que l'on nomme maintenant autistes selon une conception beaucoup plus large que l'ancienne, on comprend mieux le terme "psychose". Qu'est-ce qui cloche dans "psychose" du reste, si ce n'est son "psy" ?
    C'est que ce monde ancien, éternellement renouvelé décennie après décennie, a la vie dure, alors qu'une révolution conceptuelle complète s'est faite jour dans le domaine de l’autisme, en provenance de partout ailleurs sauf en France, avec une impulsion américaine prédominante, aboutissant à d'autres concepts, d'autres classification,d'autre modes de diagnostic, d'autre modes d'intervention. Mais le contexte reste identique, figé dans le passé. Où trouver une impulsion ?
    Dans les "plans autismes" successifs ? Ceux ci font profil bas et se gardent d'affronter le puissant existant, de bousculer les hiérarchies, les privilèges, les rentes de situation, les dogmes, les savoirs, et leur conséquence en terme de masse financière. Ces plans, dont le 3°, se contentent souvent de mots définitifs sur ce qu'il convient de ne pas faire, et en restent là, effrayés de l'addition des choses qu'il faudrait faire, où on se contente des mots et de quelques pincées homéopathiques plutôt clientélistes.
    Alors qu'il y aurait tant d’énergies à libérer dans les gangues figées.
    Magali Pignard a bien raison de dire ce qu'elle dit, car elle a un motif, elle est sincère, et tape souvent juste, comme vous le montrez bien. A ce titre il faut la lire, comme je le fais. Elle ne va pas cesser de sitôt, tant on a l'impression de faire du sur place. Et qu'on ne raconte pas qu'il suffirait de bannir "la psychanalyse" (c'est à dire les psychiatres se piquant d'inspiration psychanalytique) pour que tout aille mieux. Car il ne suffit pas de tuer les psychiatres pour que les malheurs traduits par l'esprit cessent.
    Non, il faut tout re-concevoir, tout restructurer, tout repenser, et pas seulement à la marge, par petites touches minimalistes.
    Du gros œuvre, quoi, pas un coup de peinture.

    Dr Gilles Bouquerel

  • L'autisme et tout le reste ...

    Le 22 novembre 2014

    France ...beau pays, liberté égalité fraternité ...régression, indifférence, appauvrissement social,culturel ...
    Un chiffon de poussière ne suffirait pas...un grand coup de pied dans nos institutions vieillies serait tellement souhaitable...tout ce qui existe en termes institutionnels repose sur des textes écrits par des "dinosaures "..,je pensais que nous n'étions plus à la préhistoire !Mais j'avais rêvé...

    Dr Patricia Erbibou

  • Un peu de sérieux

    Le 23 novembre 2014

    Le débat n'a pas lieu d’être, l'autisme est un dysfonctionnement neurobiologique avec retentissement psychiatrique et social important. End of story. La psychanalyse quand à elle ne repose ni sur des faits concrets ou des théories valables mais sur des élucubrations qui n'ont rien à faire dans la médecine "fondé sur les preuves" propre à l'occident et se rapproche bien plus du vaudou qu'autre chose. Les neurosciences ont balayés l’hypothèse du lien mère enfant dans l'autisme. La prise en charge TCC, elle a montré des résultats, partiels certes, mais concluants. Pourquoi tant de psychiatres et psychologues restent encore persuadés d'une quelconque efficacité de la psychanalyse au 21eme siècle, continuant d'accuser les mères des maux de leurs enfants ? Le complexe du Messi sans doute...Un peu de sérieux s'il vous plait.
    Un étudiant

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