
« Sera-t-il possible de trouver un médecin à Noël ? » : ces derniers jours, de nombreux articles publiés dans la presse relaient, souvent avec inquiétude, le préavis de grève qui a été déposé par plusieurs syndicats de médecins libéraux et urgentistes à l’approche des fêtes de fin d’année. Pourtant, y-a-il réellement matière à s’inquiéter ?
La grève, selon la définition qui en est faite par la jurisprudence, permet au salarié « de cesser de manière concertée le travail en vue d’appuyer des revendications professionnelles ». Or, si le médecin se voit reconnaître, au même titre que les autres salariés, ce droit fondamental, la loi et la jurisprudence limitent considérablement les possibilités de cesser de manière effective le travail.
Aucun texte n’interdit expressément le droit de grève au médecin
Conformément à l’alinéa 7 du Préambule de la Constitution de 1946, le droit de grève constitue une liberté fondamentale reconnue à chaque citoyen mais qui ne peut s’exercer que « dans le cadre des lois qui le réglementent ». Ainsi, il est tout à fait possible pour le Législateur d’interdire expressément à certaines professions le droit de faire grève (armée, pompiers, gardiens de prison…).
Qu’en est-il exactement des médecins ? Les dispositions relatives à la fonction publique hospitalière ou au code de déontologie médicale ne reconnaissent (ou n’interdisent) à aucun moment expressément la possibilité pour les médecins d’exercer leur droit de grève.
En l’absence de dispositions, le droit de grève des médecins doit être considéré comme étant une liberté fondamentale reconnue, mais qui reste encadrée (et comme nous allons le voir, limitée) par les lois qui règlementent la déontologie médicale et l’organisation du service public.
L’exercice du droit de grève limité par le code de déontologie médicale
Quel est l’encadrement du droit de grève prévu par le code de déontologie médical ? L’article R.4127-47 du Code de la Santé Publique impose au médecin « quelles que soient les circonstances » de maintenir « la continuité des soins aux malades ». Si le médecin peut, pour raisons personnelles ou professionnelles, refuser d’assurer de soins, celui-ci ne peut le faire que « hors le cas d’urgence».
Bien que ce texte ne vise pas expressément l’encadrement de la grève des médecins, la jurisprudence a vu dans cette disposition un moyen d’encadrer cette liberté fondamentale. Ainsi, pour le Conseil d’Etat, un médecin commet un manquement à ses obligations déontologiques lorsqu’il appelle ses confrères à ne dispenser aucun soin, y compris en cas d’urgence (Conseil d’Etat, 4 mai 2001, n°205248). Ceci limite considérablement l’efficacité du droit de grève des personnels urgentistes qui ne peuvent refuser les soins des patients…présentant une urgence !
Le médecin peut donc faire grève s’il s’assure d’une part, de la continuité des soins pour ses patients et d’autre part, s’il ne fait pas face à une urgence vitale.
Quelles obligations pour le directeur d’établissement ?
Comment la continuité du service peut-elle être assurée dans le cadre hospitalier ? Si le médecin gréviste doit, à titre individuel, respecter ses obligations déontologiques, l’établissement hospitalier doit de son côté assurer la continuité du service public même en cas de grève et le directeur de l’établissement peut (doit) prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement du service public. La jurisprudence administrative l’autorise à assigner le personnel en grève en cas d’atteinte grave au service public. Il lui appartient d’élaborer (notamment en collaboration avec les chefs de services) les besoins de l’hôpital en termes de personnel.
Les médecins travaillant pour un hôpital public ne peuvent donc exercer leur droit de grève… que dans la limite de la continuité du service public.
« Il faut savoir arrêter une grève » : le médecin gréviste peut être facilement réquisitionné
Le médecin peut-il être forcé à stopper sa grève ? Bien entendu, en milieu hospitalier, le directeur de l’établissement peut en cas de nécessité mettre en demeure le médecin de reprendre son poste pour assurer la continuité du service public. Mais surtout, le Préfet dispose d’une arme redoutable pour forcer le médecin à réintégrer son poste : la réquisition.
En application de l’article L.2215-1 du Code général des
collectivités territoriales, le Préfet peut prendre par arrêté «
toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la
sûreté et de la tranquillité publiques ». Pour la
jurisprudence, le Préfet peut en application de ce texte « en
cas d'urgence, requérir tout médecin dans le but d'assurer ou de
rétablir la continuité des soins ambulatoires » y compris
lorsqu’ils ont été interrompus « par des mouvements de refus
concertés et répétés des médecins libéraux d'assurer les gardes de
nuit et de fins de semaine » (Tribunal des Conflits, 26 juin
2006).
En cas de refus de se soumettre à la réquisition, la sanction est
particulièrement lourde : le médecin récalcitrant s’expose à une
peine de six mois d’emprisonnement et à 10 000 euros d’amende.
Peau de chagrin
Que reste-t-il du droit de grève des médecins ?
Si les médecins se voient reconnaitre, comme n’importe quel salarié, le droit de grève, les obligations déontologiques et légales limitent donc considérablement l’exercice (et surtout l’efficacité) de la grève. La loi et la jurisprudence voient en réalité d’un mauvais œil la cessation concertée du travail des médecins... sans aller jusqu’à l’interdire.
Charles Haroche, Avocat (Paris)